Rencontre avec le Président de l'IRA: La Mauritanie, où l’histoire se conjugue au présent



Rencontre avec le Président de l'IRA: La Mauritanie, où l’histoire se conjugue au présent
Interview directive : Monsieur Birame ould Dah ould Abeid, Juriste. Conseiller à la Commission Nationale mauritanienne des Droits de l’Homme. Membre de SOS-Esclave. Président de l’IRA-Mauritanie : Pour l’éradication définitive de l’esclavage et l’apartheid en Mauritanie.


OCVIDH. Initiative de Résistance du Mouvement abolitionniste – Initiative pour la Résurgence du Mouvement abolitionniste. Pouvez-vous nous préciser la signification de l’acronyme et des origines de la création de votre organisation ?

Birame ould Dah ould Abeid. Cet acronyme est la résultante d'une large concertation au sein des groupes des cadres, des jeunes, d'ouvriers et paysans qui constituent maintenant ce mouvement. Il allie la reconnaissance et l'intégration de la lutte ainsi que du sacrifice des aînés d'une part, et l'impérieuse nécessite pour les générations montantes de secouer une certaine léthargie sur le champs de bataille de l'action pour la conquête des droits civiques des populations Hratin dont le martyr se prolonge par la volonté de l'État Mauritanien et pour le bien-être des groupes dominants. Les origines de la création de notre organisation sont, entre autres, l’impossibilité (dans le cadre de la bipolarisation des forces politiques et civiles nationales) de donner la place qui lui revient à une questions d'importance majeure comme celle des Hratin : populations majoritaires victimes de pratiques esclavagistes inhumaines, d'exclusions systématiques et de discriminations de naissance.
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OCVIDH. L’IRA-Mauritanie coexiste avec d’autres associations qui luttent contre l’esclavage, notamment l’AHME de Yahya ould Ciré, SOS-Esclavage de Boubacar ould Messoaoud, voire le parti APP (Alliance Populaire Progressiste) de Messaoud ould Boulkheir qui s’était vu interdire l’Action pour le Changement. Comment définirez-vous la singularité de votre association et son rapport aux autres organisations des droits de l’homme en général ?

B.D.A. Notre organisation partage beaucoup de chose avec les organisations et parti politique que vous venez de citer, nous nous épaulons; ou du moins, nous, de notre coté, nous les soutenons sans réserve dans leurs actions visant la fin de l'impunité, l'avènement de la justice et de la démocratie en Mauritanie. Mais il se peut que nous nous distinguions sur la scène nationale par la remise en cause radicale et sans détours des fondements idéologiques, culturels, religieux et constitutionnels d'un État Mauritanien indubitablement à essence raciste et esclavagiste. Nous remettons en cause l'arabité des Hratin, l'assimilation forcée des berbères et la mise à mort de la langue Znaga, étouffement culturel imposé aux Noirs, nous nous inscrivons en faux par rapport au pourcentage des Arabes décrété par l'État et les groupes dominants, nous récusons le rite malékite(version locale de Charia islamique) obscurantiste,esclavagiste, tribaliste et sectaire, nous optons pour la laïcité de l'État avec un nouveau et équitable découpage territorial, une revalorisation de toutes les langues et cultures et un recensement des populations sur la base de l'ascendance et de l'adhésion volontaire au groupe de son choix. Etc.

OCVIDH.
Vous vous refusez au concept de séquelles de l’esclavage et insistez sur la persistance réelle de l’esclavage en Mauritanie, soixante ans après son indépendance, le phénomène rejoint-il ce que les négro-mauritaniens appellent la question nationale pour dénoncer la domination exercée par la minorité arabo-berbère. Comment expliquerez-vous cette stagnation de la conscience sociale et politique ancrée dans histoire depuis la délégation du pouvoir par les Français aux arabo-berbères.?

B.D.A. Le concept de séquelles d'esclavage est une invention pernicieuse des pseudo-communistes Mauritaniens (PKM et MND) à l'instar d'ailleurs d'un autre terme, nationalistes étroits, qui a désigné les personnalités et cadres Noirs qui se dressent contre le racisme, à la vindicte de l'État raciste. Ces deux pseudo-mouvements communistes sont en vérité des formations dominées par des féodaux et nationalistes arabo-berbères et leur habile duplicité leur a permis de maintenir un pied au sein des camps progressistes tout en jouant le jeu du statu quo et de l'ethno-classe arabo-berbère dominante. Ils ont donc inventé le terme séquelles d'esclavage qui est en vérité une forme de négationnisme des pratiques esclavagistes massives et multiformes qui perdurent encore en Mauritanie. Notez encore qu'il y a un fait de télescopage entre les deux phénomènes, le racisme et l'esclavage en Mauritanie et par les deux s'exprime la domination des arabo-berbères en tant que groupe identitaire, distinct et solidaire détenant tous les leviers de commande dans le pays, s'arrogeant des privilèges illicites et exerçant une justice de classe. Quant à la stagnation de conscience depuis le départ du colonisateur
c'est un fait dû à plusieurs paramètres parmi lesquels il faudra citer la mise au service de l'État Mauritanien indépendant de la machine diplomatique de l'ancienne métropole contribuant ainsi à fabriquer une image fausse de la Mauritanie, pays majoritairement arabe, pauvre, égalitaire, voire démocratique et les réseaux de la France-Afrique, les amis de la Mauritanie ont toujours vendu une image inexacte du pays coupant toute possibilité de lien ou de soutien extérieur aux mouvements anti-racistes et anti-esclavagistes de la Mauritanie.

OCVIDH. L’ouverture démocratique prônée par Maawiya Sidi Ahmed Taya a créé parmi les leaders politiques des conflits de leadership. La discorde entre Messaoud ould Boulkheir et Ahmed ould Daddah semble reproduire la même question d’incompatibilité entre désir d’émancipation noire et volonté de domination arabo-berbère. Est-ce que le candidat Chbih ould cheikh Mélaïnine aurait raison en inscrivant dans son programme une confédération des régions selon leur composante sociale ?

B.D.A.
J'affirme sans risque de me tromper que le système de domination arabo-berbère se déploie partout, et au delà de l'émiettement ou de la bipolarisation entre les différentes factions tribales, politiques ou idéologiques des segments arabo-berbères. Qu'ils soient de l'opposition et des gens du pouvoir, de gauche ou de droite, d'obédience islamiste traditionnelle ou salafiste, ces différentes écoles se retrouvent aisément dans une logique de maintien et de renforcement de la suprématie de l'élément Arabe sur les autres composantes nationales. Je ne pense pas, d'autre part, que Chbih ait raison d'envisager le système confédéral selon la composante sociale pour plusieurs raisons dont je peux retenir le fait que les Hratin sont partout et dans toutes les régions et ne peuvent pas se distinguer d'une région ou d'une autre. Mais quand le découpage territoriale est accompagné du recensement transparent et sur des bases justes et seines, du démantèlement des féodalité tribales et théocratiques qui captent les suffrages et les labeurs des plus humbles,de la redistribution équitable des biens et services, le triomphe de l'égalité des chances et devant la loi, bref la déconstruction du système de l'État ethnique et de classe en vigueur et qui se développe depuis 50 ans, ceci et ceci seulement est la voix du salut.



OCVIDH. La junte militaire putschiste prétend améliorer la situation des droits de l’homme, quelle explication donnez-vous au coup d’Etat du 6 août 2008 faisant suite au putsch du 3 août 2005 perpétré par le même général Aziz au pouvoir ?

B.D.A.
L'action et le cheminement graduels de Mohamed ould Abdel Aziz pour s'installer constitutionnellement au pouvoir ont été , apparemment pensés et mûris par l'homme durant les très longues années passées au services de l'ex-dictateur Maawiya ould Sid'Ahmed Taya et le coup d'État du 06 août est un acte anticipé (à cause du coup de griffe inattendu de Sidi ould Cheikh Abdallahi, le limogeage des généraux) de l'épilogue d'accaparement du pouvoir savamment orchestré par un homme patient et ambitieux. Je ne connais de cette prétendue amélioration des droits de l'homme que prétendent les militaires et leurs laudateurs que la réussite dans une démarche de coudoiement de certaines victimes de l'épuration ethnique qui a endeuillé les populations noires de Mauritanie pendant les années de braise.



OCVIDH.
L’opposition qui a participé à l’élection présidentielle qui semblait perdue d’avance, tout en dénonçant des irrégularités, peut-elle être tenue pour responsable du fait accompli de l’installation du général Aziz au pouvoir, peut-elle jouer son rôle de contrepoids face à la dérive dictatoriale du régime en place ?


B.D.A. L'opposition ne fat pas le poids devant le renforcement de l'emprise du pouvoir du général sur le pays, celle-ci s'accentue inéluctablement et les dernières élections municipales et le flirt au grand jour de certaines personnalités de marque de cette opposition avec le général en sont des preuves irréfutables. Je pense d'autre part que c'est par défaitisme et manque de confiance en elle même que l'opposition a choisi des semblants d'élections, perdues d'avances, au lieu d'une confrontation au prix lourd mais salvatrice pour la démocratie et l'État de droit.



OCVIDH. La légitimité de l’actuel pouvoir en Mauritanie issu d’un coup d’Etat pose problème. Quel espoir pour les victimes face à un régime lancé dans un processus d’assainissement de la vie politique, financière, pendant que le cercle dirigeant immédiat n’échappe pas aux plaintes pour crimes de tortures, voire de meurtres, sachant que le 28 octobre 2009 l’interpellation d’un ancien ministre de l’intérieur, membre de la délégation présidentielle à Paris, Lembrabott Sidi Mahmoud ould Cheikh accusé de tortures, a été empêchée par le Ministère des affaires étrangères français ?


B.D.A.
Les victimes des violations des droits humains passées et celles de nos jours n'ont aucun espoir de voir la justice rendue sous ce régime qui s'appuie allègrement sur des milieux civils et militaires ayant participé activement à la tentative de génocide contre les Noirs et s'adonnent de nos jours aux pratiques esclavagistes et à de faux témoignages sur la persistance de l'esclavage. Le gouvernement de la France fidèle à lui même fera échec de manière volontaire à toute action judiciaire nationale ou internationale visant la mise au banc des accusés les coupables de crimes de pouvoir en Mauritanie, c'est une constance de la politique de la France.

OCVIDH.
Le 28 novembre 2009, une manifestation musclée a mobilisé des associations des droits de l’homme dont l’OCVIDH, des mouvements de libération de la Mauritanie comme le FLAM, des partis politiques comme le NPA, l’IRA-Mauritanie représentant l’initiative abolitionniste. Cependant, jusque dans les rangs des victimes des déportations, tortures, emprisonnements arbitraires, assassinats massifs, des éléments ont boycotté la manifestation. Est-ce là un coup réussi de la junte au pouvoir de disperser la fronde des victimes historiques d’esclavage, de tueries, de marginalisation des Noirs en Mauritanie ?

B.D.A. Je ne pense pas que ce soit un coup réussi du pouvoir, mais c'est plutôt l'une des tentatives vaines et répétées de tout système en bute à des passifs lourds et handicapants de se départir du fardeau qu'il traîne et parce que ces fardeaux contiennent les germes de la destruction inéluctable du système qui les a perpétrés. Mais d'un autre coté, je suis obligé de concéder que certaines victimes et certaines formations qui se sont illustrées dans cette lutte pour la reconnaissance des exactions contre les Noirs et leurs réparations, sont traversées de nos jours par des tendances gagnées par le doute, le penchant au repos et à certaines sinécures que système peut procurer en contrepartie de volte-face. A ce propos, le communiqué des FLAM, vantant les mérites des soi-disant cent jours de pouvoir du général Aziz me parait très curieux, ainsi que certains refus d'illustres rescapé de la tentative de génocide, de témoigner comme à l'accoutumée pendant la journée du 28 novembre et les exemples peuvent s'allonger. Mais je reste persuadé que le triomphe du droit et l'aboutissement de la justice sont inéluctables car les reniements et les transfuges peuvent servir momentanément les plaidoiries des bourreaux mais ne peuvent en aucun garantir la quiétude perpétuelle pour les coupables.



OCVIDH. Le 24 mars 2009, d’anciens officiers de l’armée ont rencontré le général Aziz, avaient-ils raison dans leur démarche, quelle est votre position dans la polémique que soulève leur initiative parmi les militants des droits de l’homme ?


B.D.A. Ma positon concernant une question d'aussi grande importance comme ce que les gens appellent le passif humanitaire, est que toute démarche par rapport à ce problème doit impérativement obéir à la prise en compte des paramètres de l'unicité de l'action des associations et formations de défense des victimes et la fermeté sur les principes mondialement observés dans les cas d'espèces, c'est-à-dire : la vérité, la justice, les réparations et la mémorialisation.



OCVIDH. D’après la junte au pouvoir le « dossier du passif humanitaire est clos ». Quel est votre avis là-dessus ?


B.D.A. Ce n'est pas un dossier, c'est une grande, très grande question et la clore nécessite indubitablement le passage de manière concertée- ce qui n'a jamais été le cas - avec tous les acteurs légitimes, de la vérité à la justice vers les réparations et le travail pour la mémoire.



OCVIDH.
La mesure de résolution par la junte du passif humanitaire consiste en une prière pour le repos des âmes des défunts, l’indemnisation des victimes, et le rapatriement des déportés, ce qui n’a pas apaisé les ressentiments et le sentiment d’injuste qu’expriment les victimes à l’instar du Collectif des veuves qui s’estime abusé par le COVIRE. Aurait-on négligé des préalables à toute résolution pérenne des crimes perpétrés contre les Négro-mauritaniens ?


B.D.A.
Ce que la junte a opéré, c'est du déjà-vu, c’est une manière d'occulter le problème et d'éviter son règlement, c'est de la poudre aux yeux. Est ce que Dieu accepte la prière des assassins? Et parmi le groupe de militaires au pouvoir, il y a des présumés tortionnaires. Est ce que la question est une question d'argent? À mon avis, non. Est-ce que les Mauritaniens ont pu connaître la vérité? Pas du tout que je sache. Est ce que des mesures ont été prises pour que ce genre d'atrocités ne se répète pas ? NON ! Et non encore, parce que les coupables ne se sont pas encore repentis et l'idéologie raciste et esclavagiste structure encore l'État et la société.



OCVIDH. Comment le président de l’IRA-Mauritanie qui jouit d’une reconnaissance internationale, juge-t-il les péripéties française, africaine et européenne qui ont conduit à la légitimation du coup d’Etat du général Aziz ?


B.D.A.
Je juge les rôles respectifs de Abdoulaye Wade, du dictateur Ghadafi et de la monarchie marocaine complice, pernicieuse et inamicale vis à vis du peuple Mauritanien, les deux premiers ont eu raison de la position prompt et ferme de l'Union Africaine. Quand à l'Union Européenne, dés le départ, son action a été malicieusement plombée par les menées du trio France-Espagne-Allemagne. Et après tout, le système international s'accommode toujours très vite des faits accomplis car les putschistes utilisent les richesses de l'État conquis pour intéresser des personnages et réseaux influents capables d'orienter la position d'un État comme le club de la France-Afrique ou des Amis de la Mauritanie.



OCVIDH. Lors d’une conférence de presse tenue le 3 novembre à Nouakchott, le rapporteur de l’ONU, Mme Gulnara Shaninian déclare : «"Il existe en Mauritanie toutes les formes d’esclavage: travail des enfants, travail domestique, mariages d’enfants et trafic d’être humains. » En votre qualité de président de l’IRA, quel bilan dressez-vous de l’expérience de votre Association et des autres acteurs contre les tares esclavagistes et négrophobes, le tribalisme, la force comme moyen d’accaparement du pouvoir, autant d’aspects qui freinent le développement de la Mauritanie actuelle ?


B.D.A. Le bilan de la résistance ou des résistances contre les différentes formes d'oppression, de discrimination, d'esclavage ou autres, ne peut en aucun cas être l'apanage d'une ou de quelques organisations ni de quelques individus et moins encore d'une générations déterminée. Autant les injustices les plus extrêmes ont précédés la naissance et l'ancrage de l'État esclavagiste et raciste Mauritanien autant les résistances ont été animées soutenues par les élites et les masses. Nous nous retrouvons dans ce lot de mouvements, d'organisations et de partis, mais aussi d'individualités et de personnalités qui ont donné des résultats significatifs à nos différentes causes qui n'en sont qu'une, sans que toutefois la victoire soit acquise. Je pense que nous devons redoubler d'effort pour la victoire totale, celle de tout le monde, celle qui n'adviendra qu'avec le démantèlement de l'État ethnique et esclavagiste et le triomphe du droit
et de l'Etat de droit.



OCVIDH. A l’heure actuelle où des courants internes et externes liés à des revendications syndicales, sociales et politiques, des problèmes de terrorisme en considération de l’enlèvement de trois humanitaires espagnols le 29 novembre entre Nouakchott et Nouadhibou, et la suppression du rallye Paris-Dakar en 2008, quelle est votre autopsie de la viabilité à plus ou moins long terme de la Mauritanie ?


B.D.A.
Je pense qu'il serait intéressant que les victimes des violations des droits humains en Mauritanie et leurs assistants creusent sans se décourager pour mettre à l'épreuve les lois et juridictions au sein du monde libre, notamment les closes concernant la compétence universelle. Ceci permettra à coup sur d'épingler certains coupables et, de ce fait obtenir des jurisprudences, ou du moins maintenir la pression sur les présumés criminels.

Propos recueillis par Dioum Ali, Bâ Idrissa, Fall Moctar

Source: OCVIDH

Vendredi 1 Janvier 2010
Boolumbal Boolumbal
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