Nouakchott, capitale de tous les paradoxes



Nouakchott, capitale de tous les paradoxes
Nouakchott, la plus grande ville de Mauritanie, avec le tiers de la population du pays, se refuse à la modernité ! Capitale politique, elle est la ville de tous les paradoxes. Le luxe insolent des villas cossues de Tevragh-Zeina côtoie, à l'intérieur même de ce quartier chic de la capitale, des baraques de gardiens de terrains encore nus, dont la valeur immobilière s'élève à des dizaines de millions. De l'autre côté de la ville, l'immensité des " kebbas " (terme qui signifie, littéralement, "décharges ") et " gazras " (squat). Une situation qui dure depuis plus de trente ans ! La moitié de l'âge de Nouakchott !

Les pouvoirs publics ont tout essayé pour mettre un terme à cette incursion de la ruralité dans la modernité. Des distributions de lots en 1975 ont abouti à la création des populeuses - et populaires - moughataas d'El Mina et de Sebkha. On pensait avoir fini avec le phénomène des " gazras " et des " kebbas " mais il n'en fut rien. Malgré les opérations de relogement à " Hay Saken " (le quartier permanent), Bouhdida, " Kebbet Marbet ", " Gazret Arafat " sont toujours là pour narguer les autorités. Les gouvernements et leurs projets de redessiner Nouakchott passent, les quartiers périphériques ne changent ni de physionomie ni d'image !

En 2001 déjà, le Commissariat aux Droits de l'Homme, à la Lutte contre la Pauvreté et à l'Insertion (CDHLCPI), aujourd'hui mort et enterré, prend le problème de l'habitat à Nouakchott au sérieux en mettant en œuvre le projet " Twizé ", une sorte de " mutuelle " de l'habitat social qui a permis d'aider des habitants des kebbas à construire une pièce avec ses annexes. Le succès moyen de cette politique sociale de l'habitat a poussé les pouvoirs publics à créer une Agence pour le développement urbain (ADU) qui bénéficie d'un financement conséquent de la Banque mondiale et qui vient en renfort aux efforts du CDHLCPI. On ne pensait pas vraiment alors à relooker le visage de la capitale pour le rendre attrayant mais à faire œuvre sociale en permettant à près de 20.000 ménages pauvres d'avoir un habitat décent.


" Kebba " et " Gazra " : pourquoi elles sont toujours là



La présence de ces bidonvilles et leur immensité n'échappent pas au visiteur venant en Mauritanie par la voie des airs, empruntant la Nationale 2 (Nouakchott-Rosso) ou la Route de l'Espoir reliant la capitale à la ville de Néma, à plus de 1200 kilomètres sur la frontière avec le Mali.

La campagne actuelle menée par les pouvoirs publics pour mettre fin aux phénomènes des " Kebba " et des " Gazra " se veut le dernier acte d'une entreprise qui dure depuis plus de trente ans. Car parallèlement à l'action conduite par le truchement de la Société de Construction et de Gestion Immobilière (Socogim), les pouvoirs publics avaient entrepris, à partir de 1975, de lutter contre l'agrandissement des bidonvilles à Nouakchott par la création de lotissements dont les parcelles sont attribuées aux familles les plus nécessiteuses des " kebba ". En 1975, plus de 8700 parcelles sont implantées à la hâte - sans équipements ni infrastructures qui viendront très progressivement par la suite - Cette première opération a donné naissance aux actuelles moughataa (départements) d'El Mina et de Sebkha. En 1985, l'Etat refait la même opération en distribuant plus de 16.000 parcelles aux familles pauvres de la ville.

Après que le 3ème Plan d'Urbanisme de Nouakchott, étudié en 1981, ait été remanié et finalement approuvé en octobre 1987, les autorités commencent en 1988 à procéder à l'attribution progressive aux occupants des bidonvilles de la capitale d'une partie des 60.000 parcelles " évolutives " prévues par ce plan. C'est la naissance des moughataa d'Arafat, de Toujounine et de Dar Naïm. On pensait alors le problème réglé définitivement mais c'était compter sans le nomadisme et l'affairisme légendaire des Mauritaniens.

Dans un contexte général marqué par le boum de l'immobilier, les terrains attribués aux populations les plus pauvres de la ville sont devenus objet d'une spéculation enfiévrée qui aboutit à les faire changer de main au profit d'un segment plus fortuné de la population. Selon l'étude d'Olivier D'Hont, "Contribution à l'étude de la sédentarisation en milieu urbain des populations nomades sinistrées ", sur les 7.500 parcelles attribuées à Nouakchott en 1975, 80% avaient changé d'occupants deux ans plus tard ! Déjà, à cette époque, le profit était énorme : une parcelle payée 5000 UM se revendait après deux ans à 100.000 Ouguiyas. En 1988, le cours de la même parcelle dans le 5ème Arrondissement (Sebkha) ou le 6ème (El Mina), équipés de bornes fontaines et de l'éclairage public, se situe autour de 500.000 UM. Cette fièvre spéculative, alimentée maintenant par la pénurie de terrains, ne s'éteindrait pas nécessairement par la saturation du marché qui résulterait d'une offre massive de parcelles. Car d'autres facteurs que la rareté se mettant alors à jouer un rôle dans la construction du prix des terrains : proximité du centre - ville, niveau d'équipement, type de clientèle, etc. Actuellement, une maison se situant aux abords de l'un des deux marchés de ces deux moughataas peut facilement faire gagner à son propriétaire un jackpot de quelques dizaines de millions d'Ouguiyas ! Cependant, les sommes considérables mises en jeu par cette économie souterraine ne servent qu'à payer des terrains sans aucune viabilité - condition de vie que l'Etat devra inévitablement par la suite amener.


Une ville au périmètre infini


Le premier rapport-dignostic sur l'évolution de la ville de Nouakchott a été fait en 2000 par la commune de Nouakchott, en collaboration avec plusieurs administrations publiques et dans la perspective du lancement de l'ambitieux Programme de Développement urbain (PDU) destiné à l'élaboration de programmes d'urbanisme pour les villes de Nouakchott, de Nouadhibou et de Kaédi.

Le volumineux rapport rappelle dans son analyse que la ville de Nouakchott comprenait, jusqu'en 1972, quatre zones biens définies : une zone administrative et industrielle (50 hectares), des zones résidentielles répondant à certaines normes urbanistiques quoique approximatives (140 hectares), des quartiers non soumis à des restrictions de surface particulières et enfin le vieux " village " du Ksar (160 hectares). Mais en 1974, face à la demande de recasement des vagues de ruraux qui ont fui les villes de l'intérieur pour venir chercher du travail à Nouakchott, l'administration implanta à la hâte près de 8.7000 parcelles au nord et au sud de la ville qui vont devenir plus tard les moughataa de Sebkha, El Mina et Teyarett. Entre 1975 et 1985, se développait au nord-ouest le quartier résidentiel de Tevragh-Zeïna. C'est de là que le mal est parti. La demande devient très forte. " L'âge d'or " de la spéculation foncière fait naître une activité faisant le bonheur de ceux qui avait des ressources financières à placer. Avec le développement rapide de la ville et l'inexistence de lots attribuables dans le centre-ville, les places publiques attisent la convoitise des grands commerçants et des hommes puissants des pouvoirs qui se sont succédé en Mauritanie.

Paradoxalement, c'est l'Etat qui est le premier responsable de l'essor de la spéculation foncière. Chaque année, son budget prévoit l'entrée de 500 millions d'ouguiyas provenant de la vente de terrains, " ce qui implique la mise en vente sur le marché de 2000 à 3000 nouveaux lots par an, rien qu'en zone évolutive ", constate le bureau d'études ETASCO, auteur du rapport-dignostic cité plus haut. Il y est notamment indiqué que " le besoin en lots n'est pas le seul élément qui enclenche une opération de lotissement, car l'administration entame de nouvelles opérations de lotissement alors que des secteurs attribués depuis 10 ans ne sont ni clôturés ni mis en valeur " ! La ville n'ayant pas de limites prédéfinies, les services de l'urbanisme peuvent en étendre le périmètre à l'infini.

C'est à défaut d'une réglementation et d'une distribution rigoureuses des rôles que le secteur urbain connaît la situation chaotique du moment. On peut notamment citer, en dehors de la pauvreté des moyens humains et techniques, le manque de clarification des rôles (qui fait quoi ?), le manque de concertation et de coordination entre les différents acteurs, manque de planification.

En effet, les actions de développement urbain sont exécutées sous le sceau de l'urgence en faisant fi de la hiérarchie des besoins et des priorités. Les décisions sont prises de manière pas toujours claire.

La ville de Nouakchott dispose, par exemple, d'un schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme qui définit les destinations d'usage de sols, les infrastructures, les équipements urbains, les airs d'activités productives mais, suite au non respect des prescriptions de ce schéma, la ville s'est développée sans référence à un cadre de programmation urbaine. C'est ce règlement qui établit les procédures d'instruction et de délivrance des autorisations de mise en valeur sous la forme de permis de construire. Seulement, en dépit de cette importance accordée au permis de construire, son dossier et sa procédure de circulation ont été réduits, jusqu'à récemment encore, à une formalité administrative sans valeur.

Enfin, il est à noter que le cadastre qui est un outil de gestion et de conservation des propriétés foncières fait actuellement défaut et seuls les registres détenus par le service de la conservation foncière jouent ce rôle. A cause de tous ces défauts, il est permis de dire qu'en matière d'aménagement de l'espace urbain et du développement urbain, Nouakchott a tout d'un immense no man's land.



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l'authentique

Jeudi 15 Octobre 2009
Boolumbal Boolumbal
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