Les facteurs de blocage de l'économie Mauritanienne :



Les facteurs de blocage de l'économie Mauritanienne :
La situation difficile que traverse la société mauritanienne depuis plusieurs décennies et qu’elle devra subir pendant quelques années encore, prend ses racines dans les profondeurs socio-économiques du pays. La conjoncture récente internationale et nationale n’a fait qu’exacerber les effets de cette situation.

Bien que le mot « crise » ait été galvaudé par les multiples usages dont il a fait l’objet ces dernières années ; nous le prenons ici pour en cerner les composantes. Elles sont nombreuses et diverses ; leur profondeur pour celle des difficultés que nous vivons ; elle prouve aussi celle des mesures à prendre pour assainir la situation et remettre la société mauritanienne sur les rails du développement et de la motivation active.

Les diverses facettes de la crise mauritanienne se situent sur le plan économique, financier, social, administratif, judicaire et même morale. Différents mesures ont été prises ces dernières années, mais ils doivent être accompagnées d’une action en profondeur sur les structures socio-économiques du pays.

Une situation économique et financière contraignante

Le contexte économique mauritanien est marqué par de persistants facteurs de blocage structurels. Nous énumérons ici les principaux :

- La faiblesse et le cloisonnement du marché intérieur caractérisé par une faible capacité d’absorption. La demande solvable des ménages mauritaniens reste très faible. Le SMIC de l’heure actuelle (qui n’est pas souvent respecté dans l’économie souterraine) représente certes un faible coût de production mais induit aussi une demande potentielle nationale quasi-inexistante pour les produits nationaux, alors qu’une grande partie de la demande solvable s’adresse à l’extérieur. La sécheresse des dernières années n’a fait qu’accentuer ces difficultés. Cette double caractéristique du marché intérieur réduit le potentiel de rentabilité des projets d’investissement et surtout ceux « industriels ». cela impose des exportations parfois subies dans des conditions de compétitivité douteuse, sur des produits et des marchés caractérisés par une intense concurrence internationale.

- Parallèlement, les flux d’importations de matières énergétiques, de denrées alimentaires, de produits d’équipement et de consommation sont de plus en plus lourds et incompressibles. Cependant, les déséquilibres de la balance des paiements et commerciale sont fondamentaux.

- La faiblesse du capital disponible pour les investissements productifs et à risque. Les investissements spéculatifs et non créateurs de valeur sont plus fréquents. Le tissu industriel n’est pas dense et les relations inter-entreprises très faibles. L’apprentissage inter-industriel est réduit et la propagation de richesse limité.

- Enfin, il importe d’indiquer que les données statistiques disponibles ne donnent qu’un reflet partiel de la réalité.
La Mauritanie, comme d’autres pays, se caractérise par une « économie souterraine » très importante dans la majorité des secteurs d’activités et dans des activités hors nomenclature sectorielle.

Les pesanteurs socio-professionnelles incontournables

Elles peuvent être schématisées par :

- La rareté de l’esprit de l’entreprise

Dans toute économie de marché, un des moteurs fondamentaux du développement réside dans la disponibilité d’un vivier d’entrepreneurs dynamiques. Ce vivier semble très restreint en Mauritanie. La mentalité entrepreneuriale y est embryonnaire. Le risque industriel y est mal accepté par les détenteurs de capitaux (commerçants et gros propriétaires fonciers et immobiliers). Par ailleurs, les hommes qui disposent d’une formation technique et économique préfèrent le statut de salarié à celui d’entrepreneur. Le capital de départ n’existe pas souvent et les responsabilités familiales sont importantes et rendent difficile l’acceptation du risque.

Enfin, des blocages psychologiques et sociaux font que l’innovateur est perçu comme dangereux pour le fragile équilibre de son entourage. L’individu est éduqué dans un cadre de dépendance étroite à l’égard de son milieu. Une politique d’incitation à l’égard de cette catégorie de créateurs potentiels devrait constituer un axe prioritaire de l’action publique.

- La rareté d’une main d’œuvre convenablement formée


Malgré les qualités professionnelles généralement reconnues à la main d’œuvre mauritanienne (sérieux, faible absentéisme…), le manque de formation est un handicap que l’investisseur doit supporter au départ. La formation professionnelle a été le parent le plus pauvre du système éducatif mauritanien, sans parler de la faiblesse et des problèmes structurels auxquels se heurte l’enseignement mauritanien en général. La formation professionnelle est un axe d’action d’une importance capital qui doit être intégré dans toute politique de réforme économique.

- L’enseignement général aux faibles préoccupations professionnelles

Enfin, l’enseignement reste trop général dans le secondaire comme dans le supérieur. Cependant, un certain déphasage existe entre la formation dispensée et le monde économique réel. Le manque d’information économique est par ailleurs un frein indéniable à l’action et au dynamisme des agents économiques. Sa production et surtout sa diffusion constituent un nécessaire impérieux. D’autre part, la création des instituts à vocation professionnels et technologiques (comme les IUT en France et les EST au Maroc) et le développement des centres de formation professionnelle peuvent donner un espoir, dans le cadre d’une politique plus générale, à dépasser cette situation inquiétante de l’enseignement.

Des comportements administratifs et judiciaires démotivants

La valeur économique de toute action volontariste de développement s’estompe trop souvent encore, dans le brouillard étouffant d’une Administration d’exécution parfois harassante et d’une justice à l’efficacité discutable



- Les pesanteurs administratives


L'efficacité de l'administration dépend de la qualité de ses moyens humains et de leur motivation, elle dépend aussi de la qualité de son organisation et des moyens matériels dont elle dispose. Sur ces différents plans, l'administration mauritanienne semble être pauvre.

Il n'est pas rare de s'entendre affirmer l'excès de formalisme, la complexité des procédures, la lourdeur et la lenteur d'exécution de l'administration lors des différentes étapes que traverse l’investisseur dans ses contacts avec l'Administration. Malgré la volonté simplificatrice des hauts fonctionnaires de l'Etat et malgré les affirmations des gouvernants voulant encourager et assister les investisseurs, il semble qu'au niveau exécutif et au niveau des échelons bas de l'administration beaucoup d'efforts restent à réaliser pour traduire le discours au niveau des actes.

Pour résumer, force est de constater que les pesanteurs administratives, les rigidités de comportements et les procédures tant harassantes que répétitives, peuvent ruiner les volontés d'investissements si elles devraient persister. Les investisseurs, néanmoins, n’ignorent pas ces problèmes, encore que, selon les cas, ils les exagèrent (théorie de l’iceberg pour les pessimistes) ou les minorent (théorie du bon aveugle pour les optimistes). Ils s’y soumettent ou même en tirent parti.

- L’efficacité relative de la justice

En Mauritanie, l'efficacité relative de la justice est contestable sur tous les plans : civil, commercial et pénal. Il n'est pas rare de voir une procédure judiciaire n'aboutir qu'au terme d'une période longue de 5 ans et parfois dix ans. Le plus pesant encore est l'incertitude qui pèse sur la nature du jugement compte tenu de la non actualisation des codes, de la quasi absence de la jurisprudence écrite et parfois de la probité relative de certains rouages de la juridiction.

La spécialisation des juges semble insuffisante notamment en matière économique, fiscale et financière. Le domaine de la protection industrielle et des droits d'auteur est une question importante pour tout investisseur, en particulier étranger, qui ne comprendrait plus la non condamnation des situations d'imitation et de concurrence déloyale par la juridiction.

En outre, une des caractéristiques du système est de voir certains jugements prononcés ne pas recevoir d'exécution ou une exécution tardive ou enfin partielle. Les raisons en sont multiples et relèvent tant de l'insuffisance des moyens de la justice et du besoin d'impliquer les autorités et parfois la force publique, dans un environnement ou les interférences relationnelles de nature familiale et tribale ne sont pas négligeables…

Le dernier aspect, et non des moindres, est l'indépendance des juges et des juridictions à l'égard du pouvoir exécutif. Il y va de la crédibilité du système et de l'Etat de Droit que tout citoyen souhaite voire se renforcer.





En guise de conclusion


Cette situation perplexe et délicate dans laquelle se bat l’économie mauritanienne nous demande tous d’analyser, de réfléchir et d’œuvrer tous ensemble pour éliminer les facteurs de blocages existants dans les rouages de l’économie tant au niveau purement économique et productif qu’au niveau sociale et même culturel et psychologique. Car, comme on vu brièvement, cette situation n’est pas seulement la résultante de facteurs purement économiques et financiers.

Sans avoir l’occasion, ici, de proposer des remèdes à long terme et des mesures concrètes sur le court terme pouvant nous faire sortir de la « crise », il nous suffit d’insister sur le fait que toute action réformatrice, pour ne pas dire révolutionnaire, qui aura comme aboutissement de rendre l’économie mauritanienne plus efficace, plus productive et plus sociale…est l’affaire de tout le monde.

En guise de conclusion, force est de constater que la Mauritanie, en dehors des divers facteurs de blocages analysés ci-dessus, possède d’énormes potentialités d’investissement et de développement qui ne sont ni rares, ni négligeables. Mais l’esprit de notre analyse, qui peut être vu par certain comme négatif et pessimiste, repose sur le fait que la localisation et la connaissance de des difficultés constitue une première étape dans leur atténuation et nous aiderons les à les surmonter.



Amadou Abdoul, Economiste

Source: Mauritanies1

Dimanche 25 Octobre 2009
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