
Que n’a-t-on pas dit de l’Education nationale ? Délabrement avancé, mauvaise organisation, incapacité de dépasser ses tares, congénitales, semble-t-il. Tant de choses à déplorer qu’en parler devient de la redondance provocatrice.
Que ça n’aille pas dans ce secteur, pourtant vital, n’émeut plus personne. Même pas ceux chargés de le piloter. Depuis plus de trois décennies, pratiquement tous, décideurs et usagers, savent, pertinemment, que l’école mauritanienne constitue un cuisant échec. Les résultats de ses différents ordres d’enseignement sont des preuves, irréfutables, de la déchéance de notre système éducatif qui a pourtant permis, de l’indépendance aux années 80, la formation de plusieurs milliers de bons cadres, dans des conditions beaucoup plus précaires. Premier employeur de la fonction publique, avec plus de 18.000 fonctionnaires (professeurs et instituteurs), le département de l’Education nationale se débat dans une crise inextricable, malgré les financements, énormes, qu’il engloutit. Ses locaux délabrés, la mine de son personnel, toutes catégories confondues, la vétusté de son parc automobile et de ses équipements de bureaux interpellent le visiteur, sur la destination des milliards d’ouguiyas que les bailleurs de fonds ont injectées, ces dernières années, dans le cadre des projets comme le Programme National du Développement du Secteur Educatif (PNDSE), ou les projets Education 1, 2, 3, 4, 5 et autres. Une nouvelle fois, le gouvernement vient d’instituer la séparation entre le fondamental et le secondaire. Une mesure différemment appréciée par les cadres du Ministère. Depuis 2004, au gré d’intempestifs changements, le secteur connaît remodelages sur remodelages, toujours improvisés, ne visant qu’à satisfaire les caprices, insatiables, de groupuscules dont la seule préoccupation est de se tailler, sur mesure, des postes capables de générer les plus grands profits. La restructuration positive de l’enseignement n’est pas pour demain. En ce constat navré, Le Calame vous invite, malgré tout, à une promenade dans les méandres d’un département qui n’en finit plus de se décomposer, dégageant des miasmes d’anarchie, de mauvaise gestion et de laisser-aller, contre lesquels les nominations de complaisance et les parachutages post-électoraux ne sont pas les mesures les plus indiquées, pas plus que pour sortir, du marasme, un secteur aussi gravement malade.
Une fonction dévalorisée
La question de la dévalorisation de la fonction enseignante n’est pas propre à la Mauritanie. Beaucoup de pays, notamment la France, l’ont connue. Mais, en Mauritanie, le problème est plus complexe, car rien n’est fait pour le circonscrire. Pire, certaines manifestations, parfois officielles, contribuent à l’exacerber. Autant, l’enseignant était l’objet de considération, d’envie et de respect, il y a quelques décennies, au point que certains illustres griots exigeaient sa signature, pour juger de la qualité de leur tube, autant est-il, aujourd’hui, l’objet de tous les quolibets. Et ce ne sont pas les dizaines d’instituteurs et de professeurs, rassemblés, sous les arbres, devant les directions de l’enseignement fondamental et secondaire, qui me démentiront. Entre quelques bouffées de tabac, une partie de cartes avec les plantons du Ministère et des informations imprécises que distillent des collègues revenus, bredouilles, des banques, un groupe de « moualims » et d’« oustadhs » attendent les dernières nouvelles sur les providentielles primes d’éloignement et de craie. De l’autre côté de la rue, certains ont, depuis longtemps, préféré se recycler en vendeurs de cartes de recharge, en crieurs anonymes de journaux, en tiebtiebs de boubous et de montres d’occasion. « Comment », me prend à témoin M’Baye, « veux-tu que je puisse enseigner, valablement, quand mon maigre salaire ne me permet pas de vivre honorablement ? Je suis », me dit-il, « en fonction depuis plus de vingt ans. Je touche à peine 72.000 ouguiyas. Alors que mes deux petits frères, l’un policier, l’autre douanier, qui n’ont même pas atteint le collège, roulent dans de belles voitures, habitent de belles maisons. Heureusement, d’ailleurs : sans eux, je serais certainement mort, depuis longtemps (rires). Augmentations, enseignants les mieux payés, métier le plus noble du monde : Tout ça ce sont des histoires dont s’accommodent, très mal, madame, les enfants et la marmite ».
Pour quelle école ?
Incontestablement, le département de l’Education constitue un axe central, dans le développement de tout pays. Sans éducation, pas de santé, pas de sécurité, pas de justice, bref : pas de vie. Ses problèmes sont transversaux. La question de l’éducation est un problème mondial. Selon M.S., un inspecteur retraité, la Mauritanie a une école, mais n’a pas de système éducatif. Car, pour faire un système, il est impératif de tenir compte des objectifs attendus de l’école. Or, aujourd’hui, il y a une véritable déconnexion entre l’école proposée et la société dans laquelle elle évolue. Déjà, voici plusieurs années, Bâ Amadou Racine, dans sa thèse de doctorat en sciences de l’éducation, intitulée : « une école sans société », a tiré la sonnette d’alarme. Cette connexion exige qu’on tienne compte de plusieurs paramètres, comme le choix de l’option et la politique scolaire, la conception et la mise en œuvre d’une bonne formation, initiale et continue, pour les encadreurs, une adhésion, populaire, au projet proposé, et une confiance, totale, au système en place. Or, le placement des fils des décideurs – président de la République, en tête, et ministres tous derrière, y compris celui de l’éducation – dans les écoles privées, qui enseignent, parfois, des programmes étrangers, prouve l’incohérence et la contradiction des choix. Cette attitude perpétue l’injustice et l’inégalité des chances, entre les citoyens. Allez savoir qui sont ceux dont les fils sont les mieux formés, ici et à l’étranger ? Dans les corps constitués et aux hautes fonctions de l’administration, les fils de ces mêmes personnes occupent les places d’excellence, de l’indépendance à nos jours. Les rares fils de Jacques qui réussissent ne sont que l’exception qui confirme la règle. L’uniformisation de l’école contribuerait, grandement, à sa crédibilisation, au sein des populations. La promotion des critères du mérite, dans un cadre unifié, pourvu de modules de formation adéquats, mobilisant des staffs de qualité, est la seule garantie d’un climat social apaisé et sain. Deux écoles parallèles, aux enseignements distincts, constituent une mauvaise option, aux conséquences imprévisibles. La cohorte d’enfants jetés, à la rue, par une école sans lendemain, forme la couche où recrutent les vendeurs d’illusion et les malfrats de la drogue et du mercenariat.
A chacun son ordre
De l’avis des spécialistes, la création d’un Ministère de l’Enseignement Fondamental est une décision importante. Il était temps que les décideurs comprennent, enfin, que cette institution de base est la clé de voûte, dont dépendent tous les autres ordres d’enseignement. Et que, depuis plusieurs années, celle-ci souffre de la gestion de profanes qui en ignorent, les arcanes et la quintessence. Mais, institutionnelle, cette séparation doit être, surtout, effective. Pour cela, le pilotage de toutes les phases du système fondamental doit incomber à ses nombreux cadres – inspecteurs de l’enseignement fondamental et instituteurs – choisis sur la base de critères objectifs. Aussi bien sur le plan central que régional, le personnel issu du fondamental doit être mis devant ses responsabilités, tout comme celui du secondaire doit poursuivre l’action, au niveau des collèges et lycées. Les conflits de compétences, au sein du système, consécutifs au fusionnement anti-pédagogique de 2003, ne sont pas étrangers à la confusion et aux mauvaises prestations de certaines directions régionales dont les responsables ne disposent d’aucune formation préalable, pour assumer des responsabilités si complexes. La politisation excessive du secteur a, elle aussi, contribué à sa déliquescence. Ainsi, alors que l’arrêté 023/1959 stipule que le cycle des inspecteurs du fondamental est chargé du pilotage, de l’encadrement et de l’administration scolaire, des manœuvres malveillantes ont permis de placer, à ces postes-clés, des personnes que rien ne prédispose à ces responsabilités. Tout comme d’autres manœuvres ont permis de « réorienter » des financements, préalablement destinés à l’enseignement de base. Dès l’annonce de cette nouvelle mesure de séparation, qui permet, pourtant, de décharger et de réorganiser le secteur, certains responsables se sont mobilisés, allant jusqu’à saisir les plus hautes autorités, pour s’insurger contre elle. Pourquoi ? Peut-on refuser de confier, à chacun, son domaine, pour l’assainir ? Véritablement, il y a anguille sous roche.
Nebghouha, la Diambar (l’Héroïne, en Wolof)
Venue à l’éducation en 2007, avec le premier gouvernement de Sidioca, Nebghouha Mint Mohamed Vall, unique femme ayant occupé le Département, de l’indépendance à nos jours, a laissé des empreintes indélébiles au MEN. Grâce à une rigueur légendaire, à une forte personnalité et à son sens de gestionnaire de formation, cette femme, d’à peine 42 ans, a réussi là ou des dizaines d’hommes ont lamentablement échoué. Son bref passage, juste un an, a permis de dégraisser le mammouth et secoué un jujubier épineux où beaucoup de mâles ont laissé leur pantalon. C’est elle qui eut l’audace et le courage d’organiser un test-diagnostic qui, tout en donnant une idée du niveau des enseignants – instituteurs et professeurs – a permis de faire revenir, des différents autres départements, des centaines d’encadreurs, recyclés et envoyés dans les établissements scolaires. La revalorisation des indemnités de craie, de responsabilités et autre éloignement, c’est elle. L’implication, effective, des syndicats de l’enseignement et des associations des parents d’élèves dans l’opération éducative, c’est encore elle. C’est encore elle qui, la première, lance un appel à candidatures, pour le pourvoi des postes de responsabilité et construit une base de données fiables. Enfin, c’est elle qui n’a signé aucune note d’affectation ou de détachement, sinon dans des cas exceptionnels.
Le MEN en chiffres…
Avec 15.193 instituteurs, dont 12.659, seulement, sont sur le terrain et 1.326 au secondaire (surveillants généraux, économes, surveillants) et 3.663 professeurs, le Ministère de l’Education Nationale est, de loin, le secteur public qui emploie le plus de personnes. Sur le plan des infrastructures, il compte 3.665 écoles fondamentales qui accueillent 485.504 élèves et 181 établissements secondaires où apprennent 94.000 élèves. Deux Ecoles Normales d’Instituteurs (ENI). Une Ecole Normale Supérieure (ENS). Une Université. Un Institut Pédagogique National (IPN).
Et en réformes
Le système éducatif mauritanien a connu, de l’indépendance à nos jours, cinq réformes. En 1959, enseignement du français prépondérant, avec deux heures, facultatives, d’Arabe. En 1967, avec Ely Ould Allaf. En 1973, sous Mohameden Ould Babbah, réforme caractérisée par trois filières : arabe, bilingue et française. Celle de 1979, avec Hasni Ould Didi, c’est la réforme de l’Arabe, pour les Maures, et le français, pour les Négro-Africains. Deux écoles distinctes, pour un même peuple. C’est au cours de cette réforme que l’institut des langues nationales est fondé. Enfin, la réforme d’avril 1999, sous Sghair Ould Mbareck et Ould Nagi. Retour en force du français, avec l’enseignement du calcul et des sciences, dans cette langue. Mais, par définition, une réforme doit se caractériser par une vision globale, à caractère systémique, qui se veut porteuse de solutions, voire d’innovations, à des niveaux différents, curriculaire et évaluatif, notamment. Or, les cinq réformes intervenues ne furent que le fruit d’improvisations politiques, sans rapport avec les besoins pédagogiques et structurels de l’école mauritanienne. La preuve est qu’après tous ces aménagements, aucune amélioration notoire n’a été constatée.
Réactions
Coulibaly L., inspecteur de l’enseignement fondamental : « Les problèmes de l’éducation sont si nombreux qu’il est fastidieux de les énumérer. Des conditions des enseignants, aux infrastructures scolaires ; des choix pédagogiques, aux objectifs attendus de l’école : rien de véritablement clair. Selon moi, tout est à refaire. Et pour cela, il faut du temps. Beaucoup de temps ».
Brahim A., parent d’élève : « Vous savez, j’ai mes enfants ici, dans cette école du quartier. Un établissement de plus de sept classes, qui ne dispose que de deux instituteurs, souvent absents. Je compte réorienter mes deux grands vers le garage de mon frère et le plus jeune ira à la mahadra. Histoire de ne pas perdre le temps ».
D.S., professeur : « La crise est structurelle. Il faut initier de vastes rencontres, entre tous les partenaires de l’opération pédagogique, afin de diagnostiquer les véritables maux dont souffre le système. Il ne sert à rien de continuer à changer d’organigramme et de personne. La question est beaucoup plus complexe ».
Fatimetou A.B., institutrice : « Moi, je travaille depuis plus de vingt ans. Jamais, de mémoire d’enseignante, je n’ai vu une aussi grande pagaille que celle qui prévaut aujourd’hui. Dans mon école, c’est un jeune instituteur d’à peine dix ans de service qui est directeur. Alors que trois, au moins, de son staff, sont plus anciens que lui. C’est injuste. Ça décourage et ça influe sur les résultats ».
Sneiba El Kory
Source: Le Calame
Que ça n’aille pas dans ce secteur, pourtant vital, n’émeut plus personne. Même pas ceux chargés de le piloter. Depuis plus de trois décennies, pratiquement tous, décideurs et usagers, savent, pertinemment, que l’école mauritanienne constitue un cuisant échec. Les résultats de ses différents ordres d’enseignement sont des preuves, irréfutables, de la déchéance de notre système éducatif qui a pourtant permis, de l’indépendance aux années 80, la formation de plusieurs milliers de bons cadres, dans des conditions beaucoup plus précaires. Premier employeur de la fonction publique, avec plus de 18.000 fonctionnaires (professeurs et instituteurs), le département de l’Education nationale se débat dans une crise inextricable, malgré les financements, énormes, qu’il engloutit. Ses locaux délabrés, la mine de son personnel, toutes catégories confondues, la vétusté de son parc automobile et de ses équipements de bureaux interpellent le visiteur, sur la destination des milliards d’ouguiyas que les bailleurs de fonds ont injectées, ces dernières années, dans le cadre des projets comme le Programme National du Développement du Secteur Educatif (PNDSE), ou les projets Education 1, 2, 3, 4, 5 et autres. Une nouvelle fois, le gouvernement vient d’instituer la séparation entre le fondamental et le secondaire. Une mesure différemment appréciée par les cadres du Ministère. Depuis 2004, au gré d’intempestifs changements, le secteur connaît remodelages sur remodelages, toujours improvisés, ne visant qu’à satisfaire les caprices, insatiables, de groupuscules dont la seule préoccupation est de se tailler, sur mesure, des postes capables de générer les plus grands profits. La restructuration positive de l’enseignement n’est pas pour demain. En ce constat navré, Le Calame vous invite, malgré tout, à une promenade dans les méandres d’un département qui n’en finit plus de se décomposer, dégageant des miasmes d’anarchie, de mauvaise gestion et de laisser-aller, contre lesquels les nominations de complaisance et les parachutages post-électoraux ne sont pas les mesures les plus indiquées, pas plus que pour sortir, du marasme, un secteur aussi gravement malade.
Une fonction dévalorisée
La question de la dévalorisation de la fonction enseignante n’est pas propre à la Mauritanie. Beaucoup de pays, notamment la France, l’ont connue. Mais, en Mauritanie, le problème est plus complexe, car rien n’est fait pour le circonscrire. Pire, certaines manifestations, parfois officielles, contribuent à l’exacerber. Autant, l’enseignant était l’objet de considération, d’envie et de respect, il y a quelques décennies, au point que certains illustres griots exigeaient sa signature, pour juger de la qualité de leur tube, autant est-il, aujourd’hui, l’objet de tous les quolibets. Et ce ne sont pas les dizaines d’instituteurs et de professeurs, rassemblés, sous les arbres, devant les directions de l’enseignement fondamental et secondaire, qui me démentiront. Entre quelques bouffées de tabac, une partie de cartes avec les plantons du Ministère et des informations imprécises que distillent des collègues revenus, bredouilles, des banques, un groupe de « moualims » et d’« oustadhs » attendent les dernières nouvelles sur les providentielles primes d’éloignement et de craie. De l’autre côté de la rue, certains ont, depuis longtemps, préféré se recycler en vendeurs de cartes de recharge, en crieurs anonymes de journaux, en tiebtiebs de boubous et de montres d’occasion. « Comment », me prend à témoin M’Baye, « veux-tu que je puisse enseigner, valablement, quand mon maigre salaire ne me permet pas de vivre honorablement ? Je suis », me dit-il, « en fonction depuis plus de vingt ans. Je touche à peine 72.000 ouguiyas. Alors que mes deux petits frères, l’un policier, l’autre douanier, qui n’ont même pas atteint le collège, roulent dans de belles voitures, habitent de belles maisons. Heureusement, d’ailleurs : sans eux, je serais certainement mort, depuis longtemps (rires). Augmentations, enseignants les mieux payés, métier le plus noble du monde : Tout ça ce sont des histoires dont s’accommodent, très mal, madame, les enfants et la marmite ».
Pour quelle école ?
Incontestablement, le département de l’Education constitue un axe central, dans le développement de tout pays. Sans éducation, pas de santé, pas de sécurité, pas de justice, bref : pas de vie. Ses problèmes sont transversaux. La question de l’éducation est un problème mondial. Selon M.S., un inspecteur retraité, la Mauritanie a une école, mais n’a pas de système éducatif. Car, pour faire un système, il est impératif de tenir compte des objectifs attendus de l’école. Or, aujourd’hui, il y a une véritable déconnexion entre l’école proposée et la société dans laquelle elle évolue. Déjà, voici plusieurs années, Bâ Amadou Racine, dans sa thèse de doctorat en sciences de l’éducation, intitulée : « une école sans société », a tiré la sonnette d’alarme. Cette connexion exige qu’on tienne compte de plusieurs paramètres, comme le choix de l’option et la politique scolaire, la conception et la mise en œuvre d’une bonne formation, initiale et continue, pour les encadreurs, une adhésion, populaire, au projet proposé, et une confiance, totale, au système en place. Or, le placement des fils des décideurs – président de la République, en tête, et ministres tous derrière, y compris celui de l’éducation – dans les écoles privées, qui enseignent, parfois, des programmes étrangers, prouve l’incohérence et la contradiction des choix. Cette attitude perpétue l’injustice et l’inégalité des chances, entre les citoyens. Allez savoir qui sont ceux dont les fils sont les mieux formés, ici et à l’étranger ? Dans les corps constitués et aux hautes fonctions de l’administration, les fils de ces mêmes personnes occupent les places d’excellence, de l’indépendance à nos jours. Les rares fils de Jacques qui réussissent ne sont que l’exception qui confirme la règle. L’uniformisation de l’école contribuerait, grandement, à sa crédibilisation, au sein des populations. La promotion des critères du mérite, dans un cadre unifié, pourvu de modules de formation adéquats, mobilisant des staffs de qualité, est la seule garantie d’un climat social apaisé et sain. Deux écoles parallèles, aux enseignements distincts, constituent une mauvaise option, aux conséquences imprévisibles. La cohorte d’enfants jetés, à la rue, par une école sans lendemain, forme la couche où recrutent les vendeurs d’illusion et les malfrats de la drogue et du mercenariat.
A chacun son ordre
De l’avis des spécialistes, la création d’un Ministère de l’Enseignement Fondamental est une décision importante. Il était temps que les décideurs comprennent, enfin, que cette institution de base est la clé de voûte, dont dépendent tous les autres ordres d’enseignement. Et que, depuis plusieurs années, celle-ci souffre de la gestion de profanes qui en ignorent, les arcanes et la quintessence. Mais, institutionnelle, cette séparation doit être, surtout, effective. Pour cela, le pilotage de toutes les phases du système fondamental doit incomber à ses nombreux cadres – inspecteurs de l’enseignement fondamental et instituteurs – choisis sur la base de critères objectifs. Aussi bien sur le plan central que régional, le personnel issu du fondamental doit être mis devant ses responsabilités, tout comme celui du secondaire doit poursuivre l’action, au niveau des collèges et lycées. Les conflits de compétences, au sein du système, consécutifs au fusionnement anti-pédagogique de 2003, ne sont pas étrangers à la confusion et aux mauvaises prestations de certaines directions régionales dont les responsables ne disposent d’aucune formation préalable, pour assumer des responsabilités si complexes. La politisation excessive du secteur a, elle aussi, contribué à sa déliquescence. Ainsi, alors que l’arrêté 023/1959 stipule que le cycle des inspecteurs du fondamental est chargé du pilotage, de l’encadrement et de l’administration scolaire, des manœuvres malveillantes ont permis de placer, à ces postes-clés, des personnes que rien ne prédispose à ces responsabilités. Tout comme d’autres manœuvres ont permis de « réorienter » des financements, préalablement destinés à l’enseignement de base. Dès l’annonce de cette nouvelle mesure de séparation, qui permet, pourtant, de décharger et de réorganiser le secteur, certains responsables se sont mobilisés, allant jusqu’à saisir les plus hautes autorités, pour s’insurger contre elle. Pourquoi ? Peut-on refuser de confier, à chacun, son domaine, pour l’assainir ? Véritablement, il y a anguille sous roche.
Nebghouha, la Diambar (l’Héroïne, en Wolof)
Venue à l’éducation en 2007, avec le premier gouvernement de Sidioca, Nebghouha Mint Mohamed Vall, unique femme ayant occupé le Département, de l’indépendance à nos jours, a laissé des empreintes indélébiles au MEN. Grâce à une rigueur légendaire, à une forte personnalité et à son sens de gestionnaire de formation, cette femme, d’à peine 42 ans, a réussi là ou des dizaines d’hommes ont lamentablement échoué. Son bref passage, juste un an, a permis de dégraisser le mammouth et secoué un jujubier épineux où beaucoup de mâles ont laissé leur pantalon. C’est elle qui eut l’audace et le courage d’organiser un test-diagnostic qui, tout en donnant une idée du niveau des enseignants – instituteurs et professeurs – a permis de faire revenir, des différents autres départements, des centaines d’encadreurs, recyclés et envoyés dans les établissements scolaires. La revalorisation des indemnités de craie, de responsabilités et autre éloignement, c’est elle. L’implication, effective, des syndicats de l’enseignement et des associations des parents d’élèves dans l’opération éducative, c’est encore elle. C’est encore elle qui, la première, lance un appel à candidatures, pour le pourvoi des postes de responsabilité et construit une base de données fiables. Enfin, c’est elle qui n’a signé aucune note d’affectation ou de détachement, sinon dans des cas exceptionnels.
Le MEN en chiffres…
Avec 15.193 instituteurs, dont 12.659, seulement, sont sur le terrain et 1.326 au secondaire (surveillants généraux, économes, surveillants) et 3.663 professeurs, le Ministère de l’Education Nationale est, de loin, le secteur public qui emploie le plus de personnes. Sur le plan des infrastructures, il compte 3.665 écoles fondamentales qui accueillent 485.504 élèves et 181 établissements secondaires où apprennent 94.000 élèves. Deux Ecoles Normales d’Instituteurs (ENI). Une Ecole Normale Supérieure (ENS). Une Université. Un Institut Pédagogique National (IPN).
Et en réformes
Le système éducatif mauritanien a connu, de l’indépendance à nos jours, cinq réformes. En 1959, enseignement du français prépondérant, avec deux heures, facultatives, d’Arabe. En 1967, avec Ely Ould Allaf. En 1973, sous Mohameden Ould Babbah, réforme caractérisée par trois filières : arabe, bilingue et française. Celle de 1979, avec Hasni Ould Didi, c’est la réforme de l’Arabe, pour les Maures, et le français, pour les Négro-Africains. Deux écoles distinctes, pour un même peuple. C’est au cours de cette réforme que l’institut des langues nationales est fondé. Enfin, la réforme d’avril 1999, sous Sghair Ould Mbareck et Ould Nagi. Retour en force du français, avec l’enseignement du calcul et des sciences, dans cette langue. Mais, par définition, une réforme doit se caractériser par une vision globale, à caractère systémique, qui se veut porteuse de solutions, voire d’innovations, à des niveaux différents, curriculaire et évaluatif, notamment. Or, les cinq réformes intervenues ne furent que le fruit d’improvisations politiques, sans rapport avec les besoins pédagogiques et structurels de l’école mauritanienne. La preuve est qu’après tous ces aménagements, aucune amélioration notoire n’a été constatée.
Réactions
Coulibaly L., inspecteur de l’enseignement fondamental : « Les problèmes de l’éducation sont si nombreux qu’il est fastidieux de les énumérer. Des conditions des enseignants, aux infrastructures scolaires ; des choix pédagogiques, aux objectifs attendus de l’école : rien de véritablement clair. Selon moi, tout est à refaire. Et pour cela, il faut du temps. Beaucoup de temps ».
Brahim A., parent d’élève : « Vous savez, j’ai mes enfants ici, dans cette école du quartier. Un établissement de plus de sept classes, qui ne dispose que de deux instituteurs, souvent absents. Je compte réorienter mes deux grands vers le garage de mon frère et le plus jeune ira à la mahadra. Histoire de ne pas perdre le temps ».
D.S., professeur : « La crise est structurelle. Il faut initier de vastes rencontres, entre tous les partenaires de l’opération pédagogique, afin de diagnostiquer les véritables maux dont souffre le système. Il ne sert à rien de continuer à changer d’organigramme et de personne. La question est beaucoup plus complexe ».
Fatimetou A.B., institutrice : « Moi, je travaille depuis plus de vingt ans. Jamais, de mémoire d’enseignante, je n’ai vu une aussi grande pagaille que celle qui prévaut aujourd’hui. Dans mon école, c’est un jeune instituteur d’à peine dix ans de service qui est directeur. Alors que trois, au moins, de son staff, sont plus anciens que lui. C’est injuste. Ça décourage et ça influe sur les résultats ».
Sneiba El Kory
Source: Le Calame