Auto - emploi en Mauritanie "Tieb-tieb" quand tu nous tiens



Auto - emploi en Mauritanie "Tieb-tieb" quand tu nous tiens
" Tieb - tieb. " Ce mot qui signifie, dans les quatre coins de la Mauritanie, " débrouillardise ", caracole sans doute en tête des expressions les plus usitées dans le pays. Un " tieb - tiab " est celui qui, comme dirait Baudelaire, sait " pétrir de la boue pour en faire de l'or. " Le terme n'a aujourd'hui rien de péjoratif. Il se confond même avec le sens des affaires et la gloire qui accompagne toute réussite à partir de rien.Le " tieb - tieb " constitue un domaine d'auto - emploi pour des milliers de jeunes Nouakchottois dans un pays où le chômage touche près de 32% de cette frange

Au Marché " Tieb - tieb " de Sebkha (5ème Arrondissement de Nouakchott), tout se vend et s'achète : fripes venant d'Europe ou du Sénégal voisin, téléviseurs, vidéocassettes et radios de seconde main, cuisinières, frigidaires, " salons " (matelas, tapis et coussins).

" A sa naissance, commente Fadel, un militaire encore en service exposant un boubou passé sans doute plus de dix fois chez le blanchisseur, le marché " tieb - tieb " traînait une mauvaise renommée. On disait que tout objet volé le matin pouvait être récupéré le soir dans ce lieu où la police faisait souvent plusieurs descentes par jour. " Aucun objet de valeur n'était acheté ou vendu sans témoins.

Vingt ans plus tard, le " commerce " a adouci les mœurs. Le marché " Tieb - tieb " n'est plus ce repère de bandits où tous les objets volés aux riches Nouakchottois sont bradés à une classe moyenne peu regardante. Les " tieb - tiaba " sont maintenant des hommes de plus en plus jeunes, souvent des sortants de l'université de Nouakchott ou des " échoués " du bac. Le commerce s'organise. Les affaires, le " tieb-tieb ", se traitent toujours en plein air mais les dizaines de boutiques qui ceinturent le " Wall Street " ne désemplissent pas. Assis devant sa boutique de fripes, Abda guette les jeunes venus chercher le " premier choix " de chemises et pantalons qu'on ne retrouve plus dans les ballots des vêtements usagers importés d'Europe et d'Amérique par la Maison Kharchy et les commerçants Soninké. Les produits chinois dont regorgent les boutiques du Grand Marché de la Capitale n'attirent plus les jeunes, friands de chemises et de chaussures de marques françaises ou italiennes.

D'autres commerces informels viennent compléter le décor babylonien du Marché " Tieb - tieb. " Des coiffeurs ghanéens, nigérians, gambiens ou libériens proposent des coiffures " miyé " (100 UM), alors que dans les salons huppés il faut débourser cinq à dix fois plus. Des vendeuses de riz, de fruits et de boissons locales organisent des festins aux centaines de vendeurs et de visiteurs.

Ainsi ce marché, que l'on compte parmi les plus fréquentés de la capitale mauritanienne, est devenu un " centre d'affaires " où des milliers de jeunes à la recherche d'un moyen de survie s'activent chaque jour. Seul le marché du téléphone portable, né en 2001, lui livre une rude concurrence.

Dans cette autre " bourse ", les jeunes mauritaniens sont en train d'accomplir des miracles. Le commerce du portable fait vivre des milliers de jeunes qui, le matin, quittent leurs domiciles sans être sûrs de trouver quelque chose. Certes, ceux qui ont pignon sur rues, savent que les clients, acheteurs ou vendeurs, viendront à eux à la recherche d'une occase, mais les simples intermédiaires, les vendeurs d'accessoires et de téléphones de seconde main sont soumis à l'improbabilité d'un heureux coup du sort. Un rituel qui dure depuis 2001 et qui n'est pas prêt de s'arrêter.


Une débrouillardise entrée dans les mœurs


Qu'ils soient jeunes chômeurs, fonctionnaires ou retraités, de nombreux Mauritaniens semblent condamnés à la débrouille. Ils doivent se battre pour survivre. Les salaires des travailleurs des secteurs public et privé ne favorisent pas l'intégration sociale. Les revenus pratiqués en Mauritanie sont si bas qu'ils ne permettent pas de couvrir les besoins les plus essentiels.

Il y a, par ailleurs, une évolution et une diversification des besoins. Ceci est un point positif, mais les salaires ne sont pas adaptés à la nouvelle donne. De nombreux bouleversements ont changé le marché du travail. Celui-ci est devenu diversifié mais précaire. La cherté de la vie oblige des travailleurs à combiner plusieurs activités : professeur et vendeur de carte, militaire et chauffeur de taxi, comptable et entrepreneur, etc. Les retraités ont peut-être plus de chances dans ce domaine, car ils sont plus sérieux que les jeunes.

Certains jeunes ne comprennent pas que leurs parents aient des scrupules, alors que d'autres réussissent par le biais de moyens peu orthodoxes. La règle, c'est la débrouille. L'effritement du modèle social n'est jamais vu comme un phénomène pourrait être dangereux.

Les jeunes sont très différents de leurs parents. Amis et familles peuvent accuser un sage fonctionnaire de ne pas être assez débrouillard et de ne pas avoir réussi à cause de considérations purement morales. De nombreuses personnes digèrent mal les échecs de leurs parents et les accusent de ne pas avoir saisi toutes les opportunités. De là, il peut y avoir des tensions entre le père qui a failli et le fils débrouillard. La définition de la " débrouillardise " en Mauritanie se confond avec les pratiques peu orthodoxes, comme le vol et autres formes de ruse. C'est comme si les mesures du succès et du travail ont été travesties pour devenir celle de " tvegrich " (la témérité dans le vol des biens publics). La famille mauritanienne, dans divers milieux, connaît un certain étiolement des valeurs. Si les parents voient en leurs enfants des signes de succès et d'enrichissement, ils ne leur demanderont pas par quels moyens ils y sont parvenus. L'essentiel est qu'ils puissent sortir leur tête hors de l'eau. Les vieilles valeurs nomades ne sont plus aussi répandues.

Un tel contexte encourage l'informel. Même les secteurs privés et publics peuvent participer à l'élargissement du " non officiel ". A travers les bas salaires qu'ils accordent à leurs employés, ils vont amplifier le phénomène. La crainte est que la logique du secteur informel et le genre de relations qui y sont établies se généralisent.

Face au chômage, à la " mal vie " et à l'érosion du pouvoir d'achat, les Mauritaniens semblent perdre tout espoir d'une vie meilleure. Il y a évidemment le fait que les conditions économiques du pays sont difficiles, surtout pour les jeunes. Les décideurs sont tombés dans le piège du discours qu'ils ont eux-mêmes fait sur les jeunes et leurs problèmes. Le système est ainsi encouragé à poser seulement les questions d'emploi, de démocratie, de justice sociale et de développement, car il croit que la solution est à portée de main. En contrepartie, on évoque rarement les problèmes personnels qui ont trait aux valeurs, à la qualité de vie et aux autres revendications qualitatives. Ces sujets peuvent parfois être plus importants que les problèmes quantitatifs, à l'exemple du travail et du logement. Le problème essentiel demeure dans le fait de ne pas savoir tirer profit des erreurs du passé. Evidemment, la situation intellectuelle et le monopole des valeurs conservatrices, même chez les jeunes, ne favorisent pas le dialogue. La manière de voir les choses, cinquante ans après l'indépendance de la Mauritanie, est pratiquement celle qui a permis le passage du " tieb-tieb ", au sens économique du terme, au nomadisme économique actuel.


Source:
L'authentique

Vendredi 18 Décembre 2009
Boolumbal Boolumbal
Lu 420 fois



Recherche


Inscription à la newsletter