Pouvoir et opposition reprennent leur guerre larvée: Retour à la crise départ



Pouvoir et opposition reprennent leur guerre larvée: Retour à la crise départ
Après les relativement calmes mois de juin et juillet, marqués par une série de rencontres entre le président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz et quelques leaders de partis, membres de la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD) – Yahya Ould Ahmed El Waghf (ADIL), Boydiel Ould Houmeid (Wiam) et Ahmed Ould Daddah (RFD) – qu’on espérait préludes à un réel dialogue, tout cale, brusquement: la Mauritanie se retrouve, à nouveau, dans une situation «dépressive», sur le plan politique.
Les prémisses de dialogue à l’orée du nouvel hivernage font place à une vive polémique, nourrie par les ambiguïtés entourant la gestion d’un don saoudien de 50 millions de dollars US, sous le magistère de l’ancien président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. On en parlait déjà, depuis des mois mais l’appel au dialogue avait un peu étouffé les rumeurs. Un espoir d’apaisement de courte durée que la pose, brutale, d’une première banderille, par le pouvoir, aura vite anéanti. Contexte de l’attaque: la sortie-anniversaire médiatique du président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz. Un face à face avec le peuple et la presse, au cours duquel le chef de l’Etat a enterré l’accord de Dakar prônant un dialogue politique inclusif.

Celui-ci ne serait pas prescrit par la loi fondamentale et le président de dire toute sa «vénération» pour la Constitution. Grande nouveauté et «sentiment» inédit, dans un pays qui a signé un véritable pacte de fer, avec les coups d’Etat. Une dizaine de putschs et révolutions de palais réussis, en 32 ans. Comptabilité de la honte qui fait abstraction de tous les complots tués dans l’œuf… Le show de l’ex-général qui refusa de se plier à la volonté du chef des armées, président de la République en titre, en a ahuri plus d’un. Et Grippe-Minaud de nous faire part de son «aversion» à toute idée de dialogue sur la base de l’accord-cadre de Dakar du 2 juin 2009, qui ouvrit, on s’en rappelle, la porte à l’organisation d’une élection présidentielle anticipée le 18 juillet 2009 et à la légitimation de sa prise de pouvoir on ne peut moins constitutionnelle.
Au cours de la même soirée-anniversaire, Mohamed Ould Abdel Aziz donna, également, quelques renseignements sur l’utilisation du fameux don saoudien, pour dire que «globalement», il a servi «en grande partie», à la sécurité du pays, laissant toutefois sans réponse la question, essentielle, de régularité et de la visibilité des investissements. Une obligation, dans tous les pays démocratiques du monde, et pour toutes les dépenses, y compris les plus sensibles, notamment celles liées à la sécurité nationale.
La COD exige des enquêtes tous azimuts
La COD, le collectif précité de l’opposition mauritanienne, allume un contre-feu, une semaine après la sortie-anniversaire du président de la République. Tirs de barrage, nourris, contre Mohamed Ould Abdel Aziz, fustigeant, dans une déclaration distribuée le jeudi 12 août, à l’occasion d’une conférence de presse, «sa négation ostentatoire de la crise politique dans laquelle se débat la Mauritanie», depuis le coup d’Etat du 6 août 2008.
Un document dans lequel l’opposition exige «une enquête sur l’utilisation opaque des 50 millions de dollars US, don d’un pays-frère et ami de la Mauritanie et qui devaient, conformément à la loi organique 78-11, être affectés dans un compte spécial du budget de l’Etat, soumis à double signature. Le peuple mauritanien a le droit de savoir comment 14 milliards d’ouguiyas ont été dépensés, hors budget; sur quel fondement juridique, avec quelle garantie de transparence». L’opposition réclame la fin de l’utilisation «frauduleuse» de ces ressources publiques, par leur inscription au budget de l’Etat, sur la base d’une loi de finances.
Brandissant les grands principes d’un droit qu’elle n’a, manifestement pas, les moyens de mettre en œuvre, la COD rappelle que les faits incriminés constituent une «violation manifeste de la Constitution» et du serment prêté par Ould Abdel Aziz, le 5 août 2009, et sont assimilables à la haute trahison, infraction «passible» de la Haute Cour de Justice (HCJ).
Dans la foulée, le collectif de l’opposition réitère son exigence d’une enquête sur «les circonstances et les objectifs de l’opération militaire du 22 juillet 2010 et sur les attaques meurtrières menées, contre notre pays, ces dernières années, particulièrement l’odieux massacre de nos soldats à Tourine, en septembre 2008».

Lien entre déclaration de patrimoine et gabegie
Dans un contexte de lutte incantatoire contre la gabegie, des dépenses hors budget donnent, forcément, du grain à moudre aux opposants qui ont, du reste, toujours raillé ce discours, comme une idée platonicienne dans un monde intelligible et donc complètement déconnecté des réalités de gouvernance dans le pays.
L’absence de l’obligation effective, pour le président de la République et les membres du gouvernement, de déposer une déclaration de patrimoine, avant leur entrée en fonction, vient alourdir les charges de l’opposition contre le pouvoir issu de l’accord de Dakar – pardon ! Du scrutin présidentiel du 18 juillet 2009 ou du mouvement rectificatif du 6 août 2008, au choix du lecteur.
Même si de ce point de vue, l’exemple, sous le régime du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, souffrait de grosses tares. Image caricaturale, avec des déclarations de patrimoine sur simple papier volant. Lesquelles n’avaient, finalement, aucune valeur probante du point de vue du Droit.
Mohamed Ould Abdel Aziz et son équipe sont, alors, invités à se rendre chez le notaire, pour dresser par acte authentique, cette fois, l’inventaire de leur patrimoine. Pour les deux précédentes années, on efface tout, si la COD est bien consentante. Ce qui serait fort étonnant, au vu des suspicions soutenues de glissements, plus ou moins habiles, du don saoudien, via d’opportuns placements immobiliers…
Les mois à venir pourraient accentuer le fossé entre pouvoir et opposition, en Mauritanie. Tous les dirigeants des partis de celle-ci – y compris le RFD, malgré la récente entrevue Aziz/Daddah – partagent, largement, le sentiment que le président de la République «ne respecte pas» ses engagements qui ne sont, donc jamais «fiables». Dakar en serait une parfaite illustration.
Mais le président de la République pourrait-il arriver à comprendre, tout simplement, qu’un dialogue politique inclusif, sur la base de l’accord de Dakar, est parfaitement conforme à l’esprit de la Constitution et n’en viole, nullement, la lettre? Pour les opposants, le plus important ne reste-t-il pas le cadre et les termes de référence du dialogue? Si, quelque part, un acteur éprouve une «aversion» contre le terme «Dakar», pour juste une question de forme, les Mauritaniens ne peuvent-ils pas gommer le nom de la capitale sénégalaise, sans rien changer dans le fond de l’Accord? N’est-il pas temps, pour l’un et les autres, d’arrêter les petits jeux de mots qui ressemblent trop à un jeu de strip-tease politique, pour faire face à la nécessité des réformes capables de garantir la stabilité des institutions? Avec ou sans Dakar, tout l’enjeu est là.

Amadou Seck

Source: Calame

Samedi 21 Août 2010
Boolumbal Boolumbal
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