Pour une sortie digne et durable du passif humanitaire et l’ouverture d’un véritable horizon de réconciliation nationale



Après lecture attentive du texte du Professeur Lo Gourmo et du communiqué de la coalition anti-système, je voudrais partager une réflexion qui s’appuie sur des considérations juridiques, historiques et sociales, mais aussi sur l’écoute patiente des victimes, des ayants droit, des veuves et des exilés avec qui nous échangeons depuis des années.

Les deux documents abordent le passif humanitaire avec des registres différents. Le texte de Lo Gourmo adopte une approche méthodique, structurée, adaptée au cadre juridique actuel. Il met en avant la vérité, la mémoire et les réparations, sans prendre de risque terminologique susceptible de bloquer l’ensemble du processus. Cette prudence n’est pas une faiblesse, mais une manière de rester dans ce qui peut réellement évoluer aujourd’hui, compte tenu de la loi d’amnistie de 1993.

Le communiqué de l’anti-système reflète une autre vérité. Celle d’une douleur qui n’a jamais trouvé d’espace institutionnel pour être pleinement entendue. Celle d’un sentiment d’injustice persistant, qui ne disparaît ni avec le temps ni avec le silence. Cette parole directe n’est pas incompatible avec la démarche juridique ; elle la complète, car elle rappelle ce que les textes officiels ont longtemps ignoré.

Ces deux approches, loin de s’exclure, éclairent la même réalité à partir de deux angles essentiels : la nécessité d’avancer et la nécessité d’être juste. Les deux voix expriment, chacune à sa manière, l’attente d’une reconnaissance et d’un traitement digne.

Un élément mérite toutefois d’être souligné avec gravité. La fatigue des ayants droit, des familles, des veuves, et même de cette génération intermédiaire qui n’a pas tout vécu, mais qui porte encore les marques du passé. Beaucoup d’entre eux ne demandent simplement que l’on traite cette question avec dignité, respect et sérieux, pour sortir enfin du provisoire permanent. Ils ne demandent pas l’oubli, mais la considération. Ils ne demandent pas la vengeance, mais la reconnaissance. Ils ne demandent pas la rupture, mais l’apaisement.

Derrière le dossier juridique, il y a une réalité sociale profonde. Celle de jeunes de la vallée et des zones rurales qui vivent encore dans un abandon presque total. Celle d’enfants devenus adultes dans le manque, qui considèrent que l’État n’a jamais réparé, ni même entendu, les blessures du passé. Celle de milliers de Mauritaniens exilés, qui souhaitent retrouver leur pays mais qui, faute de garanties morales, administratives et symboliques, se sentent encore tenus à distance. Beaucoup ont le sentiment d’être des citoyens incomplets, ou de ne plus reconnaître leur propre Mauritanie.

C’est pourquoi la réflexion sur le passif humanitaire ne doit pas se limiter à la qualification de faits anciens. Elle doit s’élargir à l’équité administrative, à l’inclusion sociale, à la justice territoriale et à la réintégration des exilés. Régler le passif humanitaire, ce n’est pas refermer un chapitre ; c’est ouvrir correctement le suivant.

Sur le plan juridique, il faut également reconnaître les limites réelles. La qualification pénale des faits se heurte à la non-rétroactivité des incriminations, à l’existence de la loi d’amnistie, et à l’impossibilité pratique de mobiliser des juridictions internationales. Le cadre actuel ne permet donc pas un processus judiciaire complet. Mais cela ne signifie pas que rien ne peut être fait. D’autres pays confrontés à des traumatismes similaires ont trouvé des voies hybrides. Le Maroc avec l’Instance Équité et Réconciliation, le Chili, l’Argentine dans certaines étapes, ou la Gambie plus récemment, ont combiné vérité, réparation et mémoire, sans basculer dans un affrontement pénal immédiat mais sans renoncer à la dignité.

Une voie mauritanienne est possible. Elle peut s’appuyer sur une reconnaissance officielle des faits, sur une Commission Vérité–Mémoire–Réparations dotée d’un mandat clair, sur un traitement foncier réaliste, sur des mesures de réparation administratives, économiques et symboliques, et sur des garanties effectives de non-répétition. Elle peut être renforcée par un comité ad hoc réunissant juristes, historiens, personnalités politiques crédibles et représentants des ayants droit, chargé de proposer un cadre rigoureux et cohérent.

Ce type d’approche n’efface pas le passé. Il ne prétend pas tourner la page. Mais il rend possible un geste politique responsable, qui atténue la douleur, qui adresse les injustices encore en cours, et qui crée les conditions d’un retour apaisé de milliers de Mauritaniens exilés ou marginalisés. C’est aussi un moyen de rétablir un tissu national fragilisé, de ramener les siens chez eux, et de permettre à chacun de contribuer, en confiance, au développement de notre pays.

Notre travail est d’identifier ce qui peut avancer réellement. D’éviter les positions qui enferment le dossier dans l’attente ou dans la rupture. Et de proposer une orientation qui allie sérieux juridique, sens des responsabilités, respect des victimes et souci de l’avenir.

La réconciliation nationale n’est pas un slogan. C’est un chantier politique, moral, administratif et social qui commence par un traitement digne et cohérent du passif humanitaire. Si nous voulons dépasser les blessures, il faut d’abord reconnaître ce qui les a provoquées, ouvrir le cadre du dialogue, et rétablir les conditions d’un vivre ensemble qui ne soit pas simplement formel mais réellement partagé.

C’est dans cet esprit que je soumets cette contribution, avec le souhait qu’elle puisse nourrir une discussion constructive et responsable.


Mansour LY -le 16/11/2025

Mardi 18 Novembre 2025
Boolumbal Boolumbal
Lu 46 fois



Recherche


Inscription à la newsletter