Interview avec le CALAME n°1452 du 29 octobre 2025

Interview avec le CALAME n*1452 du 29 octobre 2025



Interview avec le CALAME n°1452 du 29 octobre 2025
1°) Le gouvernement vient d’annoncer l’octroi de 27 milliards d’Ouguiya s anciens aux victimes des événements 89 -91 pour solder définitivement le dossier dit « passif humanitaire » que le gouvernement Aziz avait déclaré clos. D’abord que pensez-vous de cette nouvelle démarche du gouvernement ? Ensuite, croyez-vous que ce geste pourrait définitivement tourner cette page douloureuse de l’histoire de notre pays alors même qu’une partie des victimes continue à réclamer justice, d’abord ?

Kadiata Malick Diallo

Merci de m’offrir l'occasion de m’exprimer dans les colonnes de votre journal sur des questions brûlantes de l’actualité nationale.
S'agissant de votre première question, à ma connaissance, le gouvernement n’a pas encore communiqué officiellement sur ce sujet. Des informations rapportées dans des groupes WhatsApp font effectivement état d’une rencontre entre le Président de la République, en présence de son Premier ministre, et des représentants des victimes des événements ayant endeuillé notre pays à la fin des années 80 et au début des années 90.
Selon ces informations, effectivement relayées par la presse locale et internationale, le Président Mohamed Ould Cheikh Ghazouani aurait promis de dégager une enveloppe financière de 27 milliards MRO, sur les 35 milliards réclamés par les victimes.
Ce problème a toujours été et reste un véritable casse-tête pour les différents pouvoirs qui se sont succédé depuis plus de trente ans.
La solution préconisée par le pouvoir actuel, si elle devait se concrétiser, ne serait qu’une réédition de la formule adoptée sous Mohamed Ould Abdel Aziz, qui n’avait pas permis de solder le dossier.

À mon avis, le règlement d’un problème aussi grave et sensible, dépend avant tout de l’approche retenue. C’est une question qui a provoqué une profonde cassure au sein du peuple mauritanien. Même si le sujet a été abordé à plusieurs reprises au fil des décennies, chaque fois qu’il resurgit dans le débat public, il ravive les fractures, réveillent les rancœurs et les rancunes. Les réactions sur les réseaux sociaux en sont l'illustration. Or, dans le traitement de ce dossier, un des objectifs essentiels devrait être la réconciliation des Mauritaniens.
Une partie de l’opinion s’indigne qu’on continue encore d'en parler. Certains ignorent la réalité de ce qui s’est passé. Ils évoquent une prétendue tentative de coup d’Etat qui aurait échoué et dont les auteurs auraient été naturellement sanctionnés, comme dans toute armée. D’autres au contraire, nient les faits, s’emploient à entretenir le mensonge et l’amalgame, cherchant à banaliser les événements.
C’est dans ce contexte que les revendications de vérité et de justice prennent tout leur sens.
L’approche actuelle du gouvernement, qui consiste à réduire la solution du problème à une simple indemnisation financière (quelle qu’en soit l’importance), sans rétablir la vérité ni réhabiliter les victimes innocentes, revient à tenter d'effacer, de la mémoire collective, des événements tragiques et de maintenir la frustration et le ressentiment.

2°) A votre avis, pourquoi le gouvernement décide d’annoncer son geste alors même que le sujet devrait figurer sur la feuille de route du dialogue en gestation (unité nationale) ?

Kadiata Malick Diallo :

Comme je l’ai déjà souligné, ce problème est un véritable casse-tête pour le pouvoir. Il cherche à trouver une solution à une question qu’il ne veut pas réellement aborder. Autrement dit, il veut régler un problème tout en évitant d’en parler. Paradoxe.
En réalité, le gouvernement semble confronté à un refus catégorique de certains milieux militaires d’aborder sérieusement le dossier du passif humanitaire. Cela explique qu’il tente de trouver une formule discrète, en marge du dialogue, pour éviter que la question ne soit posée publiquement.
Mais une telle approche, fondée sur le contournement, ne saurait aboutir à une solution durable. On ne peut pas guérir une plaie qu’on refuse même de reconnaître qu'elle existe.

3°) Justement, le coordinateur national du dialogue, M. Moussa Fall a remis au président de la République son rapport de synthèse des propositions qu’il a reçues des acteurs politiques, des ex-candidats à la dernière présidentielle, à la société civile et aux personnalités indépendantes, marquant ainsi, la fin de la phase préparatoire du dialogue. Dans sa déclaration à la presse, il a affirmé que la demande du dialogue est forte et que les propositions des différents acteurs qu’il a reçus se recoupaient et qu’ils incitaient à l’optimisme. Partagez-vous son sentiment ? Pensez-vous que tous les acteurs sont disposés à réussir le dialogue et que celui-ci sera inclusif et traitera de tous les sujets sans passion ?

Kadiata Malick Diallo :
Si l’on retire des thèmes à débattre la question du « passif humanitaire », ce dialogue serait amputé d'un pan essentiel des préoccupations de l'heure. S’il existe un sujet qui requiert un consensus national, c’est bien celui-là.
On donnerait alors raison à ceux qui, dès le départ, doutaient de la sincérité de cette initiative. D’ailleurs, le coordinateur du dialogue lui-même a reconnu que deux thèmes revenaient avec insistance dans les propositions reçues : la question de l’esclavage et celle du passif humanitaire.
Ces sujets touchent à la mémoire, à la justice et à la cohésion nationale. Les exclure reviendrait à vider le dialogue de ses substances essentielles.
Ensuite, je ne vois pas de gages de bonne volonté d’un pouvoir qui appelle au dialogue alors même qu’il engage une répression systématique contre des militants de droits humains, des blogueurs et des lanceurs d’alerte.
Je ne crois pas, non plus à un dialogue qui prétendrait traiter de tout. Je peux en revanche comprendre qu’un dialogue ciblé, centré sur quelques questions essentielles nécessitant un consensus, puisse avoir plus de sens.

4°) La Cour des Compte vient de révéler, dans son rapport 2020 -2023, de graves « dysfonctionnements dans la gestion de deniers publics » 410 milliards auraient été dilapidés par nos responsables. Ce rapport rappelle quelque peu celui de la commission parlementaire de 2020 et d’autres dossiers, et sonnent comme un échec de la lutte contre la gabegie que proclame le gouvernement. Les dysfonctionnements ainsi révélés vous surprennent-ils ? Au vu de ce qui se passe, ne peut-on pas dire que le combat contre la corruption serait perdu d’avance ?

Kadiata Malick Diallo:

Le rapport général annuel de la Cour des comptes pour 2022-2023 n’a fait que confirmer ce que tout le monde savait déjà : l’ampleur de la corruption dans les rouages de l’État. D’ailleurs, à peine ce rapport commencé à être commenté, un autre scandale éclatait déjà, celui du laboratoire de la police, révélé par l’Organisation de la transparence inclusive, venant s’ajouter à une longue liste d’affaires restées sans suite.
Ce qui lui donne aujourd’hui un caractère retentissant, c’est qu’il émane d’une institution officielle. L’opinion publique s’en est immédiatement emparée, plaçant le pouvoir dans une situation délicate.

Dans un premier temps, certains responsables ont tenté de minimiser la gravité des faits, mais la pression populaire les a contraints à réagir. Les mesures annoncées lors du dernier Conseil des ministres vont certes dans le sens de la demande nationale, mais il serait illusoire de croire que ce pouvoir puisse engager une véritable lutte contre la corruption, car cela reviendrait à ébranler les fondements de son propre système. Nous avons vu, comment le parlement est bloqué dans sa mission de contrôle de l’exécutif.
Mais une forte mobilisation
de l’opinion et le peuple dans tous ses segments pourraient l’y contraindre.

Source:e : CALAME via Kadiata Malick Diallo


Mardi 28 Octobre 2025
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