Biram Ould Dah Ould Abeid, président d’Initiative pour la Résurgence du Mouvement anti-esclavagiste



Biram Ould Dah Ould Abeid, président d’Initiative pour la Résurgence du Mouvement anti-esclavagiste
‘’La communauté des Maures doit s’arranger à hisser les justes parmi ses fils, dans les cercles de décisions, pour qu’il leur incombe la tâche, historique, urgente et ô combien délicate, de désamorcer la bombe de l’explosion communautaire qui couve dangereusement en Mauritanie’’

Biram Ould Dah Ould Abeid est devenu, depuis quelques temps, l’icône de la lutte contre l’esclavage et de toute forme de ségrégation en Mauritanie. Reprenant le flambeau des organisations pionnières comme El Hor et SOS Esclaves, l’homme pense que le temps est venu de passer à la vitesse supérieure, quitte à déplaire et à déranger le pouvoir en place et les esclavagistes. Un combat qui lui a causé quelques ennuis: refus de lui renouveler son passeport de service, pour l’empêcher de voyager et, donc, de propager son discours; limogeage de son poste à la Commission nationale des droits de l’Homme. Très virulent, BDA «tire presque sur tout ce qui bouge», explique un journal de la place, ce qui lui a valu injures et menaces. A-t-il peur pour sa vie? Non, répond-il, parce que la liberté n’a pas de prix. Ses modèles locaux: Messouad Ould Boulkheir et Boubakar Ould Messaoud, membres fondateurs d’El Hor. Ailleurs dans le monde, il se réfère à Nelson Mandela et à Martin Luther King. Son bureau, situé non loin de l’école 7, est devenu le lieu de refuge des démunis et autres victimes de l’esclavage à qui il consacre des heures pour écouter et tenter de trouver des solutions. Le Calame l’a rencontré.

Le Calame: Certaines rumeurs font état d’une rencontre secrète que le ministre de l’Intérieur, Ould Boilil, aurait organisée entre vous et le président de la République. S’agit-il de simples supputations? N’auriez-vous pas été approché avant, par le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz?

Biram Ould Dah Ould Abeid: Je ne suis pas au courant d’une telle initiative de rencontre. Et ça m’étonnerait fort que le pouvoir actuel et ses sbires songent à une telle démarche, vu leur acharnement à m’affamer, m’isoler et me salir. Cependant je demeure, conformément à ma nature d’intellectuel et de militant de droits de l’Homme, ouvert à toute entreprise sincère et respectable qui puisse aider à poser les jalons de règlements sérieux et définitifs des fléaux de l’esclavage et du racisme dont les Haratines et les Noirs ont durement pâti. Par ailleurs, le pouvoir en place m’a approché plusieurs fois, avant les élections consécutives aux accords de Dakar, mais jamais après.

Votre irruption, dans l’arène de lutte contre l’esclavage, a conféré, à la question, une autre dimension. Votre position est qualifiée de radicale, par certains qui n’hésitent pas à vous qualifier d’«extrémiste», voire de «pyromane». En quoi votre mouvement est-il différent des autres organisations, comme El Hor ou SOS Esclaves, en charge de la question?

Il faut réfléchir à la dénomination de IRA. Toutes ces organisations que vous avez citées ont joué et jouent toujours un rôle important, dans la dénonciation du problème. Mais, à notre niveau, nous estimons que la problématique demande, aujourd’hui, une action beaucoup plus profonde, pour ne pas dire radicale. En effet, malgré le changement des mentalités et la prise de conscience dans le rang des Haratines, le système beydhane, né d’une volonté de domination et d’exploitation, refuse d’évoluer et de se départir de préjugés et pratiques obsolètes. Le pouvoir concentré dans les mains de l’élite féodale et ethniciste arabo-berbère, insensible aux souffrances humaines et sourde aux injonctions du Droit, ce pouvoir lui sert, hélas, d’outil pour perpétuer cette vilénie séculaire qu’on appelle esclavage et le racisme qui lui est collatéral. Ceci étant, à chaque situation et à chaque étape, sied un discours et un moyen de lutte adaptée. IRA est la réponse à l’entêtement et la persévérance dans le mépris du droit des Haratines, des Noirs ou de tout Mauritanien humble, de la liberté, de l’égalité et de la justice sociale. C’est aussi l’expression de la conscience haratine. C’est la cristallisation de notre volonté et celle de notre intelligentsia. Laissez les larbins, les nègres de service. Il y en aura toujours dans chaque communauté.

Quelles relations entretenez-vous avec ces organisations?


Je pensais avoir répondu à cette question précédemment. Mais, pour être clair et ne pas laisser lieu aux équivoques dont raffolent les pêcheurs en eaux troubles, je veux dire les esclavagistes, les racistes et l’ensemble des forces réactionnaires, sachez que IRA est la suite logique de ce combat! Car, après tout, l’homme que je suis est le produit d’El Hor et de SOS Esclaves. Je suis fier de le dire.

Depuis que vous avez pris en charge la question, vous ciblez, particulièrement, la composante maure blanche du pays. On est tenté de vous demander: le Hartani et le Maure sont- ils différents? Que signifient, pour vous, les vocables : Maures blancs, Maures noirs? La composante blanche serait à l’origine des malheurs des autres composantes nationales?

Parlez-vous hassaniya? Dans ce dialecte, beydhane veut dire blanc. C’est un vocable chargé. Il est racial. Donc les Haratines ne peuvent aucunement s’y identifier. D’ailleurs, pourquoi vouloir, bon an, mal an, «beydhaniser» les Haratines? Les blanchir? Tout en les maintenant, au mieux, à la marge; au pire, en dehors de la société beydhane. C’est injuste, hypocrite, c’est de l’instrumentalisation pure et simple. Ceux qui continuent à instituer et à pérenniser la gouvernance et l’idéologie racistes et esclavagistes, au nom et au profit de la composante arabo-berbère, ne sont pas, seulement, à l’origine des malheurs des autres composantes nationales mais, auss,i du devenir sombre et bourbeux de ce pays dont l’avenir est de plus en plus incertain. Le socle sur lequel ils ont bâti l’Etat, c’est celui de l’iniquité la plus totale et abjecte, de l’aveuglement suicidaire. Qui est le responsable de l’esclavage et de sa pérennisation, si ce n’est le maître qui utilise, à cette fin, tous les stratagèmes et toutes les manœuvres, à travers l’instrumentalisation, à la fois, du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel qui sont en sa possession? Et le maître c’est qui, sinon l’arabo-berbère? D’autre part, pour moi, il n’y a pas de Maures blancs ni de Maures noires; il y a des Maures ou Beydhanes, c'est-à-dire Blancs, comme ils aiment s’appeler, par opposition à Soudanes, c'est-à-dire Noirs, Haratines ou esclaves (abid), comme ils nous ont toujours appelé, de leur propre gré, depuis la nuit des temps. Donc le terme «Maure noir» est une forme d’instrumentalisation des Haratines et de négation de leur condition de méprisés, d’intouchables, d’esclaves…

Certains maures vous accusent de vouloir «éloigner» les Maures noirs des Maures, afin de remettre en cause la majorité ethnique. Où se situerait, alors, l’IRA, par rapport aux Maures blancs et aux Négro-mauritaniens?

Les relations entre Maures et Haratines sont, bien avant Biram et depuis les plus lointaines origines, fondées sur des rapports inégaux de suprématie, d’humiliations, d’esclavage… et ne peuvent être, de nos jours, à l’abri d’épreuves et de convulsions dues aux contextes historiques et universels qui imposent, fatalement, le renversement des rapports de forces né de la revendication ou de l’exigence de droits. L’unité entre ces deux groupes, très distincts par la volonté des Beydanes, n’a jamais été vraie, juste et volontaire, elle a toujours été imposée, au détriment des Haratines; c’est une unité de façade, un marché de dupes, clairement explicité par les sorties, sporadiques et sur commande, de groupes et d’individualités, parmi les esclaves à col blanc – les Haratines du système – contre ceux parmi nous – IRA,SOS-ESCLAVES,EL HOR – qui tirent la sonnette d’alarme pour solder les comptes, humaniser et pacifier les rapports. Préserver cette fausse unité, ce marché de dupes, au sein duquel la vraie unité joue le rôle du dindon de la farce, dans le statu quo, les Haratines n’en n’ont pas besoin; c’est une majorité au sein de laquelle nous sommes, toujours, marginalisés, sachant, pourtant, que nous somme la majorité de la majorité. Donc, c’est un catalogage dans une majorité, destiné à nous utiliser pour écraser d’autres victimes du même système, les Noirs de Mauritanie. Les Haratines n’ont plus besoin de support et leur statut est clair, aujourd’hui; faut-il que nous, Haratines, soyons éternellement considérés comme une sorte d’appendice, rien que pour faire et défaire des majorités? Non. C’est fini, ce temps où l’on se servait de nous. L’heure est venue de reconnaître qu’avec ou sans les autres, nous sommes la majorité. Et c’est à nous de définir notre propre identité et, partant, nos attaches. L’identité ne se décrète pas par décision politique, décision, de surcroît, très partisane et intéressée, parce qu’elle est celle de ceux qui ont décrété notre esclavage, décret qu’ils maintiennent toujours en vigueur, au vu et au su de tous. C’est à nous, aussi, de situer notre place sur l’échiquier national et ce, conformément à notre rôle de principal agent de développement du pays et, surtout, à notre poids démographique qui n’est pas à démontrer. En réalité, c’est ce qui dérange tous nos détracteurs, entre autres ceux qui veulent nous maintenir dans les fers de l’exploitation, faisant croire, au monde entier, que nous sommes des mineurs pour justifier leur tutelle. C’est fini, ce jeu. Il est découvert et plus personne n’y croit. IRA considère, enfin, que la communauté des Maures doit s’arranger à hisser les justes parmi ses fils, dans les cercles de décisions, pour qu’il leur incombe la tâche, historique, urgente – à l’instar de celle de Frederick De Clerk – et oh combien délicate, de désamorcer la bombe de l’explosion communautaire qui couve dangereusement, en Mauritanie. Et nous considérons que les Noirs se retrouvent, avec les Haratines, dans le camp des victimes, dans le camp des misères.

Ne pensez-vous pas que l’intelligentsia hartani porte une grande part de responsabilité dans la lutte contre ce drame humain?

Effectivement. La part de responsabilité de l’intelligentsia haratine est incontestable. Elle a, d’ailleurs, été à l’avant-garde. El Hor, porte-étendard et symbole de cette lutte, fut fondé par l’élite. C’est elle qui a conduit la bataille que nous comptons poursuivre. Aujourd’hui, encore plus que jamais, ce sont les cadres et les intellectuels haratines qui s’opposent à l’esclavage, dans les associations, les forums, les colonnes des journaux, les interviews… Ils portent le combat aux plus hauts niveaux, développant, ainsi, un discours clair qui ne prête à aucune équivoque, dans une synergie d’efforts sans précédent. Cette intelligentsia tranche avec les habitudes opportunistes d’une poignée qui court derrière des postes éphémères. Cette intelligentsia consciencieuse grandit, chaque jour plus, et range, autour d’elle, les masses. Les positions idéologiques et politiques sont loin de pouvoir les diviser. Croyez-moi, j’en sais beaucoup, moi, en tant que président de IRA.

Votre virulence vous a valu menaces et injures sur le Net. N’avez-vous pas de craintes pour votre sécurité?

Comme tous mes congénères, j’ai une cause que je suis prêt à défendre, au prix même de ma mort. Les injures et les menaces, j’en ai connues, comme tous mes aînés qui ont été incarcérés dans les geôles des régimes esclavagistes. Je ne peux pas prétendre relever le défi de mettre fin à plusieurs siècles de servilité et d’iniquité et ne pas être prêt à payer le prix de la liberté. Qu’est-ce que Mandela a enduré pour inhumer l’apartheid? Et Malcom X, Martin Luther King et autres, qui se sont battus contre le racisme d’Etat! Je dis: qu’est-ce qu’il a fallu, à Messaoud Ould Boulkheïr et Boubacar Ould Messaoud, à Omar Ould Yali et bien d’autres, pour que le système féodal et esclavagiste les accepte, en tant qu’êtres fréquentables? Tout ce monde a couru des risques! Mais que les ennemis des Haratines et de leur émancipation sachent que mort, mon ombre les poursuivra au fin fond de leur tombe.

Jusqu’ici, vous semblez mettre au second plan la question des Négro-mauritaniens qui ont vécu des drames, entre 89 et 91. Pourtant IRA est une des rares organisations à qualifier ces drames de «génocide». Ne pensez-vous pas que les Hartanis et les Négro-mauritaniens sont victimes du même problème de cohabitation, entre les composantes nationales
?

Je suis épris de justice et d’égalité. La première chose voudrait qu’on soit franc et sincère. Cela permet d’avoir la conscience tranquille. J’ai, toujours, dénoncé, haut et fort, les drames que les Négro-mauritaniens ont subis. C’est bien un génocide. Il suffit de se référer à la signification de ce mot et voir les faits pour le constater. C’est nous qui avons décidé de ne faire la moindre concession aux forces du Mal, concessions que les autres, par défaitisme, ont pu accepter, tentant d’amadouer et de mettre à l’aise le système, dans le diagnostic des faits, lourds et historiques, dont les communautés ont été victimes, par ce même système racial et esclavagiste qui gère la Mauritanie, depuis cinquante ans. Mais il y a des organisations de victimes qui appellent les déportés «réfugiés» et nomment le génocide «passif humanitaire». C’est une pudeur indigne qui en dit long sur la détermination de ceux qui devaient être le fer de lance de cette cause juste. Pourquoi donc interpeller IRA pour ce qu’elle fait déjà mieux que tous, alors que des victimes symboles et des leaders emblématiques, comme ce chef de parti que vous connaissez tous, acceptent, publiquement, de rivaliser avec les laudateurs d’un chef d’Etat qui n’a même pas daigner le réhabiliter de sa condamnation par un tribunal raciste; un leader et une victime, qui a accepté d’oublier la chaîne qui le liait à son beau-père, même quand l’un ou l’autre voulait aller aux toilettes. Et d’autres gens, avec lui, qui ont accepté de traiter avec le général qui n’a jamais songé revenir, à travers ses pelletons de députés et de sénateurs, sur la loi hors-la-loi qui amnistie les crimes de sang commis, contre les cadres civils et militaires négro-mauritaniens, ni inquiéter les idéologues et exécutants de l’épuration ethnique qui continuent à infester les rouages du système.
Mais évitez la banalisation des souffrances des communautés. C’est vouloir réduire l’esclavage que de le présenter comme un problème de cohabitation entre les communautés. D’ailleurs, je ne vous en veux pas, parce que seul l’esclave sait ce que veut dire que d’être privé de sa liberté, être chosifié, animalisé, exclu, marginalisé et ne pas figurer, en tant qu’être à part entière, dans la Constitution nationale qui reconnaît, à chaque communauté, ses droits, sa spécificité et ses différences. Il y a tant de choses relatives aux Haratines à régler, avant d’en arriver à la cohabitation. Celle-ci est l’apothéose d’un très long processus que les torpilleurs tentent, sciemment, de torpiller, au grand dam de la justice, seule soupape de sûreté et de sécurité nationale, si le pouvoir y tient vraiment.

A votre avis, qu’est-ce que les uns et les autres – les 3 composantes – doivent faire pour «pacifier leur cohabitation»? Le pouvoir du président Ould Abdel Aziz vous semble-t-il dans de bonnes dispositions pour trouver des solutions réelles à la question nationale?

A mon avis il y a lieu de reconnaitre, d’abord, l’existence des dérives, graves, qui exposent le pays à tous les risques d’insécurité voire d’implosion. Seule la négation des problèmes, notamment l’esclavage qui est la mère des offenses et insultes, sur fond de racisme d’Etat déguisé en exclusion et en marginalisation, en est responsable. Il faut une volonté réelle d’éradication de l’esclavage, de reconnaissance de la dignité de l’Homme, quelqu’il soit, instaurer toutes les communautés dans leurs droits respectifs, conformément à des critères objectifs. A cela s’ajoute l’arrêt total des manœuvres d’aliénation des communautés, telles que la campagne d’assimilation culturelle forcée visant les Haratines, pour les transformer en Beydhanes alors qu’ils ne le sont et ne le seront jamais; l’arabisation à tous vents des Négro-africains mauritaniens, contre leur gré; faire la lumière, de manière solennelle et officielle, sur ce qu’ils ont subi, appliquer la justice aux coupables, réparer les préjudices et entamer un vrai travail de mémoire. Il faudra, par ailleurs, que toutes les communautés puissent voir leur image dans toutes les institutions du pays: militaires, judiciaires, gouvernementales, bancaires, etc. La Mauritanie doit devenir la Mauritanie de tous les Mauritaniens et non la Mauritanie du système de domination arabo-berbère. Voilà les véritables gages de la pacification et de la cohabitation, si l’on en veut vraiment. Mais j’en doute encore.
Quant à la seconde partie de votre question, je dis que le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz qui refuse, même, de nommer l’esclavage et qui a rangé dans les tiroirs son dossier, avec le refus, pur et simple, de réactiver l’application de la loi criminalisant l’esclavage et les pratiques esclavagistes, qui devait sanctionner les nombreux contrevenants, ce pouvoir est loin d’être dans de bonnes dispositions, pour trouver des solutions réelles à la question nationale. Qu’est devenu l’argent soi-disant attribué, par le pouvoir, à la lutte contre l’esclavage? Et l’office qui devait être fondé à cette fin? En avez-vous entendu parler, dans le programme du gouvernement? Les Haratines n’ont jamais été autant exclus et marginalisés. Ce n’est pas de cette version de pouvoir beydhane, dirigé par Ould Abdel Aziz qu’il va falloir attendre le salut.

Vous vous rendez, souvent, dans ce qu’on appelle, chez nous, les adwaba. La lutte contre la pauvreté, menée par le CSA et le commissariat aux droits de l’Homme et à l’action humanitaire, a-t-elle un impact sur la vie de ces communautés Hartani? Sinon, où sont allés les milliards investis par les deux départements?

Le CSA et le commissariat aux droits de l’Homme et à l’action humanitaire ne sont, aucunement, au service des Haratines. Taillés sur mesure, ils sont au service de ceux qui les dirigent. Leurs milliards ne vont pas au peuple encore moins aux Haratines. Tout le monde sait que près de 300.000 Mauritaniens font face à la famine. Les S.O.S. ont été lancés par les organisations internationales. Sur ces 300.000, l’écrasante majorité est haratine, appauvrie et maintenue dans le dénuement, par 50 ans de politique d’exclusion et de paupérisation. Et c’est la minorité arabo-berbère qui gère les départements devant s’occuper de sortir les Haratines – esclaves et affranchis – de la misère accumulée par six siècles d’usurpation de leurs terres et de tous leurs droits à l’héritage. A quoi est-ce qu’on peut s’attendre, sinon au détournement des milliards soi-disant mobilisés pour amortir les souffrances?
Pas de propriété foncière au profit des Haratines, pas de digue; pas de crédit agricole. Pas d’assistance technique. Un kilo ou un sac de je ne sais quoi, en guise d’aumône C’est exactement ce qu’il faut pour maintenir les Haratines dans la dépendance. Le CSA et ledit commissariat aux droits de l’Homme ne sont que des mannes ou aubaines octroyées à ceux qui soutiennent le régime en place. Ceux qui les dirigent et leurs collaborateurs cooptés ne se soucient point des misérables. La preuve est qu’ils ne conçoivent nulle politique visant, à court ou à long terme, l’autonomie des citoyens. Et qui s’interrogent sur les destins des milliards qui serviront à engraisser les maîtres ou la féodalité?

La position des oulémas et des leaders d’opinion religieux, sur la question de l’esclavage, ne vous satisfait pas. Que leur reprochez-vous?

La position de la quasi-totalité des Ulémas et les leaders d’opinion religieux, sur la question d’esclavage, ne satisfait aucun haratine, ni aucun autre mauritanien parmi les justes. Que cela soit clair pour tout le monde. Moi, je dis, haut et fort, ce que beaucoup de gens murmurent tout bas. J’assumerai, jusqu’au bout, cette confrontation contre ce clergé corrompu, digne d’un autre âge, contre ces imams et ulémas de poche et de ventre. Ce sont des hommes qui entretiennent le flou et refusent de condamner, en termes sans équivoque, l’esclavage. Ils se réfugient derrière des jeux de mots et des astuces, pour pérenniser des pratiques injustifiées et injustifiables. Je condamne, au passage, la duplicité de Tawassoul, le parti des mahadra ou écoles religieuses traditionnelles, et leur dis que tant que leurs guides et symboles spirituels continuent de pourvoir, en fatwa et autres décisions d’indulgence, des bourreaux comme Omar El Béchir, le pouvoir et les esclavagistes mauritaniens, nous prendrons la défense des victimes et nous nous dresserons, éternellement, sur leur chemin.
Je reproche à ces oulémas et leaders d’opinion religieux leurs connivences, tantôt tacites, tantôt explicites, avec les maîtres; comme je combats, avec autant de détermination, la Gauche mauritanienne, une Gauche esclavagiste et au discours pernicieux; comme nous luttons et lutterons, à mort, contre les factions nationalistes arabes dont le fascisme rivalise avec leur esclavagisme. Je n’ai aucun problème avec l’Islam. Mon problème, c’est avec les lectures que les autres en font, pour justifier les souffrances d’autrui. Je ne peux pas concevoir que nos théologiens, nos faqihs, ne soient pas capables, plus de quatorze siècles après l’Hégire, de décréter une fatwa, pour mettre fin à une polémique désobligeante, sur un sujet que toutes les autres religions monothéistes ont déjà tranché. Quelle infamie, quelle opprobre éprouvons-nous, Musulmans, lorsque, pour évoquer l’interdiction de l’esclavage, il nous faut nous rabattre sur des conventions internationales de droits de l’Homme, comme l’a déclaré Youssef El Qardawi. Qu’est devenu el ijtihad ?

En novembre prochain, notre pays va célébrer son cinquantenaire de l’indépendance. Qu’attendez-vous des pouvoirs publics, pour marquer l’évènement? A en croire certaines rumeurs, le président de la République pourrait réhabiliter les 28 militaires négro-mauritaniens pendus le 28 novembre 1991, à Inal? Qu’en pensez-vous?

J’attends, des pouvoirs publics, une demande de pardon, au nom de l’Etat, à toutes les victimes d’exaction ou d’esclavage. Que tous les coupables soient punis. Que des instructions soient données, à l’administration territoriale, aux autorités judiciaires et à leurs agents, pour traquer tous les esclavagistes et mettre en application la loi. Que l’Etat reconnaisse, aux Haratines, leurs droits et cesse de protéger les criminels. Qu’ils jugent les tortionnaires. Car la prière de l’absent ne restitue les droits des veuves et des orphelins. Qui a tué les leurs? Pourquoi? Où ont-ils été inhumés? Les restants des dépouilles sont-ils les leurs? Autant de questions qui torturent les parents des victimes négro-mauritaniennes du génocide et auxquelles ils n’ont point de réponse. La prière de l’absent n’est point un prétexte à l’impunité, quelque soit le tortionnaire.

Propos recueillis par Sneiba et Dalay Lam


Source:Calame

Mercredi 25 Août 2010
Boolumbal Boolumbal
Lu 463 fois



Recherche


Inscription à la newsletter