Diaryatou Toumbou vit dans la banlieue parisienne avec ses six enfants, et à proximité d’autres membres de sa famille. Elle fait partie d’une association de femmes mauritaniennes qui se réunit mensuellement.
Je suis née le 1 janvier 1959 à Salde Medina (quartier) au Fanaye (village). J’ai marché jusqu’au R’Kiz pour aller à l’école et pour vendre mes produits, faire le petit commerce. Il y avait des Berbères dans le voisinage mais il n’y avait pas de problèmes à cette époque-là. Tout le monde vivait ensemble en bonne entente. Les Maures faisaient du commerce trans-sahélien, du sel. Les Haratines étaient présents dans la zone. Ils étaient considérés comme de la famille et souvent ils prenaient le nom familial. Comme ils avaient fui leurs maîtres, ils n’avaient pas de terres, alors les gens de la région ont céder les leurs pour que les Haratines puissent cultiver. Après, les récoltes étaient partagées.
A l’époque, ils étaient encore considérés comme des esclaves ou fils d’esclaves, et donc ils avaient des rôles particuliers : amener le bétail au pâturage, ramasser le bois, cultiver les champs
De temps en temps dans notre village, les Maures venaient pour voler des enfants d’esclaves qui avaient fui leurs maîtres. Les enfants volés étaient intégrés à la culture maure pour qu’ils perdent leurs propres racines. Le grand frère de mon père a pris des enfants haratines, ils ont traversé le fleuve et il les a caché. Les Maures ne traversaient pas le fleuve pour aller au Sénégal. Les maîtres prenaient aussi une partie de la récolte que les Haratines tentaient de cacher.
Dans les années 70, nous avons vécu l’exode rural. Avec la sécheresse, certains membres males de la famille sont partis à la capitale, « aller au poste ». Les enfants ont été scolarisés, ils passaient dans d’autres villages pour aller à l’école. Les jeunes et les cadres se déplaçaient pour trouver du travail soit à la capitale, soit dans des autres villes. Avant on ne se déplaçait pas. Etre dans l’administration voulait dire que les hommes partaient pour travailler et les femmes restaient au village. Ils revenaient pendant la saison des pluies pour des vacances. Dans les petites villes/villages, on ne connaissait pas les grands problèmes, il y avait moins de responsabilité professionnelle.
En 1975, j’ai quitté mon village pour aller dans le village de mon mari, juste à côté, pour vivre avec ma belle famille. Il s’appelait Mohammed SALL et était déjà officier dans la marine. En 1976, nous avons célébré le mariage officiel ce qui nous a permis d’obtenir le certificat administratif de mariage. En 1977 nous avons déménagé à la base marine de Nouadhibou Neakwar. Le chef de cette base, Abdrahmane ould Khouar, était raciste et xénophobe et de profondes divisions commençaient à apparaître. Puis il a commencé son processus de « nettoyage » . Ould Khouar est entré dans l’armée avec mon mari et ils se connaissaient très bien. Il n’était pas compétent mais les trois autres officiers étaient Noirs, donc écartés des responsabilités. C’était le début du politique « système Beidane », le système de domination défini par le pouvoir des Maures. Abdrahmane ould Khouar a promis de « blanchir la Marine ». Tous les gradés Noirs ont été assassinés sauf un qui a été radié. (il est encore vivant aujourd’hui).
Vers cette époque les FLAM, qui revendiquent l’égalité et la justice pour les Noirs en Mauritanie, ont été réprimées parce que considérées comme groupe terroriste. Le pouvoir a utilisé ce prétexte pour vider les Noirs de l’administration en accusant chaque individu d’en être membre. Dans le processus de « nettoyage » , certains Haratines ont suivi les ordres donnés par les Beidanes.
En 1987 suite à un faux coup d’état, la répression s’est renforcée contre les membres du FLAM et ceux qui étaient supposés l’être. Trois officiers Noirs ont été exécutés sans procès. Par contre, en 1988 un coup d’Etat manqué par des Maures n’a pas donné lieu à des exécutions.
Déjà en 1986 – des Noirs civils (professionnels intelligentsia) avaient été arrêtés et tués.
Moutoudo Diop est le seul survivant de ce groupe et il vit à Paris maintenant. C’est un Peulh qui s’est beaucoup investi pour la culture Peulh à Paris.
Les Pulaars sont de bons citoyens, ils n’ont pas spontanément le tempérament rebelle, ne réagissent pas par les armes ou la violence, ils sont toujours non-violents. Un peulh peut contenir ses émotions. C’est un nomade qui garde son identité mais s’intègre où il va.
La France a colonisé la Mauritanie et a semé les graines de la situation que nous vivons, exactement comme en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui elle ne parle pas de ce qui se passe ; elle devrait insister devant la communauté internationale pour faire cesser les injustices en Mauritanie. Les coopérants militaires français n’ont jamais dénoncé les injustices, ou les pratiques de tortures. Aujourd’hui les survivants, rescapés ou mutilés font le bilan.
En 1989 il y a eu une nouvelle vague d’arrestations. Tout le monde sait qu’il y a eu des déportations mais la communauté internationale a fermé les yeux. Je peux citer les noms de villages : Salde Medina (mon village) Fanaye, Sima, une partie de Tékané et Dara (ou il n’y a qu’une famille qui est restée).
1989 c’est aussi l’année où il y a eu le problème entre un berger (un Mauritanien) et un agriculteur (un Sénégalais) dans la zone du fleuve. Les Maures sont intervenus et ils ont tués le Sénégalais ce qui a provoqué un problème diplomatique entre les deux pays. La Mauritanie a expulsé les Sénégalais dans la zone du fleuve et en a profité après pour expulser beaucoup de Mauritaniens noirs sous prétexte qu’ils étaient sénégalais.
Les déportations de 1989 se sont passées en plusieurs vagues dans la nuit à la fin du mois d’avril. Les Haratines ont participé aux déportations et le lendemain ils récupéraient la maison, les matériaux et la terre de ceux qui avaient été expulsés. Les Maures et des Haratines d’autres régions sont venus pour participer aux expulsions.
Les conditions de déportation étaient déplorables. Je peux témoigner d’exemples concrets :
Un jeune homme est parti à la pêche. Quand il est revenu il croise des Maures qui le battent. Son père arrive et sa tante essaie d’intervenir. Elle a été tuée. Le jeune part dans une autre famille maure et en fureur il tue quelqu’un. Le père blessé est emprisonné à Nouakchott. La reste de la famille a été expulsée au Sénégal.
Mon propre père a refusé de partir. Ma famille a essayé de le convaincre et finalement il a cédé. La police a encerclé la maison et elle a mis toute la famille dans les pirogues.
Nous savons que ceux qui ont été expulsés de Nouakchott et d’autres grandes villes ont été mis dans des avions ou des camions. Les Sénégalais ont été évacués par des avions envoyés par l’ONU, l’Allemagne, la France….. et le pouvoir mauritanien en a profité pour mettre des Mauritaniens noirs (sans leurs papiers ou leurs cartes d’identités). D’autres personnes ont été tués dans la capitale et elles ont été mises dans une fosse commune.
Inal est une base militaire transformé en prison ou ont été pratiqué des tortures et des travaux forcés. Nous qui cherchions des informations n’avions ni défenseurs ni aide, ni encadrement, nous n’avions que notre détresse. Nous n’avions aucun contact avec les prisonniers, pas d’info, ni de correspondance, c’était «un « black-out » total. Je peux parler de Mahamadou Sy qui a été avec mon mari et qui m’a tout raconté. Le 28 novembre 1990, 28 prisonniers ont été choisis et tués pour fêter l’anniversaire du pays !!!
Je veux décrire l’arrestation de son mari. Nous étions partis pour fêter le baptême d’un cousin. A l’époque mon mari était détaché de l’armée, il était en « civil » parce qu’il suivait une formation au Ministère de la Pêche. Au retour de la fête, notre voiture a été suivie et deux officiers maures lui ont demandé de les suivre pour une réunion d’urgence. Il n’avait pas le choix et il nous a quittés et est parti avec eux. Ils étaient « des amis », envoyés par Abdrahmane ould Khouar. C’est la dernière fois que nous l’avons vu.
En route il a demandé à un cousin de venir récupérer la voiture. Après le cousin est venu attendre avec la famille. De nombreux officiers ont été arrêtés et ligotés dans le bureau de mon mari. Pour les dates exactes, il a été arrêté le 21 et est mort le 29 novembre 1990.
J’ai participé aux manifs et je me suis organisée avec d’autres femmes pour avoir des infos sur nos maris « disparus ». Avec mon amie Habi, la femme d’un autre officier disparu, je suis allée à la base marine de nombreuses fois pour demander où étaient nos maris. La première fois, un officier nous a répondu qu’ils étaient « en mission ». Il nous a demandé « Vous avez entendu parler de la FLAM ? Il y a des rumeurs si vous entendez quelque chose venez me le dire. On exige des infos. » Nous sommes rentrées en pleurant. La deuxième fois j’ai attendu entre 8h et midi. J’ai rencontré un autre capitaine qui m’a dit « de toute façon, tous ces gens là étaient en train de préparer un coup d’état ». Ce capitaine avait été en France avec mon mari pour une formation d’officier et pourtant il faisait parti de ceux qui avaient décidé de le tuer. Nous avons passés trois mois sans nouvelles. Après nous avons eu des informations de la part des rescapés. Ce sont eux qui m’ont dit comment mon mari est mort. Ce qui est fait est fait mais Maaouiya Ould Taya doit être jugé.
Haby Tambadou et moi-même avions fait la liste des disparus de Nouadhibou, accompagnés d’autres compatriotes touchés par les événements tragiques qui ont frappé les négro-mauritaniens.
Nous avons à la suite de nos manifestations sur les faits douloureux écrit une lettre ouverte au Président de la République et au Gouverneur. Nous avons étés frappées et gazées lors de nos dépôts de lettres. Toutes nos correspondances n’ont obtenu aucune réponse.
Lors de l’une de nos rencontres, un lieutenant nous avait interrogées sur la visite que nous étions venu faire, mais il nous parlait en Hassania (l’arabe des maures). Nous lui avons répondu qu’on ne comprenait pas ses propos. Du coup, il nous a traité de non Mauritaniens parce que nous ne comprenions pas sa langue. Il s’exprimait en français. Nous lui avons fait savoir qu’il devait savoir que d’autres langues existent en Mauritanie et que le Pulaar, Soninké le Wolof et d’autres sont des composantes intégrantes du Pays. Il s’en est suivi une dispute pendant laquelle le lieutenant à tenu des propos racistes, finissant par cette phrase terrible : « Amenez-moi ces chiens dehors ».
Là-dessus les militaires nous ont empoignées sans ménagement, nous jetant dans les véhicules militaires pour nous amener au commissariat central. Nous leur avons indiqué que ce sont ces mêmes véhicules qui ont sans doute transportés nos maris.
De toute façon des gens aussi racistes qui sont au service de Ould Taya ne peuvent rien faire de positif pour le pays.
Nous savons par la voix de Mohamed Sekna, celui que j’ai évoqué précédemment, que les collaborateurs de Taya avaient décidé d’encercler ma maison à Nouadibhou un jour pour empêcher toute personne d’y accéder. Ce sont ces pratiques, qui ont provoqué mon départ pour Nouakchott.
A Nouakchott, j’ai continué à me battre contre l’injustice en Mauritanie, lors de plusieurs manifestations, pendant lesquelles les veuves ont été sévèrement réprimées. Par ces pratiques le régime cherche à faire oublier la disparition de nos maris, et d’autres noirs.
A partir de 1993, une amnistie a été prononcée pour soi-disant pardonner les exactions commises par le régime, et la communauté internationale. La France en premier nous a oubliés dans notre malheur : nous sommes aujourd’hui des familles éclatées, des enfants sans pères, des veuves sans ressources et sans instruction aucune.
Source: MauritanieAfrique
Je suis née le 1 janvier 1959 à Salde Medina (quartier) au Fanaye (village). J’ai marché jusqu’au R’Kiz pour aller à l’école et pour vendre mes produits, faire le petit commerce. Il y avait des Berbères dans le voisinage mais il n’y avait pas de problèmes à cette époque-là. Tout le monde vivait ensemble en bonne entente. Les Maures faisaient du commerce trans-sahélien, du sel. Les Haratines étaient présents dans la zone. Ils étaient considérés comme de la famille et souvent ils prenaient le nom familial. Comme ils avaient fui leurs maîtres, ils n’avaient pas de terres, alors les gens de la région ont céder les leurs pour que les Haratines puissent cultiver. Après, les récoltes étaient partagées.
A l’époque, ils étaient encore considérés comme des esclaves ou fils d’esclaves, et donc ils avaient des rôles particuliers : amener le bétail au pâturage, ramasser le bois, cultiver les champs
De temps en temps dans notre village, les Maures venaient pour voler des enfants d’esclaves qui avaient fui leurs maîtres. Les enfants volés étaient intégrés à la culture maure pour qu’ils perdent leurs propres racines. Le grand frère de mon père a pris des enfants haratines, ils ont traversé le fleuve et il les a caché. Les Maures ne traversaient pas le fleuve pour aller au Sénégal. Les maîtres prenaient aussi une partie de la récolte que les Haratines tentaient de cacher.
Dans les années 70, nous avons vécu l’exode rural. Avec la sécheresse, certains membres males de la famille sont partis à la capitale, « aller au poste ». Les enfants ont été scolarisés, ils passaient dans d’autres villages pour aller à l’école. Les jeunes et les cadres se déplaçaient pour trouver du travail soit à la capitale, soit dans des autres villes. Avant on ne se déplaçait pas. Etre dans l’administration voulait dire que les hommes partaient pour travailler et les femmes restaient au village. Ils revenaient pendant la saison des pluies pour des vacances. Dans les petites villes/villages, on ne connaissait pas les grands problèmes, il y avait moins de responsabilité professionnelle.
En 1975, j’ai quitté mon village pour aller dans le village de mon mari, juste à côté, pour vivre avec ma belle famille. Il s’appelait Mohammed SALL et était déjà officier dans la marine. En 1976, nous avons célébré le mariage officiel ce qui nous a permis d’obtenir le certificat administratif de mariage. En 1977 nous avons déménagé à la base marine de Nouadhibou Neakwar. Le chef de cette base, Abdrahmane ould Khouar, était raciste et xénophobe et de profondes divisions commençaient à apparaître. Puis il a commencé son processus de « nettoyage » . Ould Khouar est entré dans l’armée avec mon mari et ils se connaissaient très bien. Il n’était pas compétent mais les trois autres officiers étaient Noirs, donc écartés des responsabilités. C’était le début du politique « système Beidane », le système de domination défini par le pouvoir des Maures. Abdrahmane ould Khouar a promis de « blanchir la Marine ». Tous les gradés Noirs ont été assassinés sauf un qui a été radié. (il est encore vivant aujourd’hui).
Vers cette époque les FLAM, qui revendiquent l’égalité et la justice pour les Noirs en Mauritanie, ont été réprimées parce que considérées comme groupe terroriste. Le pouvoir a utilisé ce prétexte pour vider les Noirs de l’administration en accusant chaque individu d’en être membre. Dans le processus de « nettoyage » , certains Haratines ont suivi les ordres donnés par les Beidanes.
En 1987 suite à un faux coup d’état, la répression s’est renforcée contre les membres du FLAM et ceux qui étaient supposés l’être. Trois officiers Noirs ont été exécutés sans procès. Par contre, en 1988 un coup d’Etat manqué par des Maures n’a pas donné lieu à des exécutions.
Déjà en 1986 – des Noirs civils (professionnels intelligentsia) avaient été arrêtés et tués.
Moutoudo Diop est le seul survivant de ce groupe et il vit à Paris maintenant. C’est un Peulh qui s’est beaucoup investi pour la culture Peulh à Paris.
Les Pulaars sont de bons citoyens, ils n’ont pas spontanément le tempérament rebelle, ne réagissent pas par les armes ou la violence, ils sont toujours non-violents. Un peulh peut contenir ses émotions. C’est un nomade qui garde son identité mais s’intègre où il va.
La France a colonisé la Mauritanie et a semé les graines de la situation que nous vivons, exactement comme en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui elle ne parle pas de ce qui se passe ; elle devrait insister devant la communauté internationale pour faire cesser les injustices en Mauritanie. Les coopérants militaires français n’ont jamais dénoncé les injustices, ou les pratiques de tortures. Aujourd’hui les survivants, rescapés ou mutilés font le bilan.
En 1989 il y a eu une nouvelle vague d’arrestations. Tout le monde sait qu’il y a eu des déportations mais la communauté internationale a fermé les yeux. Je peux citer les noms de villages : Salde Medina (mon village) Fanaye, Sima, une partie de Tékané et Dara (ou il n’y a qu’une famille qui est restée).
1989 c’est aussi l’année où il y a eu le problème entre un berger (un Mauritanien) et un agriculteur (un Sénégalais) dans la zone du fleuve. Les Maures sont intervenus et ils ont tués le Sénégalais ce qui a provoqué un problème diplomatique entre les deux pays. La Mauritanie a expulsé les Sénégalais dans la zone du fleuve et en a profité après pour expulser beaucoup de Mauritaniens noirs sous prétexte qu’ils étaient sénégalais.
Les déportations de 1989 se sont passées en plusieurs vagues dans la nuit à la fin du mois d’avril. Les Haratines ont participé aux déportations et le lendemain ils récupéraient la maison, les matériaux et la terre de ceux qui avaient été expulsés. Les Maures et des Haratines d’autres régions sont venus pour participer aux expulsions.
Les conditions de déportation étaient déplorables. Je peux témoigner d’exemples concrets :
Un jeune homme est parti à la pêche. Quand il est revenu il croise des Maures qui le battent. Son père arrive et sa tante essaie d’intervenir. Elle a été tuée. Le jeune part dans une autre famille maure et en fureur il tue quelqu’un. Le père blessé est emprisonné à Nouakchott. La reste de la famille a été expulsée au Sénégal.
Mon propre père a refusé de partir. Ma famille a essayé de le convaincre et finalement il a cédé. La police a encerclé la maison et elle a mis toute la famille dans les pirogues.
Nous savons que ceux qui ont été expulsés de Nouakchott et d’autres grandes villes ont été mis dans des avions ou des camions. Les Sénégalais ont été évacués par des avions envoyés par l’ONU, l’Allemagne, la France….. et le pouvoir mauritanien en a profité pour mettre des Mauritaniens noirs (sans leurs papiers ou leurs cartes d’identités). D’autres personnes ont été tués dans la capitale et elles ont été mises dans une fosse commune.
Inal est une base militaire transformé en prison ou ont été pratiqué des tortures et des travaux forcés. Nous qui cherchions des informations n’avions ni défenseurs ni aide, ni encadrement, nous n’avions que notre détresse. Nous n’avions aucun contact avec les prisonniers, pas d’info, ni de correspondance, c’était «un « black-out » total. Je peux parler de Mahamadou Sy qui a été avec mon mari et qui m’a tout raconté. Le 28 novembre 1990, 28 prisonniers ont été choisis et tués pour fêter l’anniversaire du pays !!!
Je veux décrire l’arrestation de son mari. Nous étions partis pour fêter le baptême d’un cousin. A l’époque mon mari était détaché de l’armée, il était en « civil » parce qu’il suivait une formation au Ministère de la Pêche. Au retour de la fête, notre voiture a été suivie et deux officiers maures lui ont demandé de les suivre pour une réunion d’urgence. Il n’avait pas le choix et il nous a quittés et est parti avec eux. Ils étaient « des amis », envoyés par Abdrahmane ould Khouar. C’est la dernière fois que nous l’avons vu.
En route il a demandé à un cousin de venir récupérer la voiture. Après le cousin est venu attendre avec la famille. De nombreux officiers ont été arrêtés et ligotés dans le bureau de mon mari. Pour les dates exactes, il a été arrêté le 21 et est mort le 29 novembre 1990.
J’ai participé aux manifs et je me suis organisée avec d’autres femmes pour avoir des infos sur nos maris « disparus ». Avec mon amie Habi, la femme d’un autre officier disparu, je suis allée à la base marine de nombreuses fois pour demander où étaient nos maris. La première fois, un officier nous a répondu qu’ils étaient « en mission ». Il nous a demandé « Vous avez entendu parler de la FLAM ? Il y a des rumeurs si vous entendez quelque chose venez me le dire. On exige des infos. » Nous sommes rentrées en pleurant. La deuxième fois j’ai attendu entre 8h et midi. J’ai rencontré un autre capitaine qui m’a dit « de toute façon, tous ces gens là étaient en train de préparer un coup d’état ». Ce capitaine avait été en France avec mon mari pour une formation d’officier et pourtant il faisait parti de ceux qui avaient décidé de le tuer. Nous avons passés trois mois sans nouvelles. Après nous avons eu des informations de la part des rescapés. Ce sont eux qui m’ont dit comment mon mari est mort. Ce qui est fait est fait mais Maaouiya Ould Taya doit être jugé.
Haby Tambadou et moi-même avions fait la liste des disparus de Nouadhibou, accompagnés d’autres compatriotes touchés par les événements tragiques qui ont frappé les négro-mauritaniens.
Nous avons à la suite de nos manifestations sur les faits douloureux écrit une lettre ouverte au Président de la République et au Gouverneur. Nous avons étés frappées et gazées lors de nos dépôts de lettres. Toutes nos correspondances n’ont obtenu aucune réponse.
Lors de l’une de nos rencontres, un lieutenant nous avait interrogées sur la visite que nous étions venu faire, mais il nous parlait en Hassania (l’arabe des maures). Nous lui avons répondu qu’on ne comprenait pas ses propos. Du coup, il nous a traité de non Mauritaniens parce que nous ne comprenions pas sa langue. Il s’exprimait en français. Nous lui avons fait savoir qu’il devait savoir que d’autres langues existent en Mauritanie et que le Pulaar, Soninké le Wolof et d’autres sont des composantes intégrantes du Pays. Il s’en est suivi une dispute pendant laquelle le lieutenant à tenu des propos racistes, finissant par cette phrase terrible : « Amenez-moi ces chiens dehors ».
Là-dessus les militaires nous ont empoignées sans ménagement, nous jetant dans les véhicules militaires pour nous amener au commissariat central. Nous leur avons indiqué que ce sont ces mêmes véhicules qui ont sans doute transportés nos maris.
De toute façon des gens aussi racistes qui sont au service de Ould Taya ne peuvent rien faire de positif pour le pays.
Nous savons par la voix de Mohamed Sekna, celui que j’ai évoqué précédemment, que les collaborateurs de Taya avaient décidé d’encercler ma maison à Nouadibhou un jour pour empêcher toute personne d’y accéder. Ce sont ces pratiques, qui ont provoqué mon départ pour Nouakchott.
A Nouakchott, j’ai continué à me battre contre l’injustice en Mauritanie, lors de plusieurs manifestations, pendant lesquelles les veuves ont été sévèrement réprimées. Par ces pratiques le régime cherche à faire oublier la disparition de nos maris, et d’autres noirs.
A partir de 1993, une amnistie a été prononcée pour soi-disant pardonner les exactions commises par le régime, et la communauté internationale. La France en premier nous a oubliés dans notre malheur : nous sommes aujourd’hui des familles éclatées, des enfants sans pères, des veuves sans ressources et sans instruction aucune.
Source: MauritanieAfrique
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