Retrospective : Grand Entretien avec Madame Lala Aicha Sy



Retrospective : Grand Entretien avec Madame Lala Aicha Sy
Nous rappelons que Madame Sy Lalla Aicha est Présidente du Comité de Solidarité avec les Victimes et Violation des Droits Humains en Mauritanie.


«Je trouve particulièrement honteux et désolant, que des personnes malintentionnées profitent de la vulnérabilité économique des victimes pour leur faire accepter l’impossible, en les humiliant»


A sa genèse, au lendemain des événements de 89, l’association que vous présidez actuellement s’appelait «Comité de Solidarité avec les Veuves », aujourd’hui c’est le « Comité de Solidarité avec les Victimes des Violations des Droits Humains en Mauritanie ». Pourquoi ce changement de dénomination ?


Notre organisation dénommée CSVVDH a été crée en août 1991, suite aux graves violations des droits humains qu’a connu le pays durant la période 1989-1990. C’est précisément lorsqu’il ya eu la libération des premiers rescapés des camps de la mort que sont Jereïda-inaal entre autres et le fait que les premiers prisonniers rescapés ont parlé, que nous décidâmes, au sein d’un groupe de femmes surprises et dégoutées par le drame vécu, de nous organiser afin de porter assistance morale, psychologique mais aussi matérielle aux nombreuses victimes qui étaient les femmes et les enfants (veuves et orphelins). C’est dans ce sens que nous avons été parmi les premiers soutiens à l’initiative de la création des collectifs des veuves et des rescapés militaires.
A l’époque, notre préoccupation première était de venir en aide aux veuves des victimes du massacre negro africains. Mais plus on avançait dans ce combat pour le rétablissement de la justice, se posa la nécessité de formaliser notre association et de la rendre légale, donc reconnue et bénéficiant d’un récépissé. Ce qui n’a pas été du tout une tâche facile. Plus tard au sein de l’organisation certains dirigeants émirent l’idée qu’il fallait secourir toutes les victimes des violations des droits de l’homme pour éviter le sectarisme et être pointé comme communautariste. Par crainte de se disperser nos efforts et à la fin manquer d’efficacité, je ne fus pas de cet avis. Néanmoins, cet idée qui a été lancé a fait son chemin pour triompher au cours de notre AG de renouvellement des instances en 1999. En 2000 nous adoptâmes une appellation avec une connotation plus générale. Le «Comité de solidarité avec les veuves» était devenu le «Comité de solidarité avec les victimes des violations des droits humains en Mauritanie ».

Le Forum national des droits de l'homme (Fonadh), à laquelle votre association fait partie, a été exclu du processus de règlement définitif du passif humanitaire, décidé par l’ex-chef de la junte, Ould Abdel Aziz le mois dernier. Un règlement juste et équitable du problème peut-il aujourd’hui se faire sans ce segment important de la société civile, qui a été longtemps à l’avant-garde du combat contre les violations des droits de l’homme ? Le Fonadh est une coordination d’organisations, chargée de la défense et de la promotion du droit et de la justice quelque en soit le prix. Il n’est pas donné à tous d’avoir cette qualité et ce mérite. Il n’est pas tout à fait surprenant alors que la junte militaire, peu soucieuse des principes démocratiques, décident de marginaliser les vrais défenseurs de la légalité. Il ne faut pas oublier de vue que c’est au sein du FONADH que se trouve les militants et militantes qui luttent contre l’impunité que la junte militaire au pouvoir érige en système, sous prétexte de préserver « la paix sociale » . C’est bien pour toutes ces raisons que la junte a choisi délibérément de nous exclure. De toute façon on ne serait pas dans la même démarche.Le « Comité des Victimes de la Répression » (CO.VI.RE), Ong partenaire du HCE, procède depuis la mi-avril, au paiement de la première tranche des indemnités dues familles d’officiers et de sous-officiers. Cette opération, est-ce le signe clair d’une nouvelle dynamique pour le règlement définitif de ce dossier ou le début d’un processus presque « unilatéraliste » voué d’avance à l’échec ?
Nous restons convaincus de trois choses. Aucune solution juste et durable n’est possible sans que la vérité sur les exactions soit connue, la dignité des victimes soit respectée et la justice soit rendue afin de mettre fin à l’impunité. C’est seulement après cela peut « penser » à la réparation pour les victimes. Je trouve particulièrement honteux et désolant, que des personnes malintentionnées profitent de la vulnérabilité économique des victimes pour leur faire accepter l’impossible, en les humiliant. Ce que le COVIRE et le HCE doivent comprendre, c’est qu’ils ne peuvent pas arrêter le cours de la justice même avec le consentement des victimes. Ceux qui ont pris l’argent peuvent pardonner ; et les autres même s’il en reste un seul, il aura le droit de le faire.
Pour toutes ces raisons, il est important d’envisager la question autrement et adopter une approche basée sur le dialogue, le consensus mais aussi sur le droit de justice, et cela avec la collaboration de toutes les parties prenantes : victimes(ayants droits), Etat, mais aussi les organisations des droits de l’homme qui toujours sont à l’avant-garde du combat contres ces violations(exécutions extra- judiciaires, déportations, licenciements abusifs).
Cette opération de paiement des indemnités dues aux familles n’est autre qu’une forme de la « Idiya» ou réparation, au vue des termes du protocole d’accord signé entre les victimes et le HCE en avril à la présidence, dans lequel, les signataires renoncent (articles 2 et 3 de ce protocole) à toute poursuite des assassins qui aujourd’hui bénéficient de l’impunité la plus totale.
De mon point de vue ce qui est entrain de se passer, n’est qu’une farce et ne peut être une solution définitive de cette question : c’est l’échec même.

Le mois dernier, par une décision issue de la réunion extraordinaire du gouvernement de la junte, le Pr. Cheikh Saad Bouh Kamara, qui a longtemps milité au sein des organismes de défense des droits humains, a été désigné, à la surprise générale, président de la CENI. Comment avez-vous accueilli cette nomination et quels rapports aviez-vous avec l’homme ?


Le Pr. Kamara est un militant des droits de l’homme que je respecte. il a joué un rôle important dans la défense et la promotion des droits humains en Mauritanie. Il a consacré sa vie à cette cause. Néanmoins, je pense franchement qu’il ne devrait pas aujourd’hui soutenir, ni légitimer le pouvoir des militaires. Le fait qu’il accepte de diriger cette « CENI » concoctée par le Général Ould Abdel Aziz et qui ne fera que reconnaitre ce qu’il veut est une façon de cautionner le putsch, donc la prise du pouvoir par la force. Ce qui est contraire à tout principe démocratique. C’est pour moi, une façon de soutenir ceux qui ont violé la constitution et consacré l’impunité contre laquelle, lui le défenseur des droits humains s’est toujours érigé.
Je pense qu’il s’est carrément trompé de camp, mais l’erreur est humaine. Il va sûrement s’en rendre compte comme l’a fait le député Sid’Ahmed Ould Habott, à qui je rend un grand hommage pour son honnêteté pour la décision courageuse, qui, a peine nommé, vient d’annoncer sa démission de la Commission électorale nationale indépendante (CENI).
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Propos recueillis par Dianifaba





Samedi 3 Octobre 2009
Boolumbal Boolumbal
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