Il y a vingt ans, s’éteignait à Abidjan notre père Ahmadou Hampâté Ba, une grande mémoire du pulaaku. J’ai décidé de rendre cet hommage à ce grand homme à l’intention des nombreux internautes qui ont manifesté un intérêt à mon article intitulé « Que reste t-il du pulaaku ? ».J’avais insisté, mais pas assez sur le rôle éminent de A Hampâté dans la sauvegarde et la transmission de la culture peule et du pulaaku ainsi que de l’importance de l’initiation dans ce domaine. La plupart des internautes en demandant la suite de mon premier article n’ont apparemment pas bien mesuré l’importance de l’initiation par voie orale des enseignements du pulaaku.
Première rencontre avec l’œuvre de Hampaté Ba
L’un des premiers ouvrages de A Hampâté que j’ai lu et m’a beaucoup marqué fut « L’empire Peulh du Macina », puis ce fut « Thierno Bacar, le sage de Bandiagara ». Ce furent mes premiers contacts avec l’auteur. Je l’ai vu pour la première fois en 1985 au Centre Culturel Français (CCF) d’Abidjan à l’occasion d’une conférence donnée par Roger Garaudy sur le thème : « Quel Islam pour le 20ème siècle », conférence qui allait me marquer durablement. Je me souviens que le Cheick A Hampâté était assis au premier rang et prenait des notes avec beaucoup d’humilité.
En 1986 ou1987, je me suis rendu à son domicile à Marcory pour lui délivrer un message de Abdoulaye Diallo « Ghana » accompagné d’un fils de ce dernier. Mais il était déjà très malade et ne recevait pas de visiteurs. C’est une de ses filles qui nous reçut et se chargea de lui remettre la commission.
Amadou Hampaté Ba né vers 1901 à Bandiagara (actuelle Mali) est décédé le 15 Mai 1991 à Abidjan. La nouvelle m’est parvenue le même jour vers 11h TU. Je me suis aussitôt rendu à la Mosquée peule de l’Avenue 21 à Treichville où eut lieu la prière mortuaire. Puis le défunt fut inhumé au cimetière de Williams ville le même jour selon sa volonté. Dans le cortège funèbre se trouvait son ami le Président FH Boigny. Sa tombe très simple est quasi anonyme ne portant aucune inscription et je m’y recueille de temps en temps. Que Dieu lui pardonne et lui ouvre les portes du Paradis Firdaus.
A présent, je vais donner la parole au Maître qui va donner un aperçu de l’initiation dans le pulaaku.
L’initiation : quelques extraits
« L’initiation, dit un texte pular/fulfulde, commence en entrant dans le parc et finit dans la tombe » (pulaaku fuɗɗi gila hoggo fa yanaande) 26.
La vie d’un Pullo, en tant que pasteur initié, débute avec l’« entrée» et se termine avec la « sortie » du parc, qui a lieu à l’âge de soixante-trois ans. Elle comporte trois séquences de vingt et un ans chacune :
•vingt et un ans d’apprentissage
•vingt et un ans de pratique
•vingt et un ans d’enseignement
Lorsqu’il a décidé d’être initié et de chercher un maître, le jeune Pullo est astreint à un certain nombre d’obligations pendant plusieurs années. A partir de l’âge de quatorze ans, et jusqu’à vingt et un ans, il doit quémander ou faucher l’herbe contre un salaire, ou vendre du bois mort, pour pouvoir acheter, grâce aux fruits de son labeur ou aux dons reçus, une poignée de céréales et les graines de trois variétés de calebassiers 29. Il va ensuite défricher en brousse pour établir un champ, semer les céréales et les graines de calebassier. Ce travail doit rester secret : l’intéressé doit sarcler, récolter et battre son grain seul. il transporte ensuite la récolte pour la vendre dans un marché se tenant régulièrement le samedi, et non un autre jour de la semaine. Le gain obtenu par la vente doit être consacré à l’achat d’un bouc et de vêtements : tunique, pantalon, bonnet en coton indigène tissé à la main, chaussures. Il lui faut généralement recommencer plusieurs années de suite et faire plusieurs récoltes pour que ses gains lui permettent d’effectuer ces achats.
Lorsque ce dernier stade est franchi, il doit tuer un bouc et enlever la peau de l’animal sans le vider. Puis il tanne la peau pour en faire une outre, toujours seul et dans son champ. Dans un même temps, il prépare sur place avec les produits des calebassiers — une gourde, une calebasse et une cuiller. Lorsque la peau est sèche, il doit aller la remplir d’une eau pure et se rendre à nouveau sur un marché se tenant le samedi, vêtu des habits qu’il s’est procurés et muni de ses ustensiles. Là, la première personne qui lui demande à boire doit devenir son instructeur ou le conduire à un maître. Si le demandeur est un homme d’âge, il le prie de l’enseîgner ; s’il est jeune, il lui demande de le mener chez un vieillard de sa famille qui devient son maître.
A partir du moment où le postulant est agréé par son maître, il devient son serviteur, et ceci jusqu’à la fin de l’initiation. Jusqu’à ce terme il doit également conserver et porter sur lui l’outre et les objets en calebassier sur lesquels il procède à des libations de lait et de beurre chaque samedi. Il peut toutefois ne pas les conserver, mais il doit alors les enterrer dans son champ et édifier en ce lieu une butte de terre de termitière, sur laquelle il fait régulièrement les mêmes offrandes. Dans le premier cas, il doit porter ses vêtements non seulement jusqu’à la fin de l’initiation, mais jusqu’à usure complète, dans le second cas il doit les donner à un pauvre 30.
Les travaux préliminaires imposés par la tradition à l’adolescent relèvent donc tout d’abord de son libre arbitre : il peut choisir d’être initié, ou en décider autrement. Ils témoignent aussi, sans qu’il en soit davantage conscient, de sa patience et de sa persévérance. D’autre part, ils nécessitent l’apprentissage de techniques (agriculture, travail du bois, du cuir) auxquelles il ne se livrera plus et absolument différentes de celles que, noble et pasteur, il devra plus tard exercer. Il découvre ensuite son maître par le procédé rituel que nous venons de relater, maître qui lui est délégué par les puissances surnaturelles, agents invisibles de l’initiation. Dès lors, ayant fait preuve de caractère, de discrétion et de certaines qualités morales, il développera, par son attitude envers son maître, d’autres vertus nécessaires : l’obéissance, la modestie, le sens de la discipline, et ceci jusqu’à la fin de l’initiation. L’instruction reçue exercera sa mémoire, assouplira son intelligence.
Avec l’âge, la pratique et en fonction de l’étendue de ses connaissances, l’initié pasteur, dit aga au Fuuta et baanyaaru au Maasina, accède progressivement au titre de silatigi, terme dont on ne peut donner d’étymologie précise 31, mais qui peut se commenter ainsi : « celui qui a la connaissance initiatique des choses pastorales et des mystères de la brousse ». L’influence considérable du silatigi s’explique par ce titre, le plus prestigieux que puisse souhaiter un Pullo : tout pasteur initié rêve d’être un jour silatigi.
Voilà le maître Amadou Hampaté Ba a parlé. Je n’ai rien à ajouter et si les internautes me posent des questions , je ne saurai répondre .Tout au plus je vais vous renvoyer à la longue bibliographie du maître. Alors courage et bonne lecture !
Diallo Boubacar Doumba
Première rencontre avec l’œuvre de Hampaté Ba
L’un des premiers ouvrages de A Hampâté que j’ai lu et m’a beaucoup marqué fut « L’empire Peulh du Macina », puis ce fut « Thierno Bacar, le sage de Bandiagara ». Ce furent mes premiers contacts avec l’auteur. Je l’ai vu pour la première fois en 1985 au Centre Culturel Français (CCF) d’Abidjan à l’occasion d’une conférence donnée par Roger Garaudy sur le thème : « Quel Islam pour le 20ème siècle », conférence qui allait me marquer durablement. Je me souviens que le Cheick A Hampâté était assis au premier rang et prenait des notes avec beaucoup d’humilité.
En 1986 ou1987, je me suis rendu à son domicile à Marcory pour lui délivrer un message de Abdoulaye Diallo « Ghana » accompagné d’un fils de ce dernier. Mais il était déjà très malade et ne recevait pas de visiteurs. C’est une de ses filles qui nous reçut et se chargea de lui remettre la commission.
Amadou Hampaté Ba né vers 1901 à Bandiagara (actuelle Mali) est décédé le 15 Mai 1991 à Abidjan. La nouvelle m’est parvenue le même jour vers 11h TU. Je me suis aussitôt rendu à la Mosquée peule de l’Avenue 21 à Treichville où eut lieu la prière mortuaire. Puis le défunt fut inhumé au cimetière de Williams ville le même jour selon sa volonté. Dans le cortège funèbre se trouvait son ami le Président FH Boigny. Sa tombe très simple est quasi anonyme ne portant aucune inscription et je m’y recueille de temps en temps. Que Dieu lui pardonne et lui ouvre les portes du Paradis Firdaus.
A présent, je vais donner la parole au Maître qui va donner un aperçu de l’initiation dans le pulaaku.
L’initiation : quelques extraits
« L’initiation, dit un texte pular/fulfulde, commence en entrant dans le parc et finit dans la tombe » (pulaaku fuɗɗi gila hoggo fa yanaande) 26.
La vie d’un Pullo, en tant que pasteur initié, débute avec l’« entrée» et se termine avec la « sortie » du parc, qui a lieu à l’âge de soixante-trois ans. Elle comporte trois séquences de vingt et un ans chacune :
•vingt et un ans d’apprentissage
•vingt et un ans de pratique
•vingt et un ans d’enseignement
Lorsqu’il a décidé d’être initié et de chercher un maître, le jeune Pullo est astreint à un certain nombre d’obligations pendant plusieurs années. A partir de l’âge de quatorze ans, et jusqu’à vingt et un ans, il doit quémander ou faucher l’herbe contre un salaire, ou vendre du bois mort, pour pouvoir acheter, grâce aux fruits de son labeur ou aux dons reçus, une poignée de céréales et les graines de trois variétés de calebassiers 29. Il va ensuite défricher en brousse pour établir un champ, semer les céréales et les graines de calebassier. Ce travail doit rester secret : l’intéressé doit sarcler, récolter et battre son grain seul. il transporte ensuite la récolte pour la vendre dans un marché se tenant régulièrement le samedi, et non un autre jour de la semaine. Le gain obtenu par la vente doit être consacré à l’achat d’un bouc et de vêtements : tunique, pantalon, bonnet en coton indigène tissé à la main, chaussures. Il lui faut généralement recommencer plusieurs années de suite et faire plusieurs récoltes pour que ses gains lui permettent d’effectuer ces achats.
Lorsque ce dernier stade est franchi, il doit tuer un bouc et enlever la peau de l’animal sans le vider. Puis il tanne la peau pour en faire une outre, toujours seul et dans son champ. Dans un même temps, il prépare sur place avec les produits des calebassiers — une gourde, une calebasse et une cuiller. Lorsque la peau est sèche, il doit aller la remplir d’une eau pure et se rendre à nouveau sur un marché se tenant le samedi, vêtu des habits qu’il s’est procurés et muni de ses ustensiles. Là, la première personne qui lui demande à boire doit devenir son instructeur ou le conduire à un maître. Si le demandeur est un homme d’âge, il le prie de l’enseîgner ; s’il est jeune, il lui demande de le mener chez un vieillard de sa famille qui devient son maître.
A partir du moment où le postulant est agréé par son maître, il devient son serviteur, et ceci jusqu’à la fin de l’initiation. Jusqu’à ce terme il doit également conserver et porter sur lui l’outre et les objets en calebassier sur lesquels il procède à des libations de lait et de beurre chaque samedi. Il peut toutefois ne pas les conserver, mais il doit alors les enterrer dans son champ et édifier en ce lieu une butte de terre de termitière, sur laquelle il fait régulièrement les mêmes offrandes. Dans le premier cas, il doit porter ses vêtements non seulement jusqu’à la fin de l’initiation, mais jusqu’à usure complète, dans le second cas il doit les donner à un pauvre 30.
Les travaux préliminaires imposés par la tradition à l’adolescent relèvent donc tout d’abord de son libre arbitre : il peut choisir d’être initié, ou en décider autrement. Ils témoignent aussi, sans qu’il en soit davantage conscient, de sa patience et de sa persévérance. D’autre part, ils nécessitent l’apprentissage de techniques (agriculture, travail du bois, du cuir) auxquelles il ne se livrera plus et absolument différentes de celles que, noble et pasteur, il devra plus tard exercer. Il découvre ensuite son maître par le procédé rituel que nous venons de relater, maître qui lui est délégué par les puissances surnaturelles, agents invisibles de l’initiation. Dès lors, ayant fait preuve de caractère, de discrétion et de certaines qualités morales, il développera, par son attitude envers son maître, d’autres vertus nécessaires : l’obéissance, la modestie, le sens de la discipline, et ceci jusqu’à la fin de l’initiation. L’instruction reçue exercera sa mémoire, assouplira son intelligence.
Avec l’âge, la pratique et en fonction de l’étendue de ses connaissances, l’initié pasteur, dit aga au Fuuta et baanyaaru au Maasina, accède progressivement au titre de silatigi, terme dont on ne peut donner d’étymologie précise 31, mais qui peut se commenter ainsi : « celui qui a la connaissance initiatique des choses pastorales et des mystères de la brousse ». L’influence considérable du silatigi s’explique par ce titre, le plus prestigieux que puisse souhaiter un Pullo : tout pasteur initié rêve d’être un jour silatigi.
Voilà le maître Amadou Hampaté Ba a parlé. Je n’ai rien à ajouter et si les internautes me posent des questions , je ne saurai répondre .Tout au plus je vais vous renvoyer à la longue bibliographie du maître. Alors courage et bonne lecture !
Diallo Boubacar Doumba
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