Profil de cas : Ould Abdel Aziz/France24, 12 minutes et 34 secondes pour s’enfoncer le clou



Est-ce la chaîne française France 24 qui a souhaité interroger l’ex-président de la République Mohamed ould Abdel Aziz ou celui-ci qui l’a lui-même sollicitée pour se faire entendre ? On parvient, aux deux termes de l’alternative, à la même conclusion.

Déficitaire en canaux de communication, Ould Abdel Aziz voulait parler et il a parlé. C’était son droit absolu mais ce n’est pas le plus important. L’occasion qui lui a été donnée ou qu’il s’est donnée pour s’exprimer une fois encore ne lui a servi qu’à dire… ce qu’il ne devait pas dire.

Et à ne toujours pas dire ce qu’il devait dire : après le constat d’échec de la commission parlementaire, des policiers de la Criminelle économique et de nous autres journalistes à lui faire dire ce que tout le monde veut l’entendre dire, c’est le même constat d’échec pour France 24 dont le journaliste n’a pas plus réussi à lui faire dire… d’où provient sa colossale fortune.

France 24, troisième sortie médiatique de celui qui prouve maintenant vraiment son mal à admettre qu’il n’est plus chef d’État de la Mauritanie. Et peut-être aussi son incapacité à se présenter, comme l’attendent les citoyens de ce pays, en responsable cohérent et conséquent avec lui-même.

Cela dit, on s’aperçoit, à l’analyse de ses propos, qu’il a tout de même donné des réponses à quelques questions des parlementaires, policiers de la criminelle économique et autres journalistes mauritaniens jusque-là laissées en l’état.

12 minutes et 34 secondes d’une interview dont Ould Abdel Aziz a profité pour répéter ce qu’il voulait « répéter » et « ajouter » ce qu’il voulait ajouter. Avec cette différence par rapport à ses précédentes rencontres avec la presse : une manifeste volonté de se faire entendre, cette fois, du Monde entier.

Comme pour plaider « non coupable » aux yeux de la France et de l’Afrique, Ould Abdel Aziz a cependant reconnu les faits reprochés. À la question de savoir s’il se sentait responsable des accusations qui pèsent sur lui, le président de la passerelle du pouvoir de 2008-2019 a clairement dit et sans ambigüité, je le reprends mot à mot: « Je suis le Président et assume toutes mes responsabilités.

Jusqu’à preuve du contraire, aucun ministre ni aucun Premier ministre ne peuvent dire que je l’ai poussé à agir dans l’illégalité, ni à se laisser corrompre ou accepter une corruption quelconque. C’est clair et je l’ai dit ».

Sale temps pour tous ses Premiers ministres et ministres qui se sont passé les relais, s’ils sont indexés dans des malversations ou des actes teintés de corruption ! C’est clair et Ould Abdel Aziz l’a dit en d’autres termes : « S’ils ont agi dans l’illégalité, se sont fait corrompre et ont accepté d’être corrompus, c’est bien à leurs risques et périls » et il ne lui manqua que d’ajouter à sa phrase : « même s’ils ont joué les facilitateurs ou intermédiaires dans des affaires dont mes proches et moi-même avons tiré profit ».

Insinuations maladroites

Cette prise de position de l’ex-Président répond clairement à l’une des questions auxquelles ni les membres de la commission parlementaire ni les enquêteurs de la Criminelle économique n’avaient trouvé de réponse.

Cette nouvelle donne va lancer une bataille juridique pour situer les responsabilités et obliger les Premiers ministres, ministres et autres responsables d’établissements publics accusés, à tenter de réunir des preuves matérielles irréfutables prouvant qu’ils ont été utilisés, sous contrainte professionnelle, en « intermédiaires agréés » ou « facilitateurs ».

La fuite en avant de l’ex-Président, devant ce que la CEP a considéré comme de sa propre responsabilité, fixe au moins les accusés sur ce qui peut être maintenant interprété en divorce complet entre celui-là et tous ceux qui lui furent proches quand il était au pouvoir.

Cela semblait d’ailleurs déjà évident : devant les membres de la CEP et les policiers de la Criminelle économique, ce n’étaient plus des Premiers ministres ou ministres d’Ould Abdel Aziz qui s’employaient à le défendre, mais des sous-fifres qui cherchaient à dégager leur responsabilité des conséquences graves des agissements d’un homme qui les employait en vendeurs d’un supermarché où l’on pouvait acquérir des licences de pêche, contrat juteux, concessions mobilières et immobilières, foncier et permis de recherche de toutes natures.

Autre révélation de l’interview (plutôt confirmation, d’ailleurs) : Ould Abdel Aziz laisse, une fois de plus, tomber des « sous-entendus » visant apparemment à semer le trouble dans l’esprit des Mauritaniens quant à la personnalité morale du nouveau président de la République.

Je le cite encore : « L’actuel Président le sait : je n’ai jamais poussé un Premier ministre ou un ministre à agir dans l’illégalité, ni à se faire corrompre ou accepter une corruption quelconque ». Et de préciser : « il connaît l’origine de tous mes biens ».

S’ajoutant à une autre « glissée » lors de sa précédente conférence de presse, cette révélation lance Ould Abdel Aziz dans des acrobaties « d’insinuations » guère propices à calmer le jeu d’une partie dont il est, de toute évidence, le premier perdant. Car si Ghazwani peut en savoir beaucoup sur Ould Abdel Aziz, son frère d’armes et ami, cela ne signifie pas que tous les « biens » de celui-ci aient été « bien acquis ».

Même à admettre, par exemple, qu’à l’ajout de ses fonctions de chef d’état-major des Forces armées puis de celles de ministre de la Défense, Ould Ghazwani ait joué le « teneur de livre » des comptabilités analytique et matière d’Ould Abdel Aziz, cela ne justifie en rien la provenance de « tous les biens » de celui-ci. Et n’implique pas plus la responsabilité de celui-là dans leurs acquisitions.

Mieux : Ould Ghazwani connaîtrait-il vraiment l’origine de tous les biens de l’ex-Président, ce ne serait certainement pas à lui d’aller répondre en nom et place d’Ould Abdel Aziz devant la commission parlementaire et les enquêteurs de la Criminelle.

Incohérences

Ould Abdel Aziz reconnaît détenir beaucoup de biens. Qu’est ce qui l’a donc empêché d’aller en justifier la provenance devant les investigateurs de la CEP et de la police des crimes économiques ? Aurait-il nécessairement besoin de la présence à ses côtés de son « Mouchry Saleh » à lui, (Ould Ghazwani en l’occurrence) pour éclairer la lanterne des enquêteurs à ce sujet ?

Autant d’incohérences détruisent, chaque jour un peu plus, ce qui reste de la personnalité politique de Mohamed ould Abdel Aziz, de sa réputation morale et de sa crédibilité d’ancien dirigeant de ce pays. C’est fort regrettable.

D’autant plus regrettable que les entêtements du personnage à vouloir faire croire que tout est « monté de toutes pièces », qu’il s’agit d’une « chasse aux sorcières » et d’« un véritable règlement de comptes » ne le disculpent ni n’atténuent en rien les charges retenues contre lui, pour ses agissements personnels et ceux retenus à l’encontre de très proches de son cercle familial sur lesquels pèsent également de graves soupçons.

L’ex-Président s’obstine à ne pas comprendre ou ne pas vouloir comprendre la présente situation : les Mauritaniens n’ont pas élu Ould Ghazwani sur la base de son « passif » amical avec lui. Que cette amitié fût peut-être basée sur un « win-win » secret entre les deux hommes, une solidarité inconditionnelle ou une « complicité de génération » est assez probable. Mais nous sommes aujourd’hui dans un autre cas de figure.

Les rôles sont inversés : Ould Abdel Aziz doit rendre la monnaie à Ould Ghazwani. En respectant à tout le moins sa qualité de chef d’État comme celui-ci s’y employa quand celui-là était au pouvoir.

Une chose est cependant certaine : la rupture est aujourd’hui flagrante et fait des vagues. Elles risquent de noyer beaucoup de Mauritaniens qui nagent encore dans des eaux politiquement et socialement troubles.

Dans sa dernière interview « sollicitée » ou « accordée » à France 24, Ould Abdel Aziz s’est employé à passer un nouveau message lançant un discrédit guère adroit sur le nouveau chef de l’État et n’a pas fait aucun cadeau à tous ses anciens collaborateurs, Premiers ministres, ministres et directeurs d’établissements publics qui ont appris à leurs dépens que s’« ils ont agi dans l’illégalité, se sont fait corrompre ou ont accepté une corruption quelconque » dans son intérêt ou à son profil, ils doivent le prouver. C’est seulement dans ces conditions qu’il assumera toutes ses responsabilités de Président.

Ould Abdel Aziz est un cas unique dans les annales de l’histoire des chefs d’État du continent africain. Ce cas tranche avec tout ce qu’on a pu voir ailleurs : un président très riche oubliant dans son compte ses salaires portant sur huit cents millions d’ouguiyas, possédant par personnes interposées, paraît-il des comptes bourrés en différentes banques de la place, faisant vendre pour se les acheter des domaines publics, y construire des édifices destinés à des activités à but lucratif et… criant à la victime ! C’est incroyable.

Dialogue de sourds ? Il n’a manifestement pas compris que cette affaire n’oppose pas un ex-Président en perte de centre de gravité, et un nouveau qui n’«interfère pas », comme dit celui-ci, dans les questions d’une justice souveraine.

C’est un règlement de comptes entre Ould Abdel Aziz et le peuple mauritanien sur lequel il a craché, en des faits qui lui sont reprochés et avérés par un cumul de preuves d’« une histoire très complexe », comme il l’a reconnu lui-même sur France 24, dans une interview où certains mots ont été exprimés par des « maux ».

Mohamed Chighali


Source : Le Calame

Samedi 26 Septembre 2020
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