Presse : après l’ère de la gabegie, un profond toilettage en vue



Presse : après l’ère de la gabegie, un profond toilettage en vue
Depuis quelques semaines, la presse privée mauritanienne est en ébullition ; pour cause seule une quarantaine (sur près de 500 titres) jugés « réguliers » ont été sélectionnés pour bénéficier de l’aide à l’impression. Il y a également le Parlement qui va bientôt voter la loi à l’aide publique à la presse et tout récemment la délégation de la commission de l’Union Européenne a accordé une subvention à la presse écrite d’un million et demi d’euros.

C’est alors que deux associations regroupant les journaux dits indépendants ont vu le jour depuis le mois dernier : Le Rassemblement de la Presse Mauritanienne et le Groupement des Editeurs de Mauritanie. Zoom sur une presse qui a connu bien des remous depuis son apparition.

Apparue après le vote consacrant le pluralisme démocratique en juillet 1991, la presse privée mauritanienne a connu des fortunes diverses. Les autorités par négligence ou par calcul cynique avaient facilité l’octroi des récépissés. Ce qui permettait l’émergence et le développement de titres à une vitesse fulgurante. Chacun y allait de son journal : professionnels de l’information, enseignants, hommes d’affaires, commerçants, diplômés à la recherche d’un emploi, agents infiltrés des services de renseignement, etc. C’est à cette époque que des journaux comme Mauritanie Demain, Le Temps, l’Eveil Hebdo, l’Indépendant, Mauritanie Nouvelles, l’Unité, El Bayane et bien d’autres voyaient le jour. Le ton était libre et les critiques acerbes contre le Gouvernement et l’ancien Président Ould Taya étaient tolérées. Malgré ce relatif climat de liberté, beaucoup de titres vont disparaître en raison d’une publicité encore embryonnaire et en l’absence d’une aide de l’Etat. Seuls les journaux ayant une bonne assise financière ou la bienveillance des autorités se maintenaient à l’exception de l’Eveil Hebdo qui en dépit de l’hostilité du pouvoir et de ses très faibles moyens se maintenait. Il faut rappeler que l’émergence de la presse privée est intervenue au lendemain des graves violations des droits de l’Homme commises à l’endroit de militaires appartenant à la communauté négro-africaine (entre 1990 et 1991) et après les vives tensions qui opposaient différentes composantes du pays suite à la déportation de dizaines de milliers de Mauritaniens au Sénégal et au Mali.
Pression et intimidation

C’est alors que les journaux réclamant justice pour les victimes de cette sombre page du pays se voyaient marginalisés et condamnés par asphyxie à une mort certaine. Ce fut le cas pour l’Unité et surtout l’hebdomadaire Mauritanie Nouvelles bien qu’étant à l’époque le journal le plus lu. Ce journal plus mû par professionnalisme que pour toute autre raison, subissait les foudres des renseignements. C’est d’ailleurs à partir de ces moments (1994) que le pouvoir essayait de mettre au pas la presse privée. Les censures, les interdictions, les intimidations et les menaces étaient le lot quotidien des journaux qui se voulaient indépendants du pouvoir (Mauritanie Nouvelles, Le Calame, l’Eveil Hebdo etc.). En même temps des titres très favorables au régime de Ould Taya voyaient le jour : La Vérité, Le Point, Nouakchott Info, Le Citoyen et de nombreux titres arabophones. Les récépissés continuaient d’être octroyés et un nouveau type de journalistes apparaissait : les « peshmergas » (en allusion aux rebelles kurdes irakiens). Ces détenteurs de titres avaient une singulière manière de se faire des entrées financières : racket, chantage, intimidation, « griotisme » etc., à défaut de sortir des éditions, si celles-ci n’étaient pas à la gloire de certaines personnalités ayant consenti à mettre la main à la poche.

Face à une impitoyable répression et aux mirobolants avantages que le pouvoir concédait à « sa presse », la presse privée en général se ramollissait après l’élection présidentielle de 1997. Le chantage financier faisant ses effets, les journaux soucieux de continuer de paraître se rangeaient, y compris ceux qui s’opposaient le plus virulemment au régime de Ould Taya. Les associations de presse créées à l’époque (ANPI, UPIM, AJM etc.) servaient soit d’étendard au pouvoir ou à un moyen de promotion personnelle pour ses principaux dirigeants. Domptée, voire asservie, la presse privée cessait de s’investir dans des sujets gênants pour le pouvoir. Des articles fades sans intérêt prenaient la place aux enquêtes et autres articles de fond qui avaient donné une certaine réputation à cette presse jusqu’au milieu des années 90. C’est surtout en 2003 que la presse dite indépendante allait toucher le fond lors de l’élection présidentielle de novembre 2003.


Le pouvoir de l’argent prend le dessus

Le pouvoir (PRDS, hautes autorités et élus) arrosait copieusement les grands journaux et ceux-ci faisaient campagne ouvertement pour le Président Ould Taya. La presse libre s’était alors décrédibilisée. Les « peshmergas » étant devenus de loin majoritaires, y compris parmi la presse dite sérieuse. La presse privée traversait alors des moments critiques. La couverture du moindre événement s’avérait être un véritable parcours du combattant. Des centaines de journalistes (pour la plupart détenteurs uniquement de récépissés) faisaient le guet pour obtenir une faveur ou à défaut toucher aux perdiem prévus pour la presse. C’est à la faveur du changement de régime intervenu après le renversement du Président Ould Taya en août 2005, que les journaux tentaient de se donner une nouvelle image. La junte militaire ayant déclaré la guerre aux anciennes pratiques, la presse essayait alors de s’accommoder de la nouvelle situation. Bien que dénonçant la mauvaise gouvernance, généralisée durant le règne de Ould Taya, la presse privée voyait mal que certains avantages qui lui étaient anormalement accordés, lui soient retirés (abonnements de soutien faramineux de grandes institutions de l’Etat, contrats mirobolants accordés à certains journaux, distribution d’argent liquide ou de tickets de carburant etc.). Conscient que le secteur de la presse privée avait besoin d’un sérieux lifting, le pouvoir de transition, après avoir créé la HAPA (Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel), instance chargée de réguler la presse, mettait en place une commission en charge de la réforme de la presse. Ainsi une nouvelle ordonnance régissant la presse voyait le jour. Principales avancée : le régime d’autorisation faisait la place au régime de déclaration. Finies les tracasseries du Ministère de l’Intérieur et ses censures, les journaux avaient désormais comme interlocuteur le Procureur.
Toilettage en vue

Mais c’est seulement après l’arrivée au pouvoir du Président Sidi Ould Cheikh Abdellahi, que la HAPA et le Ministère de Culture et de la Communication décidaient de procéder à une enquête complète sur la situation de la presse. IL faut dire que la cellule de communication de la Présidence ne supportait plus la présence de la presse dite peshmerga qui selon elle contribuait à ternir l’image de la presse et celle du pays en général. En somme, la mort de ces journaux était souhaitée, voire programmée.

Ainsi à la suite de l’enquête de la HAPA en janvier 2008, le Ministère retenait 35 journaux paraissant régulièrement (sur quelques 200 journaux parus en 2007) et pour certains organisés sous forme d’entreprise de presse (local, des employés à charge, des contrats de travail, une écriture comptable etc.). Une vive contestation ébranlait la HAPA, le Ministère de la Communication et même la Primature après la publication de cette liste. Les journaux écartés faisaient du grabuge et demandaient l’annulation de cette décision. Il faut dire que les journaux retenus bénéficiaient de l’aide à l’impression. Ainsi, par exemple, un quotidien faisant partie de la liste des 35 ne payait que 10.000 UM (environ 20.000 Fcfa) par jour pour ses frais d’impression, alors qu’un autre quotidien non sélectionné payait le quadruple à l’imprimerie nationale. En plus de cette aide à l’impression, seuls les heureux élus bénéficient aujourd’hui des abonnements et autres publicités accordés pas les grandes institutions de l’Etat.

Il faut noter que des journaux faisant partie de cette liste remettent en cause pour eux le nombre élevé de journaux dits sérieux (les 35 auxquels ont été adjoints une dizaine par la suite). C’est ainsi que près de 20 journaux ont constitué le Rassemblement de la Presse Mauritanienne. Cet ensemble est composé des journaux se disant les plus réguliers et les plus sérieux : il s’agit entre autres du Calame, de l’Eveil Hebdo, de la Tribune, de l’Authentique, de Essevir, d’Akhbar Nouakchott, des nouveaux quotidien : Biladi et le Quotidien de Nouakchott etc. Cette presse qui a tenu à se désolidariser des autres journaux entend offrir une image où seuls le professionnalisme et le respect de l’éthique et de la déontologie feront foi.

Une presse divisée

La deuxième association, le Regroupement des Editeurs de Mauritanie, dénonce pour sa part la mise à l’écart de journaux réguliers par le RPM et se veut ouverte et disposée à contribuer à asseoir une presse responsable. Elle est animée par des journaux de moindre renommée (La Presse, La Voix des Travailleurs, Nouakchott Matin, El Alam etc.) S’il est vrai que la presse libre a souffert de l’absence de moyens et de l’interventionnisme de l’Etat, elle a également pêché par manque de professionnalisme. En effet, très peu de journalistes animent les rédactions des journaux mauritaniens. Ce sont souvent des instituteurs, des professeurs, des étudiants, des chercheurs et autres diplômés en quête d’emploi qui peuplent ces rédactions. Il en ressort alors des dérapages et excès surtout dans la presse arabophone mais également dans quelques quotidiens et hebdomadaires de la presse francophone se disant pourtant sérieux.

Enfin il est à noter qu’une presse « people » a vu le jour ces derniers mois. Des magazines tels qu’ Epok dirigé par une spécialiste en communication, Djinda Ball, offre une image reluisante qui change des formats tabloïd en vigueur dans la presse. Toutefois, ces magazines sont obligés d’imprimer à Dakar ou à Casa, l’imprimerie nationale faisant défaut pour la quadrichromie.

En somme, l’on voit que la presse privée est en train de connaître de profondes mutations voulues par l’Etat afin que seuls les journaux répondant à un certain nombre de critères (sérieux, régularité, organisation sous forme d’entreprise) continuent de paraître. Pour les autres, c’est une fin programmée qui les attend.


Birome Guèye


© African Global News - Août 2009


Source: Taqadoumy

Dimanche 30 Août 2009
Boolumbal Boolumbal
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