Pouvoir /opposition: Querelle sur fond de chiffres

Le pouvoir et l’opposition ont débuté la nouvelle année 2011 comme ils avaient fini 2010, c'est-à-dire dans la polémique. Une nouvelle guerre sur fond de chiffres à géométrie variable par lesquels le gouvernement présente les bonnes performances de l’année précédente, annonciatrices, comme il se doit, des meilleures perspectives pour 2011. Le cadre de la nouvelle bataille est offert par la présentation, devant le Parlement, de la Déclaration de Politique Générale (DPG) du gouvernement, par le Premier ministre, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf, le vendredi 7 janvier dernier.



Pouvoir /opposition: Querelle sur fond de chiffres
Le pouvoir et l’opposition ont débuté la nouvelle année 2011 comme ils avaient fini 2010, c'est-à-dire dans la polémique. Une nouvelle guerre sur fond de chiffres à géométrie variable par lesquels le gouvernement présente les bonnes performances de l’année précédente, annonciatrices, comme il se doit, des meilleures perspectives pour 2011. Le cadre de la nouvelle bataille est offert par la présentation, devant le Parlement, de la Déclaration de Politique Générale (DPG) du gouvernement, par le Premier ministre, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf, le vendredi 7 janvier dernier. Un exercice au cours duquel le chef du gouvernement a réalisé une projection pleine d’espoir, pour l’année qui vient de débuter, en déclarant que «la priorité sera accordée à l’enseignement, à l’accès aux services de santé, à l’emploi et au renforcement des infrastructures».

Mais, avant le futur, la lecture de la Déclaration de Politique Générale du premier Ministre aura, surtout, retenu l’attention des observateurs, par le bilan dressé de 2010, avec un taux de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) hors pétrole de 5,6%. Une performance qui tranche, fortement, avec le chiffre négatif de l’année 2009, plutôt morose, avec une décroissance de -1,1%.
L’inflation, nous informe le chef du gouvernement, serait contenue «autour de 5%, en glissement annuel; le déficit budgétaire, ramené à 3,8%, en 2009 et 3%, hors pétrole, en 2010; […] des milliers d’emplois nouveaux ou à générer, à court terme, dans les secteurs des mines, de la pêche et de l’agriculture». De bons chiffres de nature à prouver que «la Mauritanie se porte beaucoup mieux, depuis l’arrivée de Mohamed Ould Abdel Aziz, un certain 6 août 2008», estiment nos confrères de la presse gouvernementale, notamment le quotidien «Horizons», dans sa livraison du dimanche 9 janvier. «Face aux critiques de l’opposition», ce journal entend, ainsi, offrir, à ses lecteurs, «la réalité des chiffres». Du coup, les Mauritaniens peuvent – le devraient même, devant si probante évidence – applaudir à tout rompre, chanter et danser pour saluer les réalisations du nouveau pouvoir qui sauve le pays de la gabegie et du naufrage.

Cependant, même à supposer que la Mauritanie, en dépit de sa fâcheuse habitude à tricher avec elle-même et ses propres performances économiques, dise, pour une fois, la vérité, de nombreuses questions restent pendantes. Celles-ci portent, notamment, sur l’incidence de ces chiffres sur le quotidien d’une population confrontée à une hausse, vertigineuse et continue, des prix, avec, en corollaire, une dégradation, drastique, des conditions de vie.
Passage en force

Face à l’image, idyllique, de la Mauritanie présentée par le PM, l’opposition reste, donc, plus sceptique, pour ne pas dire, simplement, de marbre. Elle dénonce un passage en force et conteste la rhétorique de la lutte contre la gabegie. Illustration, lors de la séance plénière consacrée à la présentation de la DPG du gouvernement, avec la montée au créneau de Kadiata Malick Diallo, député de l’Union des Forces de Progrès (UFP), toujours très à l’aise pour apporter la contradiction au pouvoir. La bonne dame pose une question orale, et soulève, d’abord, un vice de forme concernant la tenue de la séance. Elle évoque «une loi organique, validée par le Conseil Constitutionnel, qui dispose, clairement, en son article 56 que l’Assemblée nationale ne peut se réunir en séance plénière les vendredis et samedis».

La suite de son discours met en exergue d’autres faits du même genre, toute une série «de violations», au cours de l’année écoulée, des lois de la République dont certaines ont eu pour effet de «bloquer le nécessaire contrôle parlementaire sur l’exécutif». De ces écarts, la représentante de l’UFP conclut que «nous ne sommes pas dans un système démocratique mais c’est, plutôt, la force qui gouverne et il faut s’y soumettre». L’impossibilité de contrôle de l’action gouvernementale «en violation de l’article 68 de la Constitution» se matérialise par le fait que «le parlement n’a pas reçu les rapports semestriels sur l’exécution des budgets 2009 et 2010, rapports exigés par la loi et réclamés par les députés», en vain et malgré tous les engagements, notamment ceux du ministre précédent des Finances.

Le chapelet de reproches de Kadiata Malick Diallo, sur une gestion dont la transparence ne serait nullement le souci majeur des autorités, au-delà de la rhétorique et des effets d’annonce, est aussi structuré par la question des comptes d’affectation spéciale qui règlent, au terme de la loi 78.011, toutes les formes d’exécution prévues en matière de lois des finances. Selon les textes, lesdits comptes ne peuvent être constitués que pour les financements provenant, totalement ou partiellement, de dons ou prêts, au titre de l’aide extérieure. «Or», souligne Kadiata, «vous avez constitué, tant cette année que l’année dernière, des comptes d’affectation spéciale sur financement totalement intérieur. Vive la transparence! »

Tout cela pour signifier que la lutte contre la gabegie reste d’autant plus un slogan qu’aucune structure n’a été mise en place pour donner, au concept, un contenu, concret, dans le contexte mauritanien, à part des arrestations, dans le cadre de certaines affaires qui puent, à plein nez, des règlements de comptes «alors que les véritables sources de la gabegie restent, plus que jamais, fonctionnelles», a martelé la représentante de l’UFP. Un constat qui lui permet de reparler des 50 millions de dollars US, aide d’un pays ami – suivez mon regard – et de dire que l’irrespect de la loi, les dépenses hors de tout cadre légal, les marché de gré à gré, l’absence d’enquête et de contrôle, sur certaines affaires, suspectes, ayant fait l’objet de dénonciation, soit de la part des partis politiques, soit des syndicats, sont les véritables ennemis de la transparence. Et continuent à faire les beaux jours d’une gestion nébuleuse qui ne cesse de tirer la Mauritanie vers le bas.

«Des artifices pour exécuter les dépenses de l’Etat»: du côté des amis de Mohamed Ould Maouloud, on pense que la Mauritanie est gérée comme une boutique. La transparence dans la gestion n’étant toujours pas au rendez vous, tous les autres problèmes économiques et sociaux continuent à se poser avec plus d’acuité: hausse des prix des denrées de base, chômage (avec un taux de 31,5%), éducation dans une situation «lamentable», etc. Cette réalité pousse le député Mohamed Ould Moine, du Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD), un autre parti de l’opposition historique, à demander des explications sur le recul de la Mauritanie, dans le classement de l’ONG Transparency International, qui note, dans sa dernière livraison annuelle, une hausse de la perception du taux de corruption.

Au-delà des sempiternelles querelles pouvoir/opposition et autres prises de position partisanes, une réalité demeure: le gouvernement pourrait bien avoir restauré les grands équilibres macroéconomiques, ramener la croissance, etc., mais, tant que perdure la hausse des prix, quelles qu’en soient les raisons, les conditions de vie des couches les plus vulnérables continueront à se dégrader. La bonne répartition des fruits de la croissance, même au plus fort taux, est toujours une «autre paire de manches», ici comme ailleurs... Autant dire que, pour le plus grand nombre, les discours des gouvernants sur ce genre de sujet resteront, toujours, aériens, totalement déconnectés des réalités quotidiennes, au même niveau qu’une idée platonicienne.
Amadou Seck

le calame

Mercredi 12 Janvier 2011
Boolumbal Boolumbal
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