Portraits d’après mémoire: Sept militaires chefs d'Etat en Mauritanie : Fin d’un cycle, enfin?



Portraits d’après mémoire: Sept militaires chefs d'Etat en Mauritanie : Fin d’un cycle, enfin?
(Deuxième partie)

E/Le colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya
Il aura marqué l'histoire de la Mauritanie à telle enseigne que son héritage, cinq ans après son départ, demeure encore difficile à gérer. Et, pourtant, le pouvoir de Taya, auquel certains nostalgiques sont encore attachés, probablement par défaut, n’était ni politiquement correct ni durablement porteur de lendemains meilleurs. Aussi, à l'euphorie du 12/12/84, succède la désillusion, dès 1987. Cet officier n'avait jamais rien demandé à personne, avant d’accéder à la magistrature suprême, on le disait en rupture de ban avec la société, ne s'occupant que du cercle restreint de sa famille, on crut qu’il serait la manne providentielle tant attendue, au service du peuple. L’homme, volontariste au début, s’est, aussitôt, mué en modèle prosaïque, comme son prédécesseur, médiocre, juste attiré que par le pouvoir, rien que le pouvoir. Alors, comment se maintenir au sommet de l'Etat, le plus longtemps possible, dans un pays où fidélité et versatilité font si bon ménage? Au décès de son épouse Sadia Kamil qui, paraît-il, était bonne conseillère, le soustrayant, constamment, aux virus susceptibles de le corrompre, les vannes de la mal gouvernance commencèrent à se déverser.

Après la tentative avortée d’octobre 1987, l’histoire mauritanienne prit un coup d'accélérateur. En 1988, des officiers, jugés, jusque là, compétents, ont été débarqués, pour sympathie baathiste. Je pense aux commandants Cheikh Ould Dedde, de la gendarmerie, feu Mohamed Ould Bohedda, qui n'a pu résister à ce supplice, Sid' Ahmed Ould Dahi, irréprochable, le capitaine Mohamed Ould Ghailass, qui forma beaucoup d'officiers mauritaniens à l'EMIA, le lieutenant Mohamed Ould Mamy, pour ne citer que ceux-là. Il paraîtrait que ce sont, toujours, les groupuscules d'obédience nationaliste arabe qui se donnent des coups tordus, en catimini. En 1989, si le conflit avec le Sénégal était difficilement inévitable, parce qu'attisé par les extrémistes flamistes et autres nationalistes arabes, le pouvoir de Maaouya en a profité pour opérer un nettoyage «ciblé». S’emparant de ce climat délétère, certains officiers, proches de Maaouya, vont lui faire croire que tous les Négro-mauritaniens sont à ce point flamistes, qu’ils fomenteraient un «autre» coup d'Etat. On connaît la suite des événements, en 1990. Ould Taya était-il au courant des purges ou a t-il été mis devant le fait accompli? Voilà, en tous cas, un résultat fort macabre, quand on laisse ses proches agir en toute impunité.
En 1991, les Etats africains étaient en ébullition, pour cause de renouveau démocratique et les troubles, au Mali voisin, ne riment pas avec quiétude. Il faut démocratiser la vie publique, du mois en apparence. Mais, surtout, pour parer à toute éventualité, Maaouya procède à un réajustement dans l'Armée. N’était-ce pas l'aide de camp de Moussa Traoré, le colonel Nourou Diallo, qui avait facilité le coup d'Etat du colonel ATT? Il fallait, donc, éjecter le capitaine Mohamed Ould Abdel Aziz du BASEP, remplacé par son adjoint, le capitaine Eyoub, un Smacide, cousin du président. Le capitaine Mohamed Ould Abdi est nommé aide de camp, en remplacement du capitaine Ghazwani, parti en formation en Irak. Le colonel Moulaye Ould Boukhreiss, jusque là directeur d’Air Mauritanie, devient le chef de l’état-major national, au grand étonnement de la majorité de l'Armée.
Comment Maaouya a-t-il pu choisir cet officier, qu'on disait félin et ambitieux, pour s'occuper de l'Armée? A mon sens, il fallait un Atarois de souche, au cas où cela dégénère, qui puisse sécuriser les richesses des proches du président. Le colonel Aberrahim Ould Sidi Aly, alors directeur de l'EMIA, apporta à ce même Boukhreiss qu’il boudait auparavant, le croyant à jamais fini, une tenue militaire et des galons, dans une palmeraie, paraît-il. Abderrahim a demandé, récemment, à terminer sa carrière à Djeddah, probablement pour se faire pardonner ses manières sado-machiavéliques qui n'épargnèrent aucun de ses contemporains, militaires ou civils.
Après les élections de1992, entachées de fraudes massives, Maaouya commença à ankyloser les cerveaux, même les plus avertis. Ainsi, imams, érudits, parlementaires, officiers, magistrats, le moindre médecin réputé cultiver, pourtant, une fibre humaniste, l’avocat naturellement acquis à la défense des droits de l'Homme, l’universitaire pétri de bonnes lectures, etc., tous ont accepté de s'abreuver, selon l' expression d'Alain, de «cette pluie de l'expérience qui jamais n'instruit». De probes officiers, excellents à leur début de carrière, tels Boukhreiss, Ely Ould Mohamed Vall, Né Ould Abdel Malik, par exemple, ont pu être «endigués», vers les eaux fangeuses de la culture du «facilement gagné». Né Ould Abdel Malik fut, jusqu’à son grade de commandant, un brillant officier avec «un oeil de gendarme» inégalable, avant de se spécialiser en payeur cash de villas cossues. Boukhreiss était, de même à ses débuts, un idéaliste, proche des milieux nasséristes où l'argent était considéré comme une tare. Un jour de l'année 2001, cet officier m'a reçu dans son salon somptueux, à Tevragh Zeïna, par l'intermédiaire de son chauffeur Sidi, mes demandes officielles d'audience n'ayant pas abouti. Avant même que je ne lui parle de l'objet de mon rapport de santé, Moulaye, s'informant certes sur mon état d'esprit, se mit à critiquer la situation du pays, comme s'il avait des remords ou se faisait des reproches d'avoir été trompé. «En 1979», disait-il, «j'ai quitté le gouvernement, ministre de la Pêche sans le sou, avec mon sac porte-documents.» Maaouya l'avait transformé en simple chercheur....d'argent, n’était-ce pas prémédité? Pire encore, il lui a collé la responsabilité, historique, d'avoir détruit l'Armée nationale. Beaucoup de voix se sont élevées pour dénoncer la déconfiture de celle-ci, mêmes les proches de Maaouya, comme le colonel Mohamed Ould Maazouz, d’ailleurs mis aux arrêts, pour cela. Maazouz, on aime ou on n’aime pas. Allure de commando, faciès de néolithique, chauvin et ne s'en cachant point, donc extrémiste dans toutes ses initiatives, le colonel Maazouz, qu’on le veuille ou non, ne laisse pas indifférent, son attitude reflétant, tout de suite, sa caractériologie, contrairement à la vision sado-machiavélique des colonels Abderrahim et Alioune Ould Soueilim dont le sourire peut être poison.
Maaouya était-il au courant que, même à la Présidence, certains officiers du BASEP se livraient au trafic d'influence? Ainsi, le mercredi, à chaque conseil de ministres, le capitaine Nourou, sous l'œil vigilant de son chef Eyoub ciblait les ministres auxquels on devait rendre visite. Rien que les ministres des Finances, Camara Aly Guéladio, ou de l'Intérieur, Kaba Ould Aleiwa ont donné, au nom du bataillon, plus de 200 lots à Nouakchott. Et ceci n'est que la partie visible de l'iceberg, paraît-il. Un proche doit-il nuire, directement ou non, à son président de parent, rien que pour le profit matériel? Si de telles pratiques dolosives étaient conçues au palais, qu’en serait-il, alors, des autres casernes disséminées sur tout le territoire national? Maaouya avait laissé l'Armée à son sort, ne cultivant, désormais, que le culte de sa personnalité. D’ou une atmosphère manichéenne: d'un côté, les nantis; de l'autre, les «niais du parterre», avec des salaires de misère, qui cachent leurs galons d'officier, avant de monter dans les fameux bus de transport nouakchottois ou «bus de l’Apocalypse». Voilà pourquoi, le 8 juin 2003, des militaires ont perdu patience et tentèrent de renverser le régime. N'eût été son calme et la clairvoyance de son aide de camp, le colonel Mohamed Ould Abdi, accouru à son secours, Maaouya aurait été déposé par les commandants Mohamed Ould Cheikhna, Saleh Ould Hanena, avec des chars prêtés, pour l'occasion, par les capitaines Ould Mini et Mohamed Ould Salek. En ce jour étonnant, Maaouya sortit du palais et se rendit à l'état-major National, pour se sécuriser. Le lieu étant obscur, il pensait à la gendarmerie, à côté, lorsque le colonel Ould Abdi lui proposa d'aller, plutôt, à la Garde nationale...Arrivés à l’état-major de la Garde, ils sont rejoints par le colonel Mesgharou Ould Sidi, le colonel Welad Ould Haimdoun qui croyait à un «piège» et ne vint pas de sitôt. Beaucoup de gens reprochent, aujourd’hui, à Mohamed Ould Abdi son manque de vision à long terme et d'ambition prononcée. Certes, il ne voulait pas trahir une seconde fois. Mais ne savait-il pas que le pouvoir de Maaouya était en fin de course, à bout de souffle? Ne devait-il pas jouer le rôle du médecin soignant, qui fait mal, d'abord, à son patient, dans le but de le guérir? Tout le monde savait que Maaouya, à travers ses agissements tumultueux, usé par le pouvoir, n’avait plus une marge suffisante de manœuvres pour conserver, longtemps, le pouvoir. Et celui qui le déposerait rendrait un service inestimable, à lui et à la nation mauritanienne. C’est ainsi qu'un officier du sérail, le 3 août 2005, ayant observé, depuis quelques temps, déjà, le comportement peu orthodoxe du président, saisit la balle au bond et mit fin à un quart de siècle de vie officielle de son démiurge. Le colonel Ould Abdel Aziz, aidé du colonel Ghazwani. Pas très à point, pour le moment, et ne voulant pas aiguiser, voire piétiner la susceptibilité de ses aînés colonels plus anciens au grade, Ould Adel Aziz remit le pouvoir à son cousin germain, le colonel Ely Ould Mohamed Vall. Ainsi débutait une transition de deux ans.

F) Le colonel Ely Ould Mohamed Vall :

Le 13 décembre 1984, un officier actuellement au grade de colonel, entra dans le bureau du capitaine Ely Ould Mohamed Vall, alors commandant la 6ème Région militaire, en communication téléphonique avec Maaouya, président depuis seulement le 12/12. «Je vous ai trouvé, mon colonel, l’homme qu’il vous faut pour le poste d’aide de camp: le lieutenant Mohamed Ould Abdel Aziz », dit Ely Ould Mohamed Vall à Maaouya. On prétend, même, que c’est aussi celui-là qui fut à l’origine du recrutement du futur président mauritanien, en 1977. Vrai ou faux, les supputations vont bon train, quand à la discorde entre les deux cousins germains. S’il y a du vrai, dans les allégations ci-dessus mentionnées, le général a déjà rendu la monnaie. L’intéressé a déposé Maaouya, en août 2005, et cédé le pouvoir au colonel Ely, bien que rien ne pouvait l’y contraindre, lui qui disposait de la force de frappe, à Nouakchott (le BASEP). Le colonel Ely, en menant la transition, deux ans durant, a vu sa notoriété et sa réputation de démocrate, à l’instar d’ATT du Mali, croître aux yeux de l’opinion internationale. En 2007, si le général était resté acteur passif, en ne portant pas de choix sur un candidat qu’il fera gagner, il serait, actuellement, dans la rue, dans le plus grand anonymat. Personne, en dehors de ses proches, ne pleurerait son sort. Au moment des élections de 2007, le colonel Ely a donné, un moment, l’impression de briguer un mandat, en parlant de vote blanc. Ce qui irrita Ould Abdel Aziz et une partie du défunt CMJD. «On ne prête pas ses mâchoires, au moment de croquer», dit l’adage. Désormais Ould Abdel Aziz veut et peut, selon sa pensée, jouer lui-même un destin national.
Avec cette génération de dirigeants comme Ely Ould Mohamed Vall ou Maaouya, avant lui, voici une autre conception du pouvoir, contraire à celle des officiers de l’Est et de l’homme de l’Ouest qu’était Moktar Ould Daddah. Issu d’un milieu qui avait le sens de l’Etat – c’est, probablement, dû à la proximité géographique d’avec la France coloniale, par le biais de l’AOF (Afrique Occidentale Française) dont la capitale n’est autre que Dakar au Sénégal, Ould Daddah, malgré 18 ans de pouvoir, était dépourvu de cupidité. Quant aux officiers de l’Est ayant pris le pouvoir, en 1978, leur espace vital était le Mali, pays au passé glorieux, mais pauvre, où l’on ne trouve que des arachides et du piment – à gogo, il est vrai – ils n’avaient, pour credo, que la bravoure, l’altruisme, la prodigalité et une certaine… pincée d’oisiveté. Tandis que leurs collègues officiers, du 12/12/84 au 6 août 2008, influencés plutôt par les vents venus du Nord – Maroc, surtout – rivalisaient en goût de luxe, mercantilisme, esprit imaginatif, obnubilé à faire fructifier l’argent, devenu «le» centre d’intérêt. On voit qu’au-delà du clivage intrinsèque, s’affrontent, plutôt, deux concepts, deux entités civilisationnelles, dérivés du milieu spatio-temporel de chacun des protagonistes. C’est, en effet, depuis Maaouya, que l’argent est devenu le matériau indispensable, même à la spiritualité. La libre entreprise, le capital, la société de consommation, des paramètres nouveaux s’invitent, désormais, dans le quotidien du nomade et ont vite fait de corrompre sa culture pluricentenaire. Ces tares, venues des rives de la Méditerranée méridionale, ont perturbé jusqu’à l’écosystème du mauritanien.
Pour revenir à l’ancien président Ely Ould Mohamed Vall, l’intéressé, au plan politique local, vit un dilemme cornélien. L’homme doit, désormais, s’inspirer de la logique aristotélicienne du «principe du tiers exclu» ou la politique de l’autruche. S’il s’oppose à la majorité présidentielle, il se doit de se concerter avec l’opposition légale. Ou, en ancien chef d’Etat, sortir de la vie publique, afin d’avoir le temps nécessaire à l’édition de ses mémoires. Sa participation à l’élection de juillet 2009, en a surpris plus d’un, juste après les accords de Dakar. Normalement observateur averti, l’ancien patron du renseignement, vingt ans durant, ancien chef de l’Etat, Ely devrait savoir ce que son cousin Aziz concoctait, aussi bien en amont qu’en aval. Quand l’opposition monte en première ligne, pour appeler au changement, Ely joue au moine bouddhiste, avec un calme, olympien, dont il a, seul, le secret. Ce n’est pas juste. On ne peut avoir des aspirations légitimes, sans mouiller sa chemise, comme les autres opposants, aujourd’hui tenus en parias, et qui seront, demain peut-être, les plus en vue.
En 2005, le colonel Ely Ould Mohamed Vall a hérité, certes, d’un pouvoir narco-trafiquant où tout était en déconfiture. Il paraîtrait, même, que du temps de Maaouya, certaines personnes sans scrupules s’étaient adonné à jouer des films de série X. Rien d’étonnant, dans un pays à 100% musulman, où les mœurs, les valeurs, la spiritualité sont refoulées dans l’inconscient profond, afin que ressurgissent, à la conscience claire, des insanités dignes de Sodome et Gomorrhe. C’est la transition qui devait faire table rase de tous les maux de la société et procéder à leur dissection, en priorité. Ainsi aurait-on fait économie de temps et élection biaisée, dès le départ. Le général Ould Abdel Aziz, pas satisfait de la transition, voulut se refaire une santé, en s’impliquant, en sous-main, dans l’élection de 2007. De fait, si les militaires avaient eu, dès le départ, leur inévitable candidat, au vu et au su de tout le monde, on n’en serait pas, encore, à la case de départ. C'est-à-dire actuellement, une autre transition qui ne dit pas son nom.

Ely Ould Krombelé, Orléans, France

Prochainement, incha Allahou : le général Mohamed Ould Abdel Aziz

Source: le Calame

Jeudi 8 Avril 2010
Boolumbal Boolumbal
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