ON S’ACCOMMODE DE LA HONTE…



Au bout de vingt et quelques années de chroniques pour cet auguste journal, monument national (tout comme moi !), j’en suis à me dire que j’ai fait le tour de tout ce dont on peut parler chez nous.

La Mauritanie est comme une vieille femme qui radote, qui ressasse, qui recycle ses souvenirs, les fragmentent, les arrangent un peu, les ressort dans le désordre. J’ai suivi, d’un regard fatigué, les « Visitations » présidentielles et me rappelais d’autres « Visitations », avec les mêmes intermittents du spectacle, toute cette basse-cour politique, de fonctionnaires, de militants, de militaires, de courtisans, les adeptes des grandes transhumances royales, toutes celles et ceux qui désertent leurs postes, pour aller participer au gigantesque concours de youyous et de « Oh la belle bleue, oh la belle rouge !!! », chacun voulant montrer la force de son gosier louangeur et la robustesse de ses mollets. A chaque Visitation quasi divine, les mêmes scènes, les mêmes chants. Les paroles sont bien rodées ; il a juste fallu changer le nom du roi du moment.

Ceux qui acclamaient Taya, sont les mêmes qui acclament Aziz. Ils acclameront le prochain, si ce n’est eux, au moins leur descendance, car la louange s’apprend et se transmet, visiblement. Les mêmes scènes d’hystérie… Je ne dis pas que rien n’a changé, dans nos contrées sablonneuses et abandonnées par Dieu. Certaines lignes ont évolué : au chef la gestion de l’économique, aux religieux, de préférence les plus rigoristes et fondamentalistes, le soin de s’occuper de nos morales et de nos âmes… Chacun sa sphère : l’une ultra libérale (l’économie), l’autre occupée à enfermer notre pays dans une vision wahhabiste, bien que, parfois, les frontières soient fort ténues, entre ces deux mondes…

A part ça, il y a toujours autant de pauvres, de plus en plus d’analphabètes sortis des rangs de notre Éducation dite nationale, grand échec devant l’Éternel, tâche honteuse. Mais on s’accommode de la honte. On s’accommode de tout. Même de fabriquer des générations d’ignares. Tant que les fils de ceux qui nous gouvernent trouveront une place à l’école française, tout ira bien. Ils seront, ces nantis, ces privilégiés, les décideurs de demain. A eux le savoir, aux autres le temps perdu à l’école. Chacun à sa place, comme plus haut. On a fabriqué des fractures sociétales gigantesques. Notre pays se recroqueville dans la haine de l’autre. Nous sommes devenus une nation unilingue, uni couleur….

On s’accommode de la honte, n’est-ce pas ?

Nous goudronnons à tout va, nous désenclavons, nous « électrifions », nous sommes « visités »… mais nous ne pourrons offrir du travail à tout le monde. Nos pauvres sont toujours là. Ils ont envahi les quartiers périphériques, vastes ghettos. Ils sont haratines ou anciens agriculteurs, anciens nomades ou anciens éleveurs. Ils survivent. Comme ils peuvent. Mais on s’accommode de la honte, non ? A la télé officielle, on commence toujours les journaux télévisés par l’emploi du temps, déroulé ad nauseam, du Chef : « Son Excellence, le Président de la République, Vlane ould Vlane, etc., etc. »

Toujours. La Cour du Roi Soleil français à la mode des Nous Z’Autres. « Il a dit, Il a fait, Il a inauguré, Il a félicité, Il a visité, Il a grondé, Il a promis, Il a écrit, Il a froncé les sourcils. « Il » a montré l’étendue de ses colères. « Il » a fait monter la côte de tel ou tel ou, au contraire, « Il » a décidé de la mort politique de tel autre. « Il » gère, « Il » gère tout, tout le temps.

« Il » a un Premier ministre. Mais on ne le voit jamais. C’est le grand absent, il est là, celui-là, juste pour faire comme si. Tandis qu’« Il » reçoit les allégeances des tribus, de tous ces ancêtres à la barbe parfois tremblotantes, de tous ces vestiges d’une Mauritanie passée mais qui s’accrochent à notre âge d’or à nous, le merveilleux temps de La Tribu. On s’accommode bien de la honte…

Depuis 1978, nous cooptons, parfois pacifiquement, parfois plus violemment, nos militaires en politiques. La Grande Muette comme seule alternative, on s’y est habitué. Colonels, généraux. Nous n’avons pas encore testé le Sergent-président, comme dans certains pays africains. Mais, peut être qu’un jour, la « démocratie » politico-militaire cooptera un sous off, on s’accommode si bien de la honte.

On détruit notre mémoire. On fait sortir de terre des immeubles affreux, pensant qu’un.

Source:http://adrar-info.net

Vendredi 12 Juin 2015
Boolumbal Boolumbal
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