Merci, monsieur le Président Par Boye Alassane Harouna - Écrivain et ancien officier de l´armée mauritanienne-



Merci, monsieur le Président Par Boye Alassane Harouna - Écrivain et ancien officier de l´armée mauritanienne-
Mars 2007, Sidi Ould Cheikh Abdallahi est élu président de la République, démocratiquement. Un mandat de cinq ans lui est confié pour assumer la plus haute fonction de l'État. Fonction qu'il n'assumera pas jusqu'au bout ; le 6 août 2008, un putsch dirigé par le Général Mohamed Ould Abdel Aziz mettra fin à la fonction présidentielle qui était la sienne. Il ne l'aura exercée que pendant 15 mois.

Dix mois seulement après cette destitution, le 26 juin 2009, voilà que le destitué, le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, s'adresse à ses concitoyens. Dans son discours, que l'Histoire retiendra, il annonce sa démission avec toute la solennité qui sied à la fonction présidentielle qui, pourtant, lui a été usurpée. Situation inédite. Situation quelque peu kafkaïenne, que celle de ce passage d'un statut, celui du président destitué, à un autre, celui du président démissionnaire. C'est que, entre le 6 août 2008, date de sa destitution, et le 26 juin 2009, date dudit discours, une crise politique et institutionnelle sans précédent s'instaure dans le pays. Elle met face à face les auteurs du putsch du 6 août 2008, leurs partisans, et les tenants de la légalité et du respect des institutions de la République regroupés, pour l'essentiel, au sein du FNDD (Front National pour la Défense de la Démocratie).

Consécutive au putsch du 6 août 2008, cette crise, rappelons-le, conduit le pays au bord du chaos. Elle retient l'attention et mobilise les efforts de la communauté internationale. Elle met en scène, des mois durant, plusieurs personnalités éminentes : chefs d'État, émissaires d'organisations continentales... ; toutes ces respectables personnalités, revêtues de leurs habits de médiateurs, accourent au chevet du pays pour aider à trouver une solution de sortie de crise qui satisfasse tous les protagonistes. Cette solution, que définit l'accord de Dakar, est obtenue au terme de laborieuses et intenses négociations entre les principaux acteurs de la crise politico-institutionnelle : d'un côté le camp des putschistes, de l'autre celui de l'opposition rassemblée au sein du FNDD, et du RFD. Solution qui se décline en plusieurs dispositions, dont l'application, aux yeux des médiateurs aussi bien que ceux des protagonistes, devrait restaurer un climat serein et confiant, propice à l'organisation d'une élection présidentielle transparente et régulière, perçue comme étape ultime devant permettre de surmonter définitivement la crise politique et institutionnelle. Au nombre des dispositions de l'accord de Dakar, une, non écrite, rapporte-t-on. Elle prévoit la « démission volontaire » du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi.

C'est en vertu de cette clause, verbale, de l'accord de Dakar que le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi s'adresse à la nation le 26 juin 2009 pour dresser le bilan de son action de 15 mois, et annoncer sa démission. Ce discours, autant par son contenu que par les conditions qui lui ont donné lieu, est historique.

Rappelons rapidement les conditions de sa production.

D'abord mis en prison après son éviction, puis assigné en résidence surveillée à Lemden, sa ville natale, le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi se présente dix mois après sa destitution devant ses concitoyens. Il est paré de certains des attributs consubstantiels à la fonction présidentielle, qu'il recouvre (accord de Dakar exige), le temps de la signature d'un décret, celui de la nomination du gouvernement transitoire d'union nationale ; et le temps d'un discours, celui par lequel il se démet de sa fonction présidentielle. Instant mémorable. Il préfigure l'élection présidentielle censée clore pour de bon la longue crise dans laquelle le pays s'était tant englué. Il est l'aboutissement d'un long processus fait de protestations, d'indignations, de révoltes, de luttes multiformes, tant sur les fronts intérieurs que sur la scène internationale, et de négociations.

L'homme. Sa photo officielle, celle qui immortalise la séquence de son investiture à la magistrature suprême, montre un visage à l'allure austère. Physionomie, moustache et lunettes à grosses montures font revivre en nous l'image d'une autre figure historique : celle de Salvador Allende, le chilien. Outre ces quelques traits de ressemblance physique, que la digression nous soit permise pour faire, ici, mention de ce que le destin de ces deux hommes, toutes proportions gardées, présente comme similitude étrange.

Salvador Allende (homme politique socialiste) fut élu, démocratiquement ─ comme Sidi Ould Cheikh Abdallahi ─ le 3 novembre 1970 dans un pays dont l'environnement politique continental (Amérique du sud) était caractérisé par la prédominance de systèmes politique dictatoriaux. Il fut ─ comme Sidi Ould Cheikh Abdallahi ─ renversé par un Général qui lui était très proche, un certain Augusto Pinochet, le 11 septembre 1973. (Allende se serait suicidé pendant le putsch, qui a rencontré une résistance armée. Il n'aura exercé son mandat que pendant 33 mois. Conséquence du putsch qui le renversa : la démocratie fut confisquée pendant 17 ans au Chili.)

Juin 2009. « Je déclare renoncer volontairement à ma fonction de président de la République. » N'y a-t-il pas là une forme de sacrifice, celui d'un mandat présidentiel, un effacement de soi dicté par l'intérêt supérieur du pays ? de la part d'un président, soulignons-le encore, pourtant élu démocratiquement. Il y a là aussi de quoi édifier tous ceux qui doutent encore de cette terrible ingratitude à laquelle exposent bien souvent les vicissitudes de la vie politique. Toutes proportions gardées, il y a là également, à bien scruter la question, et au-delà du parallélisme historique, du gaullien dans cette démission du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Il y a 40 ans, avril 1969, De Gaulle : « Je cesse d'exercer mes fonctions de président de la République. »

Que l'homme entré dans l'Histoire par une autre déclaration (l'Appel du 18 juin 1940) ait opté de démissionner, lui, sans y être contraint (1), au sortir d'un référendum que lui-même avait voulu et dont il se disait qu'il le désavouerait (auquel cas, avait-il prévenu, il partirait), alors que Sidi Ould Cheikh Abdallahi, lui, fut contraint de partir, cela ne modifie en rien la similitude des deux déclarations par lesquelles l'un et l'autre annoncent leur démission.

Identique en effet, à quelques mots près, la formulation par laquelle les deux hommes démissionnent. Mais au-delà de cette identité, ce qui importe de mettre en relief, c'est le renoncement lui-même, qui est l'expression d'un sacrifice d'autant plus sublime qu'il est une valeur rare chez les hommes d'État : renoncer à son mandat présidentiel pour que la paix civile puisse être restaurée ou sauvegardée ; ou parce que, à tort ou à raison, l'on estime ne plus bénéficier de l'adhésion de la population à la politique engagée, aux reformes envisagées. Un tel renoncement, seuls en sont capables, les hommes d'État habités par un sens élevé du devoir, une haute idée des intérêts majeurs de leur pays. Plus fréquent est le spectacle désolant, voire exécrable, qu'offrent certains chefs d'État qui s'obstinent à s'accrocher au pouvoir, y compris au prix de l'implosion de leur pays (la tragédie que vit actuellement la Guinée en est, hélas, une triste illustration).

Revenons à Sidi Ould Cheikh Abdallahi.. Et à cette autre photo, publiée par Jeune Afrique, dans l'une des ses livraisons du mois d'octobre 2009, qui le présente tout en rire, décontracté, chaleureux et jovial. Elle est prise à Lemden, chez lui, parmi les siens. Le cadre familial, intime, le fait apparaître tel un grand-père débonnaire, heureux, au milieu de ses petits enfants. Cette photo laisse entrevoir un homme de paix, ouvert, humble et communicatif. Ce qu'il doit être fondamentalement. Car cette impression, lue sur une photo, se révèle comme qualités objectives qui transparaissent tout au long de son discours du 26 juin 2009. Quelques-unes de ces qualités, un ami, responsable d'une organisation humanitaire, les a observées et mises en exergue. En application de sa politique d'ouverture et de concertation avec tous les acteurs politiques et associatifs du pays, le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi avait reçu cet ami. Celui-ci fut agréablement surpris, au point d'en perdre sa langue, par son abord facile et sa simplicité, qui décontractèrent d'emblée l'entrevue, favorisant ainsi un échange franc et de qualité. Sur le fond, l'homme avait pleinement conscience de l'immensité des tâches à accomplir, de la nécessité absolue de construire avec tous les Mauritaniens une véritable unité nationale sur des bases nouvelles et égalitaires; il avait aussi conscience que partout, sur ce long et difficile chemin de l'accomplissement de ces tâches, se dressaient, se dresseraient, obstacles, pesanteurs, barrières, volontés de retour en arrière.

De ces obstacles et barrières, il fait d'ailleurs état dans ses propos introductifs à son discours. « Aucun d'entre vous n'ignore la nature des obstacles qui m'ont empêché, après une courte période, d'exercer mes fonctions et qui ont par ailleurs plongé le pays dans une crise institutionnelle dont mon souhait le plus ardent est que tous, nous conjuguions nos efforts pour y mettre fin dans la paix et la concorde. »

L'homme à sans nul doute conscience que le moment, celui où il prononce son dernier discours en tant que chef de l'État, restera gravé dans l'histoire du pays.

L'allure générale de son discours est faite de dignité et de simplicité, à l'image de l'homme. Le ton est empreint d'humilité. Les mots sont justes, bien pesés et soupesés ; car, en période de crise, dans des circonstances cruciales, leur sens autant que leur mode de formulation rehaussent leur valeur et leur poids, et leur confèrent par cela même, cette magie et ce pouvoir d'apaiser, cette aptitude à laisser traces, à influer le cours de l'Histoire ; et cela, en homme d'ouverture et de dialogue, il en avait aussi conscience.

Message de tolérance et de paix, espoir d'une Mauritanie réconciliée et d'un climat politique apaisé, sens aigu du devoir national, magnanimité, perception limpide des intérêts supérieurs du pays face auxquels, pour lui, doivent s'éclipser les intérêts personnels, ces considérations-là, ces valeurs et bien d'autres se retrouvent dans chaque paragraphe, portées quasiment par chaque phrase de son discours.

Message de paix et de tolérance, sens du devoir national, altruisme

Il annonce les couleurs d'entrée de jeu. Il exhorte à surmonter la « crise institutionnelle » « dans la paix et la concorde » précise-t-il. Sans rancune, donc, pour ses tombeurs ni intention de revanche dissimulée : altruisme. Pour la paix et la concorde, il renonce « volontairement » à la fonction de président de la République : éloquente affirmation du sens de la tolérance et d'un attachement profond à la paix des c?urs et des esprits ─ pour le grand bien du pays. Entre les intérêts supérieurs du pays et l'égo (l'exercice du pouvoir, l'attachement légitime à la fonction pour l'exercice de laquelle il fut élu), si le choix devait être cornélien, il n'hésiterait pas : celui-ci disparaît face à ceux-là : abnégation.

Vision d'une Mauritanie généreuse, réconciliée, égalitaire. « [.] Je les invite (les acteurs politiques...), déclare le président démissionnaire, à aller de l'avant pour bâtir une Mauritanie véritablement nouvelle, une Mauritanie d'où sont bannies l'exclusion et la marginalisation ; une Mauritanie édifiée sur les bases du sacrifice, de l'abnégation, du travail productif, de la compréhension et du respect de l'autre, loin de toute inimitié et de tout déchirement, loin de toute usurpation ou spoliation, loin des insultes et des injures. » Tout un programme. Tout un projet de société. En somme, la Mauritanie telle qu'on voudrait qu'elle fût. Une vision profonde de ce que doit être la Mauritanie, construite sur la base de notre Histoire, de nos valeurs ancestrales, mais aussi de l'expérience de la gestion du pays pendant ces dernières décennies. Cette vision, il avait commencé à la traduire en actes.

La grandeur d'un homme d'État se reconnaît aussi en sa magnanimité, en sa capacité de pardonner, y compris à ceux qui, à tort ou à raison, l'ont traîné dans la boue. « A ceux que les circonstances exceptionnelles vécues par le pays ont amené à porter atteinte à ma personne ou, à cause de ma personne, à d'autres autour de moi et ont fait de moi, de ceux qui sont avec moi ou autour de moi la cible d'accusations dénuées de toute preuve et de tout fondement, nous imputant jusqu'à l'excès des faits dont nous sommes totalement innocents, à ceux-là je m'adresse en reprenant les paroles du prophète Youssouf (PSL): "Aucun reproche ne vous sera fait aujourd'hui. Qu'Allah vous pardonne. Il est le plus clément des cléments."(s.12, v.92)»

Destitué puis démissionnaire, qu'importe. L'homme reste « citoyen » humble, proche de ses concitoyens, et disponible pour servir son pays. « [.] je continuerai à être un citoyen dévoué à son pays, disposé à apporter ma modeste contribution à toute action visant à consolider le socle de nos acquis démocratiques, à renforcer l'unité nationale et la cohésion sociale entre l'ensemble de nos communautés et à offrir à la Mauritanie des perspectives nouvelles de développement et de stabilité. »

C'est par ces mots que le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi conclut son discours. Il est le huitième des 9 présidents que la Mauritanie a connus en 40 ans d'existence. Si l'anthologie de leurs discours devait un jour être confectionnée, le discours de Sidi Ould Cheikh Abdallahi prononcé le 26 juin 2009 y occuperait, transcrit en lettres d'or, les premières pages. Il était élu pour un mandat de cinq ans. Il n'est resté au pouvoir que 15 mois. Pendant lesquels il a marqué la vie politique du pays par des mesures politiques audacieuses, des décisions courageuses, une nouvelle perception de la gestion des affaires du pays ; par la construction des bases d'une démocratie, d'un État de droit ; par l'avènement de ce qu'il a nommé « un printemps de la liberté ». « Printemps de la liberté » que la postérité retiendra et chantera.

Il y a des hommes, des réalisations, des faits, des évènements, qu'on n'apprécie à leur juste valeur qu'après coup, avec la distanciation. Quand le recul aura produit ses effets en termes de lucidité ; quand les événements auront pris des rides, provoquant l'extinction des passions et des ranc?urs ; quand le temps aura rendu caducs les intérêts d'aujourd'hui et les calculs politiques, viendra alors le moment où se percevra, sous l'éclairage naturel des rayons du soleil qui se lève, le vrai mérite du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Ce jour-là, un grand hommage lui sera rendu. Lui, dont le seul tort, on en aura fait le constat, aura été d'avoir tenté de servir son pays en y introduisant une nouvelle conception de gouverner, et de nouvelles pratiques salutaires dans la gestion de l'État et des affaires du pays...

Boye Alassane Harouna

le 24 octobre 2009

Source: Flamnet.info

Samedi 24 Octobre 2009
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