Mauritanie: échange tendu entre Mohamed Abdel Aziz et Sy Mamoudou, le doyen des journalistes



A la question du doyen Sy Mamoudou sur la présence du président et des ministres dans la campagne électorale, le Rais a dit que c’est tout à fait normal. “C’est ce qu’on voit partout dans le monde. “Le président défend son parti. Dire que le gouvernement est resté deux mois sans activité, là je vous dit que je ne suis pas d’accord. Le gouvernement était en vacance.

C’est tout à fait normal à ses membres de sacrifier leurs vacances pour faire campagne”. Mais c’était mal connaître la perspicacité de Sy Mamoudou, président des éditeurs de presse et 27 ans de services au compteur.

Le directeur de publication d’Eveil Hebdo revient à la charge: “Mais, monsieur le président, cela pose un autre problème: l’utilisation des moyens de l’Etat pour faire campagne. Si le président s’engage avec les moyens de l’Etat, la partie est disproportionnée? “. Dans la même lancée, le doyen Sy contextualise le débat (en bon journaliste) et place la Mauritanie dans son environnement africain où les gouvernements disposent en général des trois A: argent, administration et armée.

Usant de l’ironie, l’éditorialiste s’adresse au premier des mauritaniens: “vous comprendrez bien, monsieur le président qu’il y a une disproportion sur les moyens entre le parti au pouvoir et l’opposition?”

C’est en ce moment et seulement en ce moment que le président Aziz a semblé un peu irrité, usant d’une formule lapidaire pour sortir de l’impasse: “Mais ça c’est une assertion, c’est une formule que tout le monde peut répéter”. Puis se reprenant: “dire qu’on a utilisé des moyens de l’Etat n’est pas un fait avéré, ce sont des idées. En aucun moment, nous n’avons eu à utiliser les moyens de l’Etat.

Nos ressources viennent des donateurs qui sont libres”. Et de préciser encore: “Nos ministres ont certainement fait campagne, mais pas l’administration. Certains fonctionnaires ont fait campagne pour l’opposition”.

Toujours sur les 3A, le président appelle à respecter le troisième “A”, c’est à dire l’armée, “qui vous sécurise et qui nous sécurise”. Sy Mamoudou tente la république mais se voit refusé le micro. Le président invoquant l’ordre rappelle la règle des deux questions par journaliste et passe la parole à la seule femme journaliste, interrogeant le président sur sa victoire et la déclaration faite quelques semaines de tout faire pour que les partis extrémistes et racistes n’accèdent au parlement.

Une occasion pour le président d’attaquer ces partis qui prennent leurs idées d’ailleurs et qui sont soutenus par l’étranger. “Le peuple mauritanien s’est prononcé de manière claire”. Interpellé sur la montée des islamistes en Mauritanie, le président rappelle que c’est une tendance générale dans le monde arabe où l’islamisme progresse au détriment des autres courants politique comme le socialisme, le baathisme et le trotskisme.

Les échanges se perdent dans le ton monocorde jusqu’à ce que le doyen Sy reprenne la parole, interpellant le président sur les déclarations du président de la Commission électorale indépendante (CENI) sur le non respect de la loi relative à la non incomptabilité des fonctions civiles et militaires et au plafonnement financier? “.

Réponse du président: “d’abord expliquez-moi ce que vous appelez incompatibilité”? Réponse de Sy: “c’est le président de la CENI qui parle, ce n’est pas moi”… -Alors posez-lui la question! Je suis curieux de savoir que signifie incompatibilité entre la fonction militaire et la fonction civile “, rétorque Aziz, qui assure n’avoir pas vu le président de la CENI depuis qu’il est nommé et même avant sa nomination.

-C’est simple, cela veut dire que l’administration doit être neutre, repart Sy. “Dans l’entendement du président de la CENI, l’administration s’est impliquée dans les élections”

-Je ne pense pas qu’il ait dit cela, répond le président Aziz. Ce n’est pas l’administration qui a fait le recensement électoral, qui a imprimé les bulletins et qui les a acheminés et qui a fait le comptage”, répond le président de nouveau désarçonné.

-D’accord, monsieur le président, ça c’est le président de la CENI, qui le dit, ce n’est pas moi. Autre question, on a remarqué que la CENI est composée majoritairement de gens du parti au pouvoir….et

Là le président interrompt le doyen des journalistes, histoire sans doute de le déstabiliser: -Avez-vous bien fait vos comptes?

Réponse du tic au tac: “je ne parle pas sans faire mes comptes monsieur le président, puisqu’aujourd’hui la majorité de la CENI est composée …

Nouvelle interpellation :” ne confondez pas proches du gouvernement et proches de l’opposition avec le gouvernement ou l’opposition. C’est vrai que certains partis ne sont pas représentés mais c’est leur faute. Ils ont boycotté. Il n’était pas question qu’on retarde d’une seule seconde les élections. On s’est adressé aux partis qui étaient là pour constituer la CENI. Et je vous dis que la majorité de la CENI ne sont pas du pouvoir. ”

Nouvelle salve de Sy: “monsieur le président, pouvez-vous vous prendre des initiatives pour que les partis qui avaient boycotté puissent prendre part à la CENI et aux élections futures pour plus de consensus?”

-Je ne peux pas prédire l’avenir pour eux. Je note qu’ils ont participé aux dernières élections et c’est une bonne chose pour eux, rétorque le président avec une pointe d’humeur qui a fait de l’effet sur le ministre des Finances, juste en arrière plan. .

Jusque-là, le doyen Sy est largement vainqueur aux points face au président .

Par la suite, le président est interpellé sur un éventuel changement de constitution. L’occasion pour lui de réaffirmer son intention ferme de ne pas vouloir changer la constitution pour un troisième mandat. Sur ce sujet aussi, le doyen Sy Mamoudou enfonce le clou: “comment allez vous vous y prendre pour d’une part respecter la constitution et d’autre part faire en sorte de barrer la route à ceux que vous accusez d’avoir pillé les ressources du pays ….?

Nouvelle tension dans l’air. Le président rétorque: “Le but de cette conférence n’est pas de vous dire ce que je vais faire dans cinq ans (rires”).

Puis le président de manière plus sérieuse: “ce que j’ai dit est clair. Je n’abandonnerai pas la Mauritanie. Personnellement, je ne toucherais pas à la constitution. Je ne vais pas bricoler la constitution pour un troisième mandat”, poursuit-il. “Mais, ajoute Mohamed Abdel Aziz, si je quitte le pouvoir, je ne vais pas baliser l’autoroute pour les gens qui étaient là, qui ont détruit la Mauritanie, qui l’ont déstabilisé. Je resterai en Mauritanie et je ferais tout en sorte avec le soutien du peuple mauritanien pour que tout soit préservé”.

Et Sy de revenir à la charge:

-Mais la question, monsieur le président, est de savoir comment vous allez faire pour barrer la route à ces gens là?

Là le président est pris d’un fou rire. “Nous sommes à la télévision, je ne vais pas tout vous dévoiler et je crois savoir que vous n’êtes pas loin de l’opposition”.

Puis, arrive la question la plus difficile, celle que monsieur Sy pose en tant que président de l’association des éditeurs mauritaniens. “Monsieur le président, la presse en Mauritanie traverse une situation extrêmement difficile du fait entre autres de la suspension des abonnements de l’Etat et, entre autres, des arrestations de journalistes”.

En réponse, le président dit qu’il est très touché, étouffant un nouveau fou rire. “Quand vous dites, que vous souffrez des arrestations, je ne suis pas d’accord. Il faut reconnaître certaines réalités dans le pays. Qui a été arrêté et pourquoi il a été arrêté? Aucun journaliste n’est en prison en Mauritanie. Ce qui est sûr, c’est que ce gouvernement est le premier à avoir dépénalisé les délits de presse dans un environnement régional et sous régional particulier. Vous devez le reconnaître. Les journalistes qui ont été interpellés ne l’ont pas été pour des délits de presse. “.

Et Aziz de prêter son talent de prospective à la presse: “vous devez savoir que les gens ne lisent plus la presse écrite. ils regardent internet, la télévision”.

Et Sy de revenir à la charge en président de l’association qu’il représente: “monsieur le président, il n’y a pas un seul journal qui n’a pas de site internet. ”

-“Que voulez-vous, qu’on impose aux gens de s’abonnez chez vous…?

-Non, monsieur le président. Nous voulons que vous levez l’interdiction aux administrations de s’abonner”.

-ça c’est de l’argent public. Certains établissements géraient leurs budgets de communication de manière irrationnelle, se permettant de surfacturer les abonnements, de payer les journaux pour dire du bien d’eux. J’ai mis fin à cela. Continuez à me critiquer, je vous encourage mais je ne paye pas mon argent pour ça.

Le président finit par dire qu’il y a un montant conséquent destiné à la presse. Certains internautes ont préféré s’en arrêter à ces échanges vifs pour critiquer le doyen Sy lequel a été et de loin le journaliste le plus incisif de la soirée, compensant la sous-représentation négro-africaine à ces échanges par des questions documentées et précises.


Source: http://lesmauritanies.com

Samedi 22 Septembre 2018
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