Les enfants d’Abou Issgagha Anne sont emprisonnés, l’un à Kaédi, l’autre à Nouakchott, parce que, tout simplement, ce rapatrié a eu le culot d’exiger d’être rétabli dans sa maison, d’où il fut déporté, en 1989. Après vingt ans de galère au Sénégal, Abou Anne espérait retrouver, de retour chez lui, en mai 2009, toute sa quiétude: il se retrouve empêtré dans une autre galère, orchestrée par l’administration mauritanienne.
La ville de Maghama fut une des villes les plus affectées par l’entreprise d’expulsion des Négro-mauritaniens vers le Sénégal, lors des évènements de 1989. D’ailleurs, c’est de là que sont partis les premiers contingents vers le pays de la Téranga. En une seule nuit, 75 personnes furent expulsées de la ville et jetées de l’autre côté du fleuve, dans la localité de Hordoldé. A Maghama, on a vu les populations contraintes de chanter et danser, devant les corps mutilés de peulhs tués par les gardes. Des têtes brandies, comme des trophées de guerre, et laissées pourrir, pendant des jours, non loin du collège.
Parmi les nombreux expulsés, Abou Issagha Anne dont le domicile se situe presque au centre de la ville (Leegal Thialy). Après avoir passé quelques jours à Kanel, une ville du Sénégal, il migre vers une autre localité appelée Thialy, au bord du fleuve, en face de Youman Yiré, non loin de Matam (Sénégal). Rapatrié en mai 2009, Abou Anne refuse de descendre du camion du HCR, tant qu’il n’aura pas la certitude de recouvrer sa propre maison, située à quelques mètres. «Je suis resté 21 heures dans le camion, devant la maison du hakem qui refusait d’ordonner la restitution de ma propre maison», nous a expliqué Abou Anne, la soixantaine bien tapée, lors de sa visite dans les locaux du Calame.
Arrive, alors, un responsable du HCR et les tractations se nouent. «Au terme de ces discussions», raconte Anne, «j’apprends qu’un cadre de la ville, monsieur Diallo, a racheté mon bien aux occupants, contre un montant de 155 000 UM. La maison avait été partagée entre celui-ci et deux maures, après notre déportation. En tout cas, un arrangement était en cours et conduirait à me réinstaller dans ma maison. Mais, en dépit de cela, les occupants refusèrent d’évacuer la maison. Alors que Diallo se démenait pour faire déguerpir ceux qui occupaient illégalement les lieux, arrivent la présidentielle de 2009. Le préfet nous demande de patienter jusqu’à la fin de la campagne électorale, pour apporter une solution au problème. Après l’élection, Abou Anne relance le préfet qui lui signifie qu’il faut exposer le cas au cadi qui renvoie, à son tour, la balle au préfet. «De tels cas sont du ressort du préfet», argumente le cadi. Pauvre Abou Anne qu’on renvoie, comme un ballon dégonflé, entre autorités chargées de régler les problèmes des citoyens! Sans baisser les bras, convaincu qu’il est dans son droit, il frappe à la porte du wali, en 2010. Ce dernier ordonne le métrage du terrain et sa restitution à l’ayant-droit. Mais le métrage est fait avec une telle mauvaise foi qu’il empiète sur la rue, «ce que j’ai contesté», nous indique Anne. Selon lui, il s’agissait de permettre à une occupante de gagner sur la voie publique.
Pot de fer contre pot de terre
«Quelques jours plus tard», poursuit notre interlocuteur, «une des occupantes du terrain apporte des briques pour construire dans ma concession. Je saisis, aussitôt, le nouveau hakem qui promet de régler le problème rapidement. Mais surprise: la solution consiste à me faire convoquer devant le commissaire de police de la ville, tandis que le commandant de la garde envoie une Toyota bourrée de gardes, pour détruire ma clôture et l’enclos de mes chèvres! A la question de savoir pourquoi le préfet a ordonné de fermer la rue et de la donner à la dame, Anne se voit répondre que c’est lui le chef, il fait ce qu’il veut, ordonnant, aux gardes, de le jeter hors son bureau. «Je lui ai dit qu’ici, c’est un bureau au service des citoyens et non son domicile», s’indigne le pauvre homme. La scène s’est produite en présence de l’adjoint au maire de Maghama et d’un autre notable de la ville: «tous deux ont attesté que la maison est mienne. Mais le hakem n’en avait cure», se lamente notre interlocuteur.
Après cet incident, Abou Anne, qui n’est pas au bout de ses peines, s’adresse au gouverneur. Celui-ci ordonne à son préfet de régler le différend. «Je rentre donc à Maghama où le préfet me jette au visage qu’il n’obéit ni au gouverneur ni au ministre», nous apprend Abou. Voilà qui est clair. Le préfet de Maghama est un roi, chez les négros, il peut tout se permettre, guide suprême, comme disait Kadhafi, il y a quelque temps.
Lassé par les comportements de cette administration complice, Abou Anne monte d’un cran pour rencontrer le ministre de l’Intérieur à qui le préfet dit ne pas obéir. A en croire Abou Anne, le ministre de l’intérieur aurait saisi le wali qui aurait, à son tour, choisi d’«étouffer l’affaire».
«Cependant, fort du soutien de l’administration locale, la dame qui a occupé une partie de la maison entreprend, en mon absence, de dresser une clôture autour de la partie qu’elle occupe», déclare Anne qui ajoute: «ma fille s’y oppose et la bagarre commence. Ma fille bat, avec un bâton, le fils de la dame et celui-ci réplique, avec une barre de fer». Les deux parties sont conduites au commissariat de police puis au poste de santé. Le médecin délivre un certificat médical d’incapacité de trois jours, pour ma fille, tandis que le fils de la dame s’en tire avec un certificat médical d’incapacité de 24 heures. Mais», précise Abou Anne, «le préfet fait arrêter ma fille, alors qu’elle est gravement blessée à la tête. Pire, mon fils, absent de la maison pendant les faits, est cueilli de retour des champs et conduit au commissariat de police. Aujourd’hui», se lamente Abou, les yeux larmoyants, «mes deux enfants sont détenus: ma fille, à la prison des femmes de Nouakchott et mon garçon, à la prison de Kaédi. Pour les libérer, le juge ayant ordonné leur mise en détention me demande de lui apporter deux témoins non originaires de Maghama». A en croire Anne, cette déclaration lui a été signifiée devant témoins, les sieurs Hamady Sarr et Chérif Teyib.
Des actes, maintenant, concrets
Face à une administration et une justice complice, il ne restait, à Abou Anne, qu’à se tourner vers les organisations de défense des droits de l’Homme. Voilà comment ce père de famille, devenu comme pestiféré dans son propre village et son propre pays, a pris contact avec maître Fatimata M’Baye, l’avocate des pauvres. Cette icône de la lutte pour la défense des libertés a saisi le dossier et Abou Anne dit espérer voir ses enfants recouvrer, rapidement, la liberté. On l’accompagne, de tout cœur, en cet espoir.
Tout en posant, une nouvelle fois, les questions fondamentales: puisque le dol initial a été reconnu, puisque le caractère illégal de l’expulsion et de la saisie a été formalisé, comment une telle affaire peut-elle se développer, sur la place publique, depuis plus deux ans, sans que des sanctions, exemplaires, ne soient prises à l’encontre des responsables administratifs hors-la-loi? En territoire conquis, préfets, commissaires et commandants de gardes peuvent-ils, donc, tout se permettre – arrêter, interdire, déposséder, exproprier, etc. – en dépit des belles intentions des pouvoirs publics? Certes, le président Mohamed Ould Abdel Aziz ne cesse de critiquer les agissements de cette administration pourrie, corrompue et chauvine; mais il serait grand temps d’agir, concrètement enfin, et de mettre, partout, de l’ordre dans la maison.
Dalay Lam
La ville de Maghama fut une des villes les plus affectées par l’entreprise d’expulsion des Négro-mauritaniens vers le Sénégal, lors des évènements de 1989. D’ailleurs, c’est de là que sont partis les premiers contingents vers le pays de la Téranga. En une seule nuit, 75 personnes furent expulsées de la ville et jetées de l’autre côté du fleuve, dans la localité de Hordoldé. A Maghama, on a vu les populations contraintes de chanter et danser, devant les corps mutilés de peulhs tués par les gardes. Des têtes brandies, comme des trophées de guerre, et laissées pourrir, pendant des jours, non loin du collège.
Parmi les nombreux expulsés, Abou Issagha Anne dont le domicile se situe presque au centre de la ville (Leegal Thialy). Après avoir passé quelques jours à Kanel, une ville du Sénégal, il migre vers une autre localité appelée Thialy, au bord du fleuve, en face de Youman Yiré, non loin de Matam (Sénégal). Rapatrié en mai 2009, Abou Anne refuse de descendre du camion du HCR, tant qu’il n’aura pas la certitude de recouvrer sa propre maison, située à quelques mètres. «Je suis resté 21 heures dans le camion, devant la maison du hakem qui refusait d’ordonner la restitution de ma propre maison», nous a expliqué Abou Anne, la soixantaine bien tapée, lors de sa visite dans les locaux du Calame.
Arrive, alors, un responsable du HCR et les tractations se nouent. «Au terme de ces discussions», raconte Anne, «j’apprends qu’un cadre de la ville, monsieur Diallo, a racheté mon bien aux occupants, contre un montant de 155 000 UM. La maison avait été partagée entre celui-ci et deux maures, après notre déportation. En tout cas, un arrangement était en cours et conduirait à me réinstaller dans ma maison. Mais, en dépit de cela, les occupants refusèrent d’évacuer la maison. Alors que Diallo se démenait pour faire déguerpir ceux qui occupaient illégalement les lieux, arrivent la présidentielle de 2009. Le préfet nous demande de patienter jusqu’à la fin de la campagne électorale, pour apporter une solution au problème. Après l’élection, Abou Anne relance le préfet qui lui signifie qu’il faut exposer le cas au cadi qui renvoie, à son tour, la balle au préfet. «De tels cas sont du ressort du préfet», argumente le cadi. Pauvre Abou Anne qu’on renvoie, comme un ballon dégonflé, entre autorités chargées de régler les problèmes des citoyens! Sans baisser les bras, convaincu qu’il est dans son droit, il frappe à la porte du wali, en 2010. Ce dernier ordonne le métrage du terrain et sa restitution à l’ayant-droit. Mais le métrage est fait avec une telle mauvaise foi qu’il empiète sur la rue, «ce que j’ai contesté», nous indique Anne. Selon lui, il s’agissait de permettre à une occupante de gagner sur la voie publique.
Pot de fer contre pot de terre
«Quelques jours plus tard», poursuit notre interlocuteur, «une des occupantes du terrain apporte des briques pour construire dans ma concession. Je saisis, aussitôt, le nouveau hakem qui promet de régler le problème rapidement. Mais surprise: la solution consiste à me faire convoquer devant le commissaire de police de la ville, tandis que le commandant de la garde envoie une Toyota bourrée de gardes, pour détruire ma clôture et l’enclos de mes chèvres! A la question de savoir pourquoi le préfet a ordonné de fermer la rue et de la donner à la dame, Anne se voit répondre que c’est lui le chef, il fait ce qu’il veut, ordonnant, aux gardes, de le jeter hors son bureau. «Je lui ai dit qu’ici, c’est un bureau au service des citoyens et non son domicile», s’indigne le pauvre homme. La scène s’est produite en présence de l’adjoint au maire de Maghama et d’un autre notable de la ville: «tous deux ont attesté que la maison est mienne. Mais le hakem n’en avait cure», se lamente notre interlocuteur.
Après cet incident, Abou Anne, qui n’est pas au bout de ses peines, s’adresse au gouverneur. Celui-ci ordonne à son préfet de régler le différend. «Je rentre donc à Maghama où le préfet me jette au visage qu’il n’obéit ni au gouverneur ni au ministre», nous apprend Abou. Voilà qui est clair. Le préfet de Maghama est un roi, chez les négros, il peut tout se permettre, guide suprême, comme disait Kadhafi, il y a quelque temps.
Lassé par les comportements de cette administration complice, Abou Anne monte d’un cran pour rencontrer le ministre de l’Intérieur à qui le préfet dit ne pas obéir. A en croire Abou Anne, le ministre de l’intérieur aurait saisi le wali qui aurait, à son tour, choisi d’«étouffer l’affaire».
«Cependant, fort du soutien de l’administration locale, la dame qui a occupé une partie de la maison entreprend, en mon absence, de dresser une clôture autour de la partie qu’elle occupe», déclare Anne qui ajoute: «ma fille s’y oppose et la bagarre commence. Ma fille bat, avec un bâton, le fils de la dame et celui-ci réplique, avec une barre de fer». Les deux parties sont conduites au commissariat de police puis au poste de santé. Le médecin délivre un certificat médical d’incapacité de trois jours, pour ma fille, tandis que le fils de la dame s’en tire avec un certificat médical d’incapacité de 24 heures. Mais», précise Abou Anne, «le préfet fait arrêter ma fille, alors qu’elle est gravement blessée à la tête. Pire, mon fils, absent de la maison pendant les faits, est cueilli de retour des champs et conduit au commissariat de police. Aujourd’hui», se lamente Abou, les yeux larmoyants, «mes deux enfants sont détenus: ma fille, à la prison des femmes de Nouakchott et mon garçon, à la prison de Kaédi. Pour les libérer, le juge ayant ordonné leur mise en détention me demande de lui apporter deux témoins non originaires de Maghama». A en croire Anne, cette déclaration lui a été signifiée devant témoins, les sieurs Hamady Sarr et Chérif Teyib.
Des actes, maintenant, concrets
Face à une administration et une justice complice, il ne restait, à Abou Anne, qu’à se tourner vers les organisations de défense des droits de l’Homme. Voilà comment ce père de famille, devenu comme pestiféré dans son propre village et son propre pays, a pris contact avec maître Fatimata M’Baye, l’avocate des pauvres. Cette icône de la lutte pour la défense des libertés a saisi le dossier et Abou Anne dit espérer voir ses enfants recouvrer, rapidement, la liberté. On l’accompagne, de tout cœur, en cet espoir.
Tout en posant, une nouvelle fois, les questions fondamentales: puisque le dol initial a été reconnu, puisque le caractère illégal de l’expulsion et de la saisie a été formalisé, comment une telle affaire peut-elle se développer, sur la place publique, depuis plus deux ans, sans que des sanctions, exemplaires, ne soient prises à l’encontre des responsables administratifs hors-la-loi? En territoire conquis, préfets, commissaires et commandants de gardes peuvent-ils, donc, tout se permettre – arrêter, interdire, déposséder, exproprier, etc. – en dépit des belles intentions des pouvoirs publics? Certes, le président Mohamed Ould Abdel Aziz ne cesse de critiquer les agissements de cette administration pourrie, corrompue et chauvine; mais il serait grand temps d’agir, concrètement enfin, et de mettre, partout, de l’ordre dans la maison.
Dalay Lam
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