Les explications du Premier ministre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf ne convainquent que ceux qui le sont déjà par Boye Alassane Harouna



Les explications du Premier ministre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf ne convainquent que ceux qui le sont déjà par Boye Alassane Harouna
Assurément, monsieur le Premier ministre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf devrait plus se taire que parler. Car, manifestement, plus il parle, plus il se ridiculise et s'englue, au lieu d'apaiser, rassurer et convaincre. Suite aux propos que lui et la ministre de la culture ont tenus, propos qui promeuvent l'arabe et l'arabité de la Mauritanie et qui constituent une négation du caractère pluriethnique et plurilinguistique du pays, il a jugé indispensable de s'expliquer devant trois journalistes, nous dit-on.

Sur sa tentative d'expliquer (et de justifier) l'inexplicable, il y a beaucoup de choses à dire, sur lesquelles nous aurons sans doute l'occasion de revenir. Relevons pour l'instant, quelques inconsistances, contrevérités et autres vacuités.

1. Le premier ministre rappelle le contexte de sa déclaration. Mais il omet consciemment ou non - ce qui importe peu, sauf que la seconde hypothèse révélerait une stupidité inouïe - de mentionner :
a) sa réponse faite au journaliste : « La Mauritanie est un pays arabe » ;
b) de la relier à la déclaration du ministre de la Culture selon laquelle que « le plus grand défi de la langue arabe est la propagation des langues locales et dialectes qui lui suppléent ».
Ces deux affirmations ont en réalité une substance identique, qui n'est pas fortuite ; elles s'inspirent d'une même conception et d'une même vision : celle qui définit la Mauritanie comme étant exclusivement arabe. Cette identité exclusive est souvent assumée et brandie comme trophée ou étendard : nous sommes dans ce cas de figure quand le Premier ministre et la ministre de la Culture affirment respectivement que « la Mauritanie est arabe » et que « le plus grand défi de la langue arabe est la propagation des langues et dialectes qui lui suppléent. » ; identité exclusive parfois édulcorée par l'énoncé ou l'affirmation timide, sans conviction, du caractère pluriethnique du pays : c'est le cas dans cet exercice acrobatique auquel se livre médiocrement le premier ministre qui, en voulant rectifier son tir, affirme cette fois-ci que : « . toutes les autres langues du pays . doivent jouir de la même attention de la part du gouvernement. » ; que « La Mauritanie est un pays qui a plusieurs racines, arabe et africaine et le renforcement de l'arabe doit être accompagné également par celui des autres langues nationales (pulaar, soninké, wolof). » Sauf que sur le terrain, concrètement, aucune politique, aucune mesure, aucun dispositif ne viennent confirmer ce discours.

Notons ici la différence fondamentale entre ces deux affirmations du Premier ministre: « La Mauritanie est un pays arabe » réponse, incriminée, faite à un journaliste ; et «l'arabe est la langue officielle de la Mauritanie.», affirmation faite lors de son exercice d'explication face aux trois journalistes. Aucune équivalence entre les deux.

2. «. je n'ai rien dit d'autre que ce que dit la Constitution, à savoir que l'arabe est la langue officielle de la Mauritanie et qu'elle doit avoir, en fonction de ce statut consacré par la Constitution, sa place », se défend-il. Et d'ajouter, pour conclure « Et puisqu'on célébrait la journée de la langue arabe, on se devait de parler cette langue en ce jour, c'est cela le sens qu'il fallait donner au propos que j'ai tenu.»
Affirmer ou réaffirmer la place de la langue arabe, en cette journée de sa commémoration. Soit ! Mais que le Premier ministre n'oublie pas la spécificité du contexte mauritanien de la célébration de cette journée de la langue arabe : l'existence d'autres langues nationales qui cherchent toujours à acquérir la place qui leur revient dans le pays ; l'inexistence d'institutions appropriées et de moyens propres à promouvoir et généraliser leur enseignement, leur usage, leur diffusion, etc. Quand un dirigeant de ce niveau parle des questions ayant trait aux aspects constitutifs de l'identité du pays : cultures, langues, leur place, leur fonction, il ne doit jamais perdre de vue qu'il s'agit là de problématiques sensibles, explosives, parce que mal posées dès l'indépendance; et qui ont provoqué les crimes contre l'humanité des années 1989/1990 dont nous traînons encore les conséquences.

3. Ould Mohamed Laghdaf dit que « . le ciment de notre unité a toujours été l'Islam, ensuite l'arabe. » Cela est faut. Rien, dans l'histoire politique de notre pays, de 1960 à nos jours, ne confirme une telle assertion. L'Islam, le vrai, et non celui qu'on instrumentalise aujourd'hui à des fins inavouées, aurait dû être en Mauritanie un facteur d'unité. Il ne l'a pas été, chez nous, pas plus qu'il ne l'a été ailleurs, entre les pays arabes ou entre pays musulmans. L'Islam, eût-il été vecteur d'unité que les crimes contre l'humanité commis en 89/90 contre les Négro-africains n'auraient pas eu lieu ; et la fracture qu'ils entraînèrent entre Négro-africains et les Arabo-berbères n'aurait vu le jour. En tout cas, l'Islam ne les a pas empêchés d'être perpétrés, ces crimes abominables.
Dire, comme le Premier ministre, que l'arabe a toujours été le ciment de l'unité de la Mauritanie, cela est si grotesque qu'il n'est point besoin de s'y attarder. Qu'il suffise de souligner que les manifestations récentes des étudiants de l'université de Nouakchott, en réponse justement aux propos du Premier ministre et du ministre de la Culture, sont le prolongement et la réplique des évènements de 1966. Distants de 44 années, qu'est-ce qui les lie, quelle est leur cause, ces évènements ? L'arabe, les langues nationales, leur place dans l'éducation nationale, dans l'administration, dans la société mauritanienne.

Les propos du Premier ministre et du ministre de la Culture ont au moins un avantage, celui de réactualiser la question de l'identité de la Mauritanie, de ses différentes langues, leur place, leur enseignement. Ces questions, et celles qui s'y rattachent, doivent être reconsidérées par le biais d'un vaste débat serein et démocratique. Doivent y prendre part toute la classe politique et la société civile. Une formule appropriée doit être étudiée, qui permette une large participation des citoyens. Les dispositions constitutionnelles relatives à ces questions devraient être complétées ou modifiées à la lumière des conclusions de ce débat.

Boye Alassane Harouna 2 avril 2010

Source : flamnet.info/




Vendredi 2 Avril 2010
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