L'Edito du Calame : Bonne foi et bonnes mœurs / Ahmed Ould Cheikh



L'Edito du Calame : Bonne foi et bonnes mœurs / Ahmed Ould Cheikh
«L’objectivité», disait Hubert Beuve-Méry, le fondateur du journal Le Monde, «n’existe pas. Il n’y a que de la bonne foi.» Et, de fait, on n’informe que de ce que l’on perçoit, croit, reconnaît pour réel ; sinon, de ce que l’on consent à présenter pour tel, de plus ou moins bon gré. On voit ici où doit naviguer la «bonne» foi du journaliste. Lorsque celle-ci ne coïncide pas avec la «bonne» marche des pouvoirs, elle éprouve, généralement, des soucis.

Inversement, on peut avancer que, lorsque la presse va mal, il y a toujours, quelque part, un problème de «bonne» foi. On a vu ainsi, sous le régime d’Ould Taya, nombre de journaux indépendants subir les pires tourments. Les interdictions, les saisies et les censures étaient leur lot quotidien. Même les journaux considérés proches du pouvoir faisaient, parfois, les frais de la «bonne» conduite de celui-ci. Au Calame, journal le plus censuré durant cette période sombre, aux jeunes journalistes, abattus par tant d’injustice, feu Habib Ould Mahfoudh disait, invariablement: «Ils partiront et le journal restera». Et il eut raison, post mortem. Du moins jusqu’à aujourd’hui. Depuis le 3 août 2005, Le Calame n’a plus jamais, en effet, été saisi. Non pas que l’envie ait manqué aux régimes qui se sont succédé, depuis cette date. Mais voilà : les bénédictions, notamment financières, de la communauté internationale sont, beaucoup plus souvent désormais, conditionnées à certaines civilités dans la «bonne» conduite du pouvoir.

Ainsi on ne censure plus les journaux, on les étrangle, doucement, à plus ou moins petit feu. Sur le modèle, toutes proportions gardées, du génocide palestinien. A ceci près qu’en ce qui concerne la presse, c’est en termes presqu’exclusivement économiques et en se contentant, généralement, d’une nonchalante passivité. Ainsi, le mécanisme d’aide à la presse, prévu par la loi, n’est toujours pas mis en place et ne le sera, probablement, jamais. L’instabilité au ministère de la Communication et à la tête même de l’Etat, l’absence de vision ou de stratégie, conjuguées à un manque de volonté politique pour sortir les journaux de l’ornière, ont constitué un frein à l’activation du fonds d’aide à un secteur qui n’a rien fait, lui-même, pour s’aider. Ou s’entraider. Car si le pouvoir traîne des pieds à soutenir une expression citoyenne indépendante, la presse continue à traîner, elle, ses tares congénitales : absence de professionnalisme, exigüité du marché, publicité insuffisante, désorganisation de la distribution.

Lui demanderait-on, avec tout cela, de faire preuve de «sérieux»? De fait, il n’y a qu’un pas que le pouvoir n’hésite pas à franchir, chaque fois que l’occasion se présente, oubliant de balayer devant sa porte. Comment demander à la presse de remplir correctement sa mission quand elle ne dispose pas du minimum vital, quand tout est fait pour contrecarrer ses investigations et quand le pouvoir ne se rappelle de son existence que pour la citer comme un acquis démocratique ou fustiger sa «mauvaise»conduite? Dans des pays où la presse a pourtant beaucoup moins de problèmes de «bonne» foi qu’ici, comme le Sénégal, le Maroc ou la France, pour ne citer qu’eux, une subvention annuelle conséquente est prévue dans le budget de l’Etat pour aider ce pilier sans lequel la façade même de la démocratie relèverait de la chimère. En Mauritanie, on a certes d’autres soucis, mais tout de même! Chaque année, le budget de l’Etat est emporté par un océan de mauvaise gestion, de prévarications et de détournements qui ne cessent d’enrichir les mêmes pontes. La presse peut toujours attendre, du moins celle qui a choisi la voie, très peu payante, en espèces sonnantes, de l’indépendance d’esprit.

Depuis le coup d’Etat du 6 août 2008, une «nouvelle» presse, aux ordres, a venu le jour, dans le but de prêcher la «bonne» foi, celle qui coïncide, avec la plus remarquable docilité, avec la voix et la conduite de son maître. Du coup, «l’ancienne», celle qui refuse de courber l’échine, ne peut évidemment être que l’expression du «mauvais» esprit. Et les commanditaires de la nouvelle, qui, par une curieuse coïncidence, entretiennent d’excellents rapports avec les potentiels cordons des appuis à la presse indépendante, n’hésitent pas à retourner leurs protégés contre ceux qui ont des avis contraires aux leurs. Comme ailleurs, à une échelle certes plus modeste, on assiste à recadrage de l’information sous le sceau du «politiquement correct». Aussi doit-on envisager, aujourd’hui, la disparition de titres véritablement indépendants et non des moindres. Est-ce dans ce gluant marécage où bonne foi et bonnes mœurs se détermineraient, invariablement, dans les coulisses, changeantes, du pouvoir – sinon, plus généralement, des forces d’argent – que devrait patauger l’avenir de la presse mauritanienne? C’est curieux, tout de même, que l’inexistence de l’objectivité serve, si objectivement, les princes…

P.S. Au revoir chers lecteurs et rendez-vous dans trois semaines. Juste le temps de souffler après une année folle.


Ahmed Ould Cheikh
Le Calame n°707, du mardi 15 septembre 2009



Mercredi 16 Septembre 2009
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