Interview de Mme Siyde Mint Yenje, Présidente du Forum pour la Promotion des Droits de l’Homme



Interview de Mme Siyde Mint Yenje, Présidente du Forum pour la Promotion des Droits de l’Homme
GPS : En votre qualité de militante des droits de l’Homme, que pensez-vous de cette vague d’arrestations, suite aux pratiques esclavagistes ?

Siyde Mint Yenje : Pour commencer, je voudrais attirer l’attention sur le fait que les personnes arrêtées aujourd’hui, sont présumées innocentes jusqu’à preuves du contraire, leur incrimination ne peut s’établir qu’à l’issue d’un jugement. Les personnes arrêtées, comme les victimes ont des droits et méritent d’être entendues pour recevoir leurs versions des faits, d’autant plus que les plaintes n’émanent pas directement des victimes, mais de quelques organisations de la société civile qui dénoncent l’existence encore, de pratiques esclavagistes en Mauritanie malgré la loi votée contre celles-ci. Cette loi fraichement votée, en l’occurrence le 3 septembre 2007 n’a pas été accompagnée des mesures nécessaires qui s’imposent afin de sensibiliser le citoyen sur ses tenants et aboutissants. A l’heure actuelle, nous ne devons pas être témoins d’arrestations pour non respect de ladite loi, mais d’un bilan de suivi et d’évaluation quant à sa vulgarisation. Le rôle de la société civile n’est pas de faire la chasse à la sorcière ni de faire le gendarme, mais de défendre le citoyen de l’éveiller et le sensibiliser sur ses droits et ses devoirs.

Il aurait fallu que les acteurs de la société civile mènent une campagne de sensibilisation sur cette loi pour édifier les populations et ce, sur toute l’étendue du territoire ; les régions, les villes, les quartiers et les maisons, en un mot : « le porte à porte ».

GPS : Vous présidez un forum pour la promotion des droits de l’Homme, membre de la société civile, quelle a été votre contribution dans ce domaine ?

Siyde Mint Yenje : A chaque fois que l’occasion s’est présentée, j’ai interpellé en vain mes amis Boubacar Ould Messaoud, Aminetou Mint El moctar, Fatimata M’bagne,Birame Ould Abeid, Aissata Satiguy, Lalla Aicha Sy et Sarr le président du FONADH pour réaliser une sensibilisation collective au sein des populations sur cette loi qui demeure méconnue. J’avoue que la société civile est confrontée à un problème de moyens en Mauritanie, mais au niveau de notre forum, nous avons réalisé avec nos moyens quelques campagnes de sensibilisation. Il est vrai que si tous les acteurs avaient réagi dans ce sens, l’impact aurait été plus important. Ceci étant, il s’agit là de mes amis que je respecte, néanmoins, j’ai un devoir vis-à-vis de la vérité, surtout s’agissant d’un problème aussi sensible et important.

GPS : Dans le cadre de ces campagnes de sensibilisations que vous évoquez, vous avez rencontré des victimes d’esclavage. Quels ont été leurs témoignages ?

Siyde Mint Yenje :Dans le cadre de l’esclavage des filles mineures, qui est à l’ordre du jour, nous avons rencontré plusieurs familles qui nous ont confié que leurs filles travaillent et perçoivent des salaires avec une prise en charge de l’employeur. A chaque fois que nous avons évoqué leur âge, les parents se justifient par le fait qu’ils sont issus de milieux pauvres et qu’ils n’ont pas d’autres choix. A cela s’ajoute le fait que ces familles en général ainsi que les auteurs de ces pratiques ignorent qu’il est interdit de faire travailler des mineurs. Quand vous êtes face à une telle situation aussi inconfortable et que vous n’avez pas de solution de remplacement, vous n’avez que vos yeux pour pleurer…

Par ailleurs, d’autres cas se sont présentés à nous, où les mineurs ne travaillent pas mais pris en charge par des familles par soutien. Nous sommes en Mauritanie, nous avons nos valeurs et notre société n’est pas encore individualiste, les mauritaniens s’entraident mutuellement et ce n’est pas pour autant que l’on est esclavagistes. A titre d’exemple, j’ai un demi-frère dont la mère est « Haratine », si j’hébergeais demain son fils qui est de teint foncé, on viendrait m’enfermer !

Les « Beidane » et les « Haratine » sont frères, ils sont indissociables, peu nombreux sont les « Beidane » dont les mères ne sont pas « Haratine ». Il y’a là une volonté peu voilée d’instrumentaliser cette question d’esclavage qui demande toute notre attention. En effet, je ne peux pas comprendre que sur cette question d’esclavage, seuls les « Beidane » sont pointés du doigt, or, nous sommes un pays multiethnique et toutes les ethnies sont concernées par cette pratique. Il y’a des villages où les esclaves ne mangent pas à la même table que leurs maitres, pire encore, des villages où l’on n’enterre pas les anciens esclaves dans le même cimetière que leurs maitres, et pourtant, on n’en parle pas. Il faut arrêter de tout politiser dans ce pays ! La société civile se doit d’être apolitique.

GPS : A votre avis quelles sont les solutions pour mettre fin à ces pratiques esclavagistes ?

Siyde Mint Yenje : D’abord, il faut commencer par le commencement, faire de sorte que cette loi soit accompagnée par les mesures qui s’imposent. Faire de sorte qu’il y’ait un suivi pour le respect des procédures. Ensuite, les pouvoirs publics devraient créer des centres d’accueil pour recevoir ces mineurs, les nourrir, les scolariser et préparer leur insertion dans la vie active. L’implication de la société civile dans ce projet est essentielle, en rompant bien sur avec les anciennes pratiques qui visent à choisir des interlocuteurs privilégiés.

A son tour, la société civile doit jouer son rôle en toute objectivité, évitant la récupération politique. Si un cas d’esclavage s’avère, les acteurs de la société civile devraient le gérer de façon responsable et crédible à leur niveau d’abord. Aller vers les victimes les écouter, leur proposer des solutions fiables. Ensuite aller vers les auteurs les écouter, les mettre en garde contre ces pratiques criminelles et leur demander réparation. Si les auteurs récidivent, à ce moment engager les procédures, à savoir dénoncer, juger et emprisonner


GPS

Jeudi 31 Mars 2011
Boolumbal Boolumbal
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