Interview de Lô Gourmo Abdoul



Interview de Lô Gourmo Abdoul
« L’opposition est une opposition de bonne volonté, soucieuse de respectabilité, et certainement apte à diriger le pays. Mais, elle manque encore de vision commune forte et de réactivité face à une situation de plus en plus difficile pour le pays ».

Drapé dans un grand boubou bazin riche, de couleur bleue, les cheveux quelque peu grisonnants, portant des lunettes fines à rayures dorées, le Dr Lô Gourmo Abdoul ne reflète plus son image d’éternel étudiant. Signe des temps !

Dans une interview exclusive accordée à l’Eveil Hebdo, M. Lô Gourmo Abdoul, qui est membre du Bureau exécutif de l’Union des Forces de Progrès (Ufp), se prononce sur les questions d’actualité nationale. Il aborde, ici, les problèmes au sein de la Coordination de l’opposition démocratique, l’actuelle posture de l’App, les futures élections législatives et municipales, et le recensement administratif à vocation d’état-civil en cours, dont il critique, avec véhémence, la procédure.



Eveil Hebdo : Que pensez-vous de la situation actuelle de la Coordination de l’opposition démocratique ?

LO Gourmo Abdoul :
La COD est un regroupement des formations politiques démocratiques opposés au régime de M. Ould Abdelaziz, suivant la même ligne que celle qui avait porté leur résistance au putsch de ce dernier. Ce sont des partis venus d’horizon assez divers, et qui ont une histoire parfois très distincte, les uns par rapport aux autres. En dépit de cela, ces partis ont accepté de décider et d’agir ensemble face au pouvoir, et de respecter une certaine discipline dans leur activité oppositionnelle.

Ce n’est pas toujours facile, compte tenu des contraintes liées au statut d’opposants dans ce pays, et de la capacité manœuvrière d’un régime qui maîtrise l’art de la division et des attaques ciblées pour disperser les rangs de ses adversaires, sans bouger d’un pouce de ses positions !

L’opposition est une opposition de bonne volonté, soucieuse de respectabilité, et certainement apte à diriger le pays. Mais, elle manque encore de vision commune forte et de réactivité face à une situation de plus en plus difficile pour le pays. Elle laisse souvent passer des occasions de renforcer ses positions oubliant parfois sa raison d’être première : se placer à la tête des populations dans leurs revendications légitimes et leurs aspirations face à un pouvoir dominateur, manipulateur et improvisateur. Elle devrait privilégier, en toute occasion, son unité, tout en respectant sa diversité et la liberté d’action de chacune de ses composantes.

E.H : Précisément, comment comprenez-vous l’attitude quelque peu déroutante de Messaoud Ould Boulkheir, patron de l APP ?

LGA
: Quelle attitude déroutante ? Le Président Messaoud Ould Boulkheir est l’un des dirigeants historiques centraux de l’opposition. Il a été l’un des porte-étendards de l’anti-putschisme. Son parti joue un rôle clé dans la configuration générale des forces politiques dans le pays. Lui-même est Président de l’Assemblée Nationale. Il a une lecture de la vie politique actuelle, une approche de la lutte de l’opposition et de ses relations avec le pouvoir qui reflètent cette complexité. Rien n’est simple.

Il affirme que le dialogue est, non seulement, nécessaire avec le Président Ould Abdel Aziz, mais aussi que ce dernier est disposé et sincère à le mener. Don’t act.

Il ajoute qu’il est contre tout recours à la rue comme moyen pour parvenir au pouvoir. C’est la position de l’opposition démocratique, dans son ensemble, jusqu’à preuve du contraire. L’appréciation qu’un être humain porte sur la sincérité d’un autre être humain est nécessairement subjective et relative, même si l’expérience et la pratique sont des critères essentiels pour la connaissance de la vérité en la matière. Mais, là n’est pas le plus important.

Le plus important est que toute l’opposition est d’accord sur ce dialogue qui, par définition, ne peut concerner que des adversaires politiques. Comment et dans quelles conditions engager ce dialogue, voilà où il y a éventuellement des nuances, voire des divergences. Chaque parti de l’opposition, en fonction de son analyse, porte un jugement qui lui est propre sur ces aspects d’ordre tactique. Des discussions, un peu trop longues et parfois vives, ont été engagées, au sein de la COD, pour présenter une « feuille de route » de ce dialogue au Général Mohamed Ould Abdel Aziz.

C’est presque fini maintenant. La balle sera alors renvoyée dans le camp du pouvoir qui ne cesse, ces dernières semaines, de manœuvrer pour faire de ce dialogue, d’abord une pomme de discorde au sein de l’opposition ! En tout cas, c’est l’impression qu’il donne. Ce n’est qu’à partir du moment où ce dialogue sera réellement engagé que la sincérité des uns et des autres pourra être mesurée. Pour ma part, j’ai confiance en M.Messaoud. Je l’ai fréquenté aux pires moments du putsch. Il dit toujours ce qu’il pense avec force et clarté. Sans fioriture ou langue de bois.

Au moins, les choses sont claires, que l’on soit d’accord ou non avec lui. Tout le reste est affaire de commentaires et de jugements qui n’engagent que leurs auteurs, y compris les journalistes. Pour ma part, je reste convaincu qu’il persistera fondamentalement sur une ligne d’opposition unitaire conséquente.

E.H : L’UFP va-t-elle donc boycotter les prochaines élections législatives et municipales décrétées par le pouvoir en place ?

LGA :
Une partie de la presse a annoncé, sous de gros titres, que le Président du parti en a appelé au boycott des prochaines élections législatives et municipales, lors de sa dernière conférence de presse. Mais, Mohamed Ould Maouloud ne s’est pas exprimé sur la question de participer ou non. Il a simplement constaté ce que tout observateur constate de visu : les élections, au vu de l’état des choses ne pourront jamais se tenir à terme échu (octobre) dans des conditions démocratiques exigées par la loi.

Nous sommes en deuxième moitié de juin, à l’orée de l’hivernage et du mois de ramadan (août) où tout est au ralenti. Il ne restera qu’un seul mois (septembre) pour le lancement réel des opérations de préparation électorale. Or, à ce jour, on ne sait pas sur quelle liste électorale il faudrait compter, quel fichier utiliser, qui va voter, etc. puisque vient tout juste de démarrer le calamiteux et surréaliste processus de recensement à vocation d’état-civil des mauritaniens.

Des dizaines de milliers de jeunes, qui seront en âge de voter, en seront nécessairement exclus, du fait qu’il y a gel de délivrance des cartes d’identité et des documents électoraux subséquents. Des dizaines de milliers d’autres citoyens subiront le même sort du fait de l’expiration de ces mêmes pièces d’identité. La seule façon de les réintégrer dans le processus serait de leur délivrer des documents provisoires sur papiers. Ce qui nous ramène à l’époque des fraudes industrielles.

Le fichier électoral en cours (qui a servi lors de la dernière présidentielle) est lacunaire voire toxique, et cela avait été reconnu, y compris par le pôle Ould Abdel Aziz, puisqu’il a été nécessaire de le retoucher entre le 6 juin et le 19 juillet, quasiment en pleine campagne électorale. Plus généralement, rien de ce qui assure la transparence et la fiabilité des scrutins n’a même été amorcé. L’Accord de Dakar est jeté aux orties, alors qu’il est le cadre convenu entre toute la classe politique significative pour toute normalisation démocratique du pays, y compris sur le plan électoral et institutionnel (Administration publique, Forces armées, CENI, Conseil Constitutionnel, HAPA, etc.).

Bref, tout ce qui rend, à la fois possible et crédible une élection, fait défaut, et fera nécessairement défaut, au vu de l’évolution ces choses dans le pays, quand arriveront les échéances. Si ces conditions ne sont pas remplies, l’opposition démocratique, dans son ensemble, l’UFP y compris, prendra ses responsabilités et la bonne décision devant le peuple et le reste du monde. Il ne s’agira pas alors de demander un report, mais de constater une grave défaillance vis-à-vis de l’ordre constitutionnel et d’agir en conséquence.

E.H : Le président Ould Abdel Aziz dit que les élections ne seraient pas reportées, car il y aurait un vide juridique.

LGA
: Pour l’instant, l’opposition réclame que soient remplies les conditions exigées par la loi pour des élections libres, démocratiques et transparentes. Ces conditions sont-elles remplies ? Tout le monde reconnaît que non. Y compris dans les rangs de la majorité. Vide juridique en cas de non respect des délais et de report subséquent ? C’est plutôt de violation de la légalité, dont il faut parler, s’agissant de l’absence des conditions électorales exigées.

L’opposition est dans son droit et dans son devoir d’exiger du pouvoir qu’il respecte la légalité électorale, la régularité des élections et les conditions de leur sanction. Elle ne demande pas le report des élections, mais le respect scrupuleux des conditions légales de leur tenue. Elle est prête à aider le pouvoir dans ce sens, comme elle ne cesse de le répéter, en ouvrant, avec lui, un dialogue franc, sincère et productif, sur la base d’un accord signé par les parties et entériné par la « communauté internationale », l’Accord de Dakar, qui est susceptible d’amendements et de réajustements, mais que l’on ne saurait passer par pertes et profits.

Sur cette base, il n’y aura jamais ni vide juridique ni vide politique, et notre pays franchira, sans dommage, le cap des turbulences qui affecte, non seulement le monde arabe et l’Afrique, mais le monde entier.

E.H : A ce propos, votre parti semble n’entrevoir que des scenarii-catastrophe de sortie de crise : coup d’Etat, insurrection populaire, ou pourrissement, pour reprendre les termes du président de votre parti.

LGA : Le Président Ould Maouloud a dit que ce sont des possibilités qui risquent d’être inévitables objectivement parlant, si la classe politique n’ouvre pas un dialogue sérieux et sincère. Il ne s’agit pas d’un choix ou d’une option délibérés d’un point de vue tactique pour ces scenarii catastrophe, potentiellement dévastateurs pour la stabilité sociale et la paix civile, comme le dit d’ailleurs, avec raison, le Président Messaoud, dans la conjoncture actuelle. Mais, nous ajoutons que ce sera nécessairement le choix que fera la vie réelle si le pouvoir et l’opposition ne s’entendent pas pour les éviter.

Les tunisiens, pas plus que les égyptiens ou somaliens, etc. n’ont pas « choisi », de propos délibéré, de faire comme ils l’ont fait en définitive. L’histoire nous offre une chance et une opportunité d’éviter la dérive, et de poursuivre notre chemin, en corrigeant ce qu’il y a de mauvais ou de nuisible dans les pratiques politiques actuelles et dans nos institutions.

Saisissons-nous de cette perche, et amorçons un vrai tournant dans la vie de ce pays. Dialoguons avec sincérité sur les grandes questions communes, et les choses s’amélioreront rapidement, sinon préparons- nous au pire ! Et le pire n’arrive pas qu’aux autres, mais toujours plus vite que l’on ne s’y attendait…

E.H : Quelle est votre opinion sur le recensement actuel ?

LGA :
Je suis allé personnellement me faire recenser. Malheureusement, tout ce qui a été dit s’agissant des extravagances et des dangers de cette opération se vérifie au-delà de ce que je craignais. Les députés, spécialement ceux de l’UFP, Bedreddine et Kardiata Diallo, se sont largement fait l’échos du désarroi des gens et des risques majeurs que coure le pays à vouloir persister dans la gestion unilatérale de ce processus vital pour les citoyens et pour la pérennité de toute vie politique et sociale normale. Le pouvoir est resté sourd.

Une « administration » singulière, ad hoc, parallèle à l’administration formelle et taillée sur mesure pour les besoins d’une cause occulte, a été mise sur pied et officie à Nouakchott. Elle agit avec des structures incompétentes à le faire, et avec une composition clairement orientée, dans la confusion la plus complète, et l’absence la plus totale de procédures communes.

En conséquence, on assiste à un déchaînement, sans précédent, de pratiques discriminatoires et vexatoires à l’égard des plus humbles des citoyens et des communautés négro-africaines suspectées de fraude à la nationalité et d’usurpation d’identité. Chaque négro-africain est quasi-officiellement un étranger potentiel dans son pays. Les membres de ces « comités », comme on les prénomme, se donnent, désormais, le pouvoir arrogant de remettre en cause des documents officiels délivrés par l’Etat mauritanien (cartes d’identité infalsifiables initiales, actes de naissance, etc.).

Gare au Boghéen qui dit ne pas connaître M. Bâ Silèye ! « Quels versets de Coran connaissez-vous ? » ; « Etes-vous polygame, puisque les Halpular’ sont tous polygames ! ». «Etes-vous Peulh ou Toucouleur, puisque ce n’est pas la même chose »…etc…etc… A la moindre hésitation, vous êtes mis de côté pour plus amples vérifications ou renvoyés avec mépris. On enregistre qui on veut suivant des critères clandestins. Et, pour la première fois, ouvertement, on semble clairement vouloir dresser un fichier ethnique du pays !

Que pourrait-il en sortir ? Rien qui vaille sinon la confusion la plus totale et une toxicité de l’ensemble du processus avec, à la clé, des risques énormes de dérapage incontrôlable de notre débat national ! Il est impératif d’arrêter cette dérive et de remettre à zéro le compteur pendant qu’il est encore temps…


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Source : L'Eveil Hebdo (Mauritanie) via UFP v

Jeudi 23 Juin 2011
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