Enrôlement: Entre «mauritanité», crise de nerfs et violences mortelles



Enrôlement: Entre «mauritanité», crise de nerfs et violences mortelles
Plusieurs localités de la vallée du fleuve Sénégal ont été secouées par de violentes manifestations contre l’enrôlement jugé ‘’discriminatoire et raciste’’ des populations, lancé le 6 mai dernier. Des événements partis de la ville de Kaédi, le samedi 24 septembre dernier, épicentre du séisme provoqué par une gestion démesurément répressive de la contestation juvénile, par les forces de sécurité. Nouakchott a pris le relais, avec une folle matinée d’agitations, le jeudi 29 septembre. Ces mouvement de foules, composées essentiellement de jeunes, sont animés par une coordination dénommée «Touche Pas à ma Nationalité» (TPN).
Même si le bilan général de la tourmente reste encore difficile à chiffrer, on s’accorde à reconnaître qu’il est particulièrement élevé. La mort, par balle, à Maghama, d’un jeune homme de 19 ans, Lamine Mangane, constitue, incontestablement, le fait le plus dramatique de cette semaine chaotique. De nombreux blessés, y compris dans les rangs des forces de l’ordre, ont été évacués à l’hôpital régional de Kaédi. Les dégâts matériels sont énormes, aussi bien à Kaédi et Maghama que Nouakchott, avec des saccages et incendies de biens publics et privés.
Semaine particulièrement agitée, donc, dans le Gorgol. Mais, aussi, début de week-end tumultueux, à Nouakchott, avec des scènes hallucinantes de violence, dans la matinée du jeudi 29 septembre, surtout dans les rues de la Médina 3 et de Sebkha, populeuse banlieue sud-ouest. Plusieurs dizaines d’individus ont été interpellés. Certains ont été libérés, à l’issue de quelques jours de garde à vue. D’autres continuent à faire l’objet d’interrogatoires, sous le soupçon «d’atteinte à l’ordre public», «actions politiques malveillantes» et autre «mains de l’étranger».
Le gouvernement, par la voix du ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, Mohamed Ould Boilil, a annoncé la poursuite de l’opération d’enrôlement. Une déclaration assortie de quelques menaces, vis-à-vis de «ceux qui troublent l’ordre public». Evoquant l’origine des évènements, le responsable gouvernemental a indiqué qu’il s’agit «de l’œuvre d’acteurs politiques malveillants et peu soucieux de l’intérêt national». Des propos peu apaisants qui ont eu pour effet, immédiat, de faire monter le taux d’adrénaline. Par ailleurs, des sources, bien informées auprès du même ministère, renseignent que cinquante-six personnes, parmi lesquels «treize étrangers qui encadraient la manifestation du jeudi 29 septembre», ont été interpellées à Nouakchott.
Une thèse démentie par Abdoul Birane Wane, responsable de la coordination TPN, le samedi 1er septembre, au cours d’une rencontre avec la presse. Il a rappelé que de nombreux étrangers, notamment des sénégalais, habitent la Médina 3, et affirmé que la police «a interpelé, au hasard, des individus sans lien avec la manifestation de jeudi». Une grosse pierre, dans le jardin de notre hospitalité.
Au-delà de ce tableau plutôt sombre, un motif d’espoir, en parfait décalage avec le discours «guerrier». Une délégation gouvernementale s’est rendue, au cours du week-end, à Kaédi et à Maghama, au chevet des blessés. Mais, en pareilles circonstances, la première réponse que les autorités doivent fournir concerne les modalités du maintien de l’ordre. Surtout quand les allégations des manifestants de Maghama sont directes et sans équivoque: «ils sont venus pour tirer et nous tuer».

Concert de condamnations, au sein de l’opposition et de la société civile

Face aux manifestations et à la répression, plusieurs partis de l’opposition et organisations de la société civile ont condamné l’attitude des autorités et exigé «la suspension d’une opération mal préparée, qui menace l’unité et la cohésion d’un pays multi-ethnique», riche de sa diversité culturelle. Au premier rang de ces réactions, Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Assemblée nationale et leader de l’Alliance Populaire progressiste (APP).
Pour sa part, Mohamed Jemil Ould Mansour, président du Rassemblement National pour la Réforme et le Développement (RNRD-Tawassoul-mouvance islamiste modérée), réclame «un consensus autour de l’identité», en vue d’une citoyenneté tournée vers le progrès et le développement de la Mauritanie. Il prône «une suspension» des opérations d’enrôlement et «une concertation préalable».
Même son de cloche au sein de l’Union des Forces de Progrès (UFP), qui «condamne la politique répressive du pouvoir dont les forces de l’ordre n’hésitent plus à tuer des citoyens qui expriment leur mécontentement par rapport à un recensement équivoque de la population». Les amis de Mohamed Ould Maouloud demandent «la suspension des opérations, pour apaiser la tension», et lancent un appel, pressant, «à tous ceux qui manifestent contre l’enrôlement injuste, organisé, unilatéralement, par le pouvoir, de s’abstenir de tout comportement à caractère racial et violent, susceptible de porter atteinte à la vie et aux biens des citoyens, en vue de préserver la paix civile et l’unité nationale».
Dans une déclaration signée de treize ONG et publiée le samedi 1er octobre, le collectif du Forum National des Organisation de Droits Humains (FONADH) va encore plus loin, en réclamant «toute la lumière sur la mort de Lamine Mangane, un crime, un acte de barbarie imprévisible dont les responsables doivent être arrêtés et traduits en justice».
Parallèlement à la désapprobation et aux condamnations venues de l’opposition et de la société civile, on note le silence gêné et, quelque part, assez troublant, de la Coalition des Partis de la Majorité (CPM). Quelques élus issus de la région du Gorgol et affiliés à l’Union Pour la République (UPR) et à l’Union pour la Démocratie et le Progrès (UDP), se sont, cependant, démenés (à titre individuel ?), pour arrondir les angles et rapprocher les points de vue, dans le cadre de difficiles «négociations», entre les autorités régionales et les démembrements de TPM. La mouvance nationaliste négro-africaine a fait entendre sa voix et annoncé le gel de ses activités, au sein de la CPM.

Sortir d’un piège mortel

Pour échapper à cette nouvelle spirale, lourde de menaces et de dangers, tous les fils du pays doivent s’investir. Toutefois, la plus grande responsabilité incombe au pouvoir, tenu de communiquer pour expliquer les tenants, les aboutissants et le mode opératoire d’un recensement manifestement mal compris et, surtout, mal vécu, par une importante frange de la population. Il faut, absolument, rappeler à l’ordre certains agents recenseurs qui pourraient bien n’avoir reçu aucune consigne particulière mais en font un peu trop, histoire de se convaincre qu’ils ont, désormais, une petite miette de pouvoir, après avoir, longtemps, traîné les rues.
Tout en désapprouvant les dérives constatées dans les manifestations de ces derniers jours, nous sommes en droit de réclamer un éclairage sur les conditions qui ont poussé les forces de l’ordre de Maghama à faire usage de balles réelles, dans une mission classique de maintien de l’ordre. Le danger de voir de tels actes se banaliser, au cours d’autres manifestations, inquiète les esprits. Attention, les massacres collectifs n’arrivent pas que chez les autres. Et la légendaire patience populaire, une fois poussée au-delà de ses limites, ne se rétablit, jamais, par la force, quelle que soit l’apparent déséquilibre des moyens. Alors, arrêtons de jouer avec le feu. Surtout dans un pays qui traîne, encore, comme un boulet, les tueries collectives des années 1989-1990, dont les auteurs, connus de tous, n’ont pas encore été identifiés dans le cadre d’une enquête formelle.
Nous sommes, en cette occurrence, au cœur d’un mal très répandu dans une Afrique dont le système judiciaire est complètement à la botte de l’exécutif. Ce qui explique les récriminations et les larmes de nos responsables, dénonçant, à chaque fois, une «justice à deux vitesses», à chaque que la bulle puante de notre linge sale se trouve devant une juridiction pénale internationale.
Quant au problème de la nationalité, il saurait être réellement posé, dans le cadre de l’opération en cours. Mais le jour ou ce dangereux poison tombera dans notre soupe, il faudra, juste, garder à l’esprit un constat massif et incontournable. En Afrique, l’Etat – un concept juridique – précède la Nation – une réalité plutôt d’ordre sociologique et politique. Le colon a tracé des frontières, sans tenir compte des groupes ethniques et autres affinités. Ceux qui occupent les espaces ainsi délimités doivent apprendre à vivre ensemble, pour former une véritable nation, grâce, notamment, au partage de valeurs citoyennes. D’où la nécessité, absolue, de dépasser la crise de nerfs dans laquelle la Mauritanie est plongée, depuis quelques temps.

Amadou Seck


Calame

Jeudi 6 Octobre 2011
Boolumbal Boolumbal
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