De la confusion dans notre société entre l’acte et son auteur : ou de la recherche de l’impunité ?



Il y a quelque jours, des messages vocaux, des images et des messages écrits relatifs à une vielle dame qui avait été opérée par un médecin de chez nous et qui d’après l’auteur des messages qui se présente comme son fils, a été sauvée, in-extremis, d’une mort certaine.

La cause de cet incident aurait été, selon le message qui s’appuie sur les analyses et opérations réalisées à Dakar, l’oubli d’un morceau de pansement de 30 cm², qu’il avait comparé à un épais tissu, communément, appelé Kej Guweira (qui irrite les chèvres qui ne sont pas arrivées à l’intégrer dans leurs menus). Selon le même message, le morceau de tissu qui s’est imbibé de tout ce qu’il y’ avait dans les entrailles de la patiente pesait plus d’un kg et dégageait des odeurs qui avait fait fuir le personnel du centre de santé où l’opération a été réalisée.

Une grossière faute, qui pourrait, facilement, être comparée à un homicide volontaire, dans la mesure où la négligence est si manifeste. C’est comme l’accident commis par un chauffard qui roule à 120 km à l’heure, dans un quartier populaire très populeux, et dont les rues ressemblent à un labyrinthe.

Quand j’ai vu les images diffusés et écouté les messages vocaux, j’ai été écœuré, et j’ai condamné, sans hésiter, dans mon fort intérieur « la bêtise humaine », d’autant plus que c’est le énième cas qui parvient à nos oreilles ou que nous avons vécu à travers nous-mêmes, des parents, des amis ou des connaissances.

Après la lecture de ce message, j’eus droit à un autre message vocal enregistré par une femme, et un troisième message écrit par un homme. Le premier commence par la prière sur notre Saint Prophète (Salla ALLAHOU Aleihi We Sellem) et le second se termine par une Aya du Saint Quran qui avertit ceux qui diffusent le mensonge et le faux témoignage, que leur témoignage sera enregistré et qu’ils seront interrogés.

Après avoir écouté les deux messages, j’étais plein d’envie : combien donnerais-je pour ressembler au portrait dressé par ces deux messages de ce médecin, hors du commun.

Je me suis, alors, dis : tu as jugé trop vite, le Monsieur est un homme hors normes, compétent, pieux, humaniste, qui aime ALLAH et les êtres humains, comment peux tu le juger ?

Là, je me suis, donc, trouvé dans un dilemme avec moi-même : j’avais (si les faits tels qu’ils nous sont parvenus sont exacts), une femme alitée aux soins intensifs, qui a frôlé la mort de très près et qui ne s’est pas encore tirée d’affaire, et de l’autre le médecin qui est accusé d’être l’auteur de cette négligence mortelle, et qui est un homme de bien ayant un long palmarès au service des bonnes causes, du sacrifice et du désintéressement.

J’ai, alors, essayé de mettre de l’ordre dans le débat, que j’ai engagé avec moi-même, et je me suis posé le problème de manière simple, dans l’espoir d’en sortir avec une quelconque conviction.

1. Un acte ou erreur, comme celle qui a été relatée, ne peut pas être passée sous silence et doit être condamné. La victime mérite compassion et réparation.

2. Un homme de la trempe du médecin (qui en est prétendument l’auteur) ne pas être condamné pour une bourde, avec le portrait idéal, qui en a été dressé par ceux qui le connaissent.

Et là, j’ai fait la découverte très grave et très significative « d’être un mauritanien, marqué par une culture qui veut que le jugement de l’acte, ne pourra, jamais, se faire, sans référence à son auteur».

Oui depuis toujours, nous avons été habitués, à ne pas condamner les erreurs, fautes ou déviances que commettent des gens qui sont, de par leur statut, leur passé, leur réputation, et parfois leur naissance, irréprochables.

Mais il faut bien résoudre le problème de justice posé : Il faut bien rendre justice à la victime. Il y a eu un dommage matériel et moral, sa réparation est nécessaire.

Et, de me poser la question : est-il possible de condamner l’acte sans condamner la personne ?

La réponse est évident : oui, partout ailleurs (sauf exception) la responsabilité, la condamnation, les sanctions et réparations prononcées sont à la hauteur de l’acte et des circonstances de fait et de droit qui l’ont entourées. Les considérations personnelles relatives à l’auteur (qualité morales, antécédents…) viennent dans une faible proportion concourir, en tant que circonstances atténuantes ou aggravantes.

C’est cela la justice ici-bas. Celle qui consiste à mesurer l’être dans toute sa dimension est la justice divine qui ne s’arrête pas à l’écran de ce qui est visible et perceptible, mais va bien au-delà, jusqu’à l’infini profondeur de l’âme.

Aujourd’hui, en Mauritanie, nous avons ce problème, de ne pas savoir, ni pouvoir faire la distinction entre un acte et son auteur.

Pour bien projeter l’image, considérons l’homme comme une machine qui produit des paroles et des actes selon différentes caractéristiques, différents formats et pour des utilisations diverses. Parmi les paroles et actes produits, certains sont de bonnes qualités et d’une grande utilité. Ils génèrent des bénéfices et du bien-être pour leurs auteurs. D’autres sont de mauvaises qualités, nuisibles pour la santé et la sécurité des gens et du milieu, ils attirent des amendes, des condamnations pour leur auteurs. Mais dans tous les cas de figure, l’auteur reste, cependant et toujours, lui-même et continue son bon homme de petit chemin en produisant toujours des paroles et des actes, selon cette même logique.

Prenons l’exemple d’un saint homme (ou d’une sainte femme) qui a vécu 75 ans au service de ses semblables et de la nature, qui a toujours donné sans compter, qui n’a jamais tendu la main pour recevoir une quelconque rémunération ou compensation, et qui, un jour, agresse sans motif une personne et lui fait perdre un membre, une fonction, une faculté, ou la vie même : comment doivent réagir les autres, dans une société juste, une société de droit?

Tout prestataire de service doit assumer la responsabilité des actes qu’il réalise dans le cadre d’une profession ou d’un métier. Le problème ne concerne pas que les médecins, même si la responsabilité, des médecins est plus grave en raison de sa relation directe avec le corps et l’esprit de l’être humain.

Les juges, avocats, notaires, huissiers, mécaniciens, électriciens, plombiers, coiffeurs doivent pouvoir être poursuivis et rendre des comptes en cas d’abus de confiance, d’escroquerie, d’exercice de leurs professions ou métiers, en l’absence de toute référence académique ou de savoir-faire pratique, d’erreur ou de négligence.

Aujourd’hui, dans notre pays, on entend souvent des histoires d’avocats qui complotent avec l’adversaire de leur mandataires, d’autres qui gardent par devers eux les biens revenant à leur mandataire, d’autres qui engagent votre dossier et l’abandonnent, tout simplement, parce que le niveau des honoraires restant n’est plus très attrayant.

Il y a plein d’histoires d’électriciens qui vous font des courts-circuits et des incendies, de maçons qui commettent des malfaçons, de mécaniciens qui pour une panne mineure vous font acheter les principales pièces d’un moteur, et provoquent parfois, des pannes plus graves que celles qu’ils devaient réparer.

L’autre jour par exemple, ma voiture affichait un voyant jaune qui signifiait qu’il y avait quelque chose à vérifier. Je rendis visite à un atelier de réparation à Nouadhibou au début du quartier Dubaï, un peu avant le supermarché « le bon choix ». Le responsable de l’atelier m’informa que c’est un problème d’entretien, je lui répondis que je venais de faire l’entretien complet depuis quelques jours, il me convainquit de refaire l’entretien parce que ceux qui l’ont fait ne savent rien et ont utilisé des cartouches falsifiées. Je finis par le croire, il était dans son domaine et paraissait ingénieux.

Il refit l’entretien complet du véhicule, utilisa son appareil de détection des pannes, et rendit son verdict, qui accusait le manomètre de saleté. Il l’enleva, y pulvérisa un produit vaporisant et le remis à sa place. Très content d’avoir découvert un atelier propre, flambant neuf avec des couleurs et des accessoires intelligents sur les rayons, je suis reparti très satisfait et j’ai repris la route de Nouakchott. Après quelques dizaines de kilomètres, je me rendis compte que la voiture perdait de l’huile en dessous. Après un certain temps, la voiture perdait de la vitesse et finissait par s’arrêter sans pour autant que le moteur cessait de tourner. Il me fallait chaque fois l’éteindre et le redémarrer pour repartir. A Nouakchott, on m’informa que l’Atelier de Nouadhibou n’avait pas serré la vis de vidange et que le moteur aurait pu couler. On m’appris, par ailleurs, que le produit vaporisant utilisé a endommagé le manomètre. La conséquence de l’intervention de l’atelier fut l’immobilisant du véhicule pour deux jours et un coût de réparation pour plus de 80.000 de nos anciennes ouguiyas.

A chaud, je me convainquis, qu’il fallait porter plainte, non pas pour moi, mais pour ceux qui risqueraient de perdre leurs véhicules ou leurs vies suite aux interventions de ces experts de la mécanique. Finalement, je me suis résolu, lâchement, à encaisser le coup, en toute philosophie.

J’étais terrorisé par l’idée de me présenter devant des services de police dont le niveau de professionnalisme avoisine le zéro universel. Ensuite et après un effort financier et la perte de quelques journées en terme de temps, je me serai retrouvé devant un parquet très sensible aux interventions, qui fuseront inévitablement, de toute part et qui finira par m’obliger, arme à la main, de me résoudre à un « AVA ALLAHOU ANNMA SALAF » (Qu’ALLAH pardonne ce qui est passé). J’aurai eu droit à cette fin, dans le meilleur des cas. Dans le pire des cas, je pourrai être poursuivi et condamné pour dénonciation calomnieuse, atteinte à la réputation de gens reconnus pour être sans reprochés ….

C’est donc la peur, la peur de la justice, de la justice de mon pays, devant laquelle je me présente de temps en temps pour défendre certains dossiers après avoir fait de prières et invoqué ALLAH pour qu’il mette le bon juge sur mon chemin, qui m’a dissuadé de jouer au héros.

Si nous revenons aux mécaniciens, tôliers, électriciens et plombiers des êtres humains (je ne les dévalorise pas. Les fonctions se valent et la similitude est frappante), je vous parlerai, au risque de vous ennuyer un peu de quelques cas vécus. Plusieurs personnes de mon milieu familial se sont déjà adressées à moi, paniqués par la révélation qui leur a été faite par un médecin, selon laquelle ils sont diabétiques. Je les prenais chaque fois pour faire l’analyse de sang chez un ou deux laboratoires, et à chaque coup, nous avions des résultats qui démentaient le diagnostic et la personne reprenait, alors, sa vie normale. Le dernier cas vécu est celui d’une parente qui avait des difficultés urinaires. Elle fit les radio, échographie ou scanner ….

On lui apprit que l’échographie ou le scanner, je ne me rappelle plus, montrait un caillou de 9mm de diamètre dans l’urètre ou l’uretère (je ne suis pas médecin). Et le médecin prescrivit une opération chirurgicale. La dame qui portait une sonde urinaire fit les analyses de sang et de diabète (préalable à l’acte chirurgical) et demanda à une parente d’intercéder auprès du médecin concerné pour avancer la date de l’opération. Elles trouvèrent un autre médecin qui regarda les analyses et affirma sans l’ombre d’un doute et avec une grande assurance qu’il n’y avait pas de caillou, mais, plutôt, une infection. Il prescrivit un traitement à base d’antibiotiques et d’anti-inflammatoires. Une semaine après, la dame retrouvait sa santé.

Elle avait eu de la chance, car elle aurait pu être charcutée et répartir avec des clés de véhicule ou un briquet dans les entrailles. Mais, le plus malheureux dans tout cela, est qu’elle n’aurait eu aucune chance de faire entendre sa plainte, parce que le médecin qui l’aurait charcuté et celui qui aurait oublié, involontairement, son porte-clés ou son briquet dans ses entrailles se seraient révélés des gens de biens, reconnu à travers le pays, ET LES GENS DE BIENS NE FONT PAS DE FAUTE, même involontaire.

Afin de dépassionner le débat, il est de bonne logique de ramener la responsabilité du médecin, de l’avocat, de l’expert, de l’électricien, du plombier, du cuisiner… à celle d’un chauffeur de véhicule. Nous savons tous que gens de biens et ceux qui sont moins bien causent tous les jours, par leurs véhicules, des accidents et des dommages et les réparent. La bonté de leurs âmes, de leurs intentions, de leurs origines, la qualité et l’importance de leurs références académiques, la multiplicité des œuvres de bienfaisances qu’ils dirigent ne peuvent, jamais, empêcher un tribunal de reconnaitre les faits et de les condamner à réparation.

Les pouvoirs publics doivent se pencher sur l’organisation des professions et métiers. Dans certains cas et pour certaines activités, une assurance professionnelle aiderait à mieux gérer les risques.

En conclusion nous devons faire évoluer nos mentalités.

Comment me direz-vous ? En faisant quelque pas en arrière, en revenant à ALLAH, non pas dans la forme et par les incantations répétées sans intention, mais par la rectitude et le bon exemple. Nous devons apprendre à dénoncer sans gène ni excès ce qui est condamnable et à louer et valoriser ce qui est recommandable.

ALLAH dit dans le sein QURAN :

"لعن الذين كفروا من بني إسرائيل على لسان داود وعيسى ابن مريم ذلك بما عصوا وكانوا يعتدون كانوا لا يتناهَوْن عن منكر فعلوه لبئس ما كانوا يفعلون"

«Ceux des enfants d’Israël qui n’avaient pas cru ont été maudits par la bouche de Dâwud (David) et Isâ fils de Marie (Jésus fils de marie), parce qu’ils désobéissaient et transgressaient. Ils ne s’interdisaient, jamais, les uns aux autres, les choses blâmables qu’ils faisaient, misérables étaient leurs actions.» (sourate Al-Mâ’idah verset 78-79)

La malédiction est tombée sur eux non pas en raison de leur appartenance sociale, mais parce qu’ils n’avaient pas cru et parce qu’ils faisaient valoir le faux sur le vrai. Par analogie toute communauté humaine qui commet les mêmes faits reprochables devrait bien craindre que cette malédiction ne l’atteigne.

Oumar MOHAMED MOCTAR ELHAJ



Source : Oumar MOHAMED MOCTAR ELHAJ

Mercredi 17 Octobre 2018
Boolumbal Boolumbal
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