Cinquante ans de sépultures à identifier: Les morts inquiètent les vivants



Cinquante ans de sépultures à identifier: Les morts inquiètent les vivants
.La décision prise par les Autorités publiques de fouiller dans le passé peu glorieux du registre des droits de l’homme en Mauritanie, tout au long des cinquante ans d’existence du pays, divise l’opinion publique nationale.

Cette question d’identification des tombes des victimes de l’arbitraire, jugée sensible, compte en effet ses détracteurs qui craignent un dérapage dangereux pour la cohésion nationale, mais aussi ses supporters qui pensent ainsi fermer définitivement le dossier du Passif humanitaire ainsi que ses sceptiques qui croient peu à la sincérité d’une telle démarche.

Déjà, une crainte latente, que la boîte à pandore, qui vient d’être ouverte, laisse échapper les démons de la division ethnique et de la haine ressuscitée, plane sur les citoyens lambda qui estiment qu’on devait laisser les morts tranquilles pour assurer la quiétude des vivants.

Le ministre des Affaires Islamiques, M.Ahmed Ould Neini vient de déclarer solennellement, le 18 mai 2011, avoir été chargé par le président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz de procéder à l’identification des sites des victimes de disparitions forcées, d’exécutions extrajudiciaires ou de procès peu équitables de 1960 à nos jours.

Ce sont des milliers de personnes qui seraient ainsi concernées, si on ajoute aux militaires et civils tués dans les années 89-91, les soldats morts dans les camps du Polisario pendant la guerre du Sahara, et dont les proches, regroupés au sein de l’Association "Mémoire et Justice", viennent de réclamer les mêmes faveurs dans un communiqué de presse. Le chantier ainsi ouvert risque de déborder largement sur le mandat de Mohamed Ould Abdel Aziz qui s’achève en 2014.

L’organisation antiesclavagiste IRA (Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste) a été la première à réagir. Elle estime que cette décision du régime actuel n’est " qu’une vaine tentative de couper l’herbe sous ses pieds, tout en essayant de travestir la vérité sur les exactions commises durant les années de braise ".

En effet, elle rappelle que cette décision survient paradoxalement deux jours après l’appel lancé par son président Birame Ould Dah Ould Abeid qui avait annoncé lors d’une conférence de presse tenue le 16 mai dernier qu’il braquera les projecteurs du monde entier, les 27 et 28 novembre 2011, sur la ville d’Inal, lieu où eut lieu dans la nuit du 28 novembre 1991 l’exécution sans procès de 28 soldats Halpular, assassinés sur l’autel du Racisme d’Etat.

Selon l’IRA, " cette histoire d’identification ne serait qu’une malicieuse tentative de récupération en vue de saborder son initiative tout en protégeant les auteurs de ces exactions, encore tapis dans les rouages de l’appareil militaro-administratifs du pays ". L’organisation antiesclavagiste a publié un communiqué dans lequel elle exige l’identification des auteurs des crimes de droits humains commis en Mauritanie, leur arrestation et leur traduction devant les juridictions.

La recherche de la vérité, l’application des sanctions et l’octroi de réparations aux ayants-droits, doivent seuls, selon IRA, sous-tendre l’action envisagée. Enfin, l’organisation exige que les victimes soient réhabilitées au rang de Martyrs de la Nation.

Le geste de Mohamed Ould Abdel Aziz a toutefois reçu l’onguent de l’imam Ould Habibourrahmane, qui lors de sa Khoutba de vendredi dernier a qualifié l’opération envisagée de licite, car elle contribuerait, selon lui, à consolider l’unité nationale.

Ce qui est sûr, c’est que le sort des 500 noirs, morts d’une manière dramatique entre 1991 et 1992, ajoutés aux victimes des pogroms de 1989 dont plusieurs jetés dans des fosses communes, dont celle de Sori-Malé, ainsi que le sort d’officiers exécutés après un procès sommaire en 1981 suite à un coup d’Etat manqué contre Ould Haïdalla, et d’autres encore, alimentent déjà la polémique et font planer sur le pays une sorte de psychose indéfinie.

Elle marque l’échec d’une tentative hâtive d’enterrer le passif humanitaire entre deux Rakaas symboliquement exécutés en 2010 à Kaédi. Ainsi, pour ceux qui croyaient encore que la douleur de milliers de personnes tout au long des cinquante ans, voire plus, de la Mauritanie pouvait s’effacer en deux génuflexions, le rappel à l’amère réalité ne pouvait être que dur.

En fait, la question du Passif Humanitaire de la Mauritanie qui remonte encore bien loin au-delà des années 80-90, conserve tout son caractère sensible tant les douleurs qu’elle enferme restent à fleur de peau et peuvent menacer la quiétude et la stabilité du pays à tout instant. D’où l’urgence d’une thérapie de groupes pour en contenir les déflagrations.

C’est dans ce cadre que la question mérite un débat franc et participatif où tous les acteurs nationaux doivent être associés, loin du monopole que le gouvernement veut en faire. Il s’agira de traiter cette opération envisagée avec bonne foi, loin des manipulations à visées ethnicistes ou idéologiques, loin du calcul des politiciens et des chauvins.

La décision est tout à la fois importante et dangereuse, source de joie mais aussi de douleur, eu égard notamment au contexte politique, économique et sociale dans lequel elle survient

Toute la question aujourd’hui est de savoir comment gérer cette décision sans égratigner le corps social. D’autres pays plus peuplés, plus éclatés en terme de compositions ethniques et linguistiques, avec un passé encore plus sanguinaire que la Mauritanie, ont pourtant réussi le passage, entre leur passé douloureux et leur présent rayonnant. Pourquoi pas nous ?

Il appartient au gouvernement de prendre toutes ses responsabilités en levant le monopole sur le traitement de cette question, en associant l’ensemble des acteurs nationaux dans son exécution et son suivi, tout en conviant les organisations internationales des droits de l’Homme imbues des réalités mauritaniennes, la Ligue Arabe, la Conférence Islamique, l’Unité Africaine, les organisations onusiennes des droits de l’Homme à apporter leur expertise et leur savoir-faire dans la gestion des conflits, afin que la Mauritanie puisse surmonter cette terrible épreuve sans trop de mal.

Cheikh Aïdara


Source : L'Authentique (Mauritanie) via cridem

Lundi 23 Mai 2011
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