BCM : Affaire, Justice, politique… et religion



BCM : Affaire, Justice, politique… et religion
Finalement, l'affaire dite de la BCM (Banque Centrale de Mauritanie) n'est pas arrivée à son terme. Ou plutôt si ! C'est un retour à la table des négociations - terme qui a des relents politiques évidents - qui a permis aux hommes d'affaires et à la Banque de trouver un terrain d'entente.

Menées tambour battant et en solo par l'érudit Cheikh Mohamed El Hacen Ould Dedew, les négociations ont abouti à nouvel Accord qui permis aux différentes parties de sauver la face. A la BCM de recouvrer son dû (puisqu'elle parle de montants sortis de ses caisses de manière frauduleuse) et aux hommes d'affaires de ne pas payer la totalité des " intérêts " fixés par la banque sur ce qui, à leurs yeux, n'était pas un prêt mais tout simplement une subvention.

Ce qui intéresse dans l’affaire dite de la BCM, c'est le fait que ce dénouement a pris de court tous ceux qui s'attendaient à un procès retentissant, le pouvoir ayant crié haut et fort que l'affaire étant maintenant devant la justice et que c'était à celle-ci de trancher ! L'initiative du Cheikh Mohamed El Hacen Ould Dedew était partie, il y a un peu plus d'une semaine, pour connaître le sort de tant d'autres tentatives d'hommes politiques, de groupes tribaux, de pays amis et de parlementaires pour fléchir la position du pouvoir dans ce qui était considéré par nombre d'observateurs comme le prolongement des rivalités politiques entre le nouveau président de la République et un groupe d'hommes d'affaires (parents de l'ancien président Taya) ayant choisi de soutenir la candidature de son challenger, en juillet 2009, Ahmed Ould Daddah. Ainsi, l'affaire de la BCM qui éclata le 11 novembre 2009, ne s'inscrirait nullement dans le contexte et la mode en vogue de la lutte contre la gabegie. Elle rappelle un autre fait, l'arrestation de l'ex-Premier ministre, Yahya Ould Ahmed Waghef, dans une autre affaire (Air Mauritanie) et les marchandages qui avaient conduit alors à sa libération (Accord de Dakar).


Fin d'année mouvementée

L'affaire dite de la BCM éclate au grand jour le 11 novembre 2009, quand Sid'El Moctar Ould Nagi, un ancien gouverneur de la Banque Centrale de Mauritanie a été arrêté par la Brigade de répression des crimes économiques. Plusieurs fois ministre, ancien commissaire aux droits de l'homme, Ould Nagi appartient à l'ère Maaouiya Ould Taya (1984-2005), pendant le règne duquel s'est mis en place un système de corruption, de clientélisme - notamment dans l'attribution des marchés - et de détournement des deniers publics.

On lui reproche alors d'avoir procédé à des virements illicites à l'époque où il dirigeait la BCM, en 2001 et 2002. Le montant total des opérations frauduleuses s'élèverait à 12 milliards d'ouguiyas (31 millions d'euros). Des banques de la place de Nouakchott sont considérées comme les destinataires des virements. Leurs patrons ont été entendus comme témoins. Ould Nagi est écroué, une semaine plus tard (le 19 novembre) à la prison de Nouakchott.

L'enquête qu'on pensait devoir créer un " effet domino " s'arrête, cependant, à quelques patrons de banques primaires sommés par la BCM de rembourser les montants décaissés en leur faveur. Certains s'exécutent, d'autres rechignent, jugeant l'affaire d'un angle plutôt politique, aux relents évidents de règlements de compte. Pourtant, le 29 novembre 2009, un accord est trouvé entre la BCM et les trois hommes d'affaires qui n'ont pas accepté de débourser sans savoir d'abord au nom de quoi et pourquoi la Banque centrale leur réclame des " intérêts " non convenus au moment des transferts. Une ardoise salée qui allait alléger les caisses des banques visées par la procédure de quelque 10.000.000.000 d'ouguiyas ! Même si cela devait s'étaler sur plusieurs traites, les groupes devaient nécessairement ressentir le coup. Que dire alors quand, à leur grande surprise, ils voient la BCM revenir sur l'accord et majorer le montant réclamé d'intérêts qui portent la somme à 15 milliards d'UM ? Poussés dans leurs derniers retranchements, ils sursoient à l'accord et se retrouvent, sans l'avoir cherché, à la prison. Ils y resteront plus d'un mois malgré toutes les tentatives de règlement de l'affaire à l'amiable : celle de personnalités de l'Adrar, du président de l'Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, de pays amis, dit-on, et de parlementaires de la Majorité. Finalement, c'est le Cheikh Mohamed El Hacen Ould Dedew qui, au bout d'une semaine d'intenses tractations, a réussi à régler cette affaire. Mais comment ?


Ne pas perdre la face

Des hauts fonctionnaires relevés de leurs fonctions, d'autres arrêtés et emprisonnés. Et puis, l'arrestation de ces gros bonnets de l'économie et de la finance ! Depuis son élection, le président Mohamed Ould Abdel Aziz veut démontrer qu'il lutte contre la corruption. Mais ses méthodes ne font pas l'unanimité.

Le 19 novembre, Zeini Ould Mohamed El Hadi, Directeur du Budget et frère aîné d'un député de la Majorité qui a soutenu énergiquement le mouvement de " Rectification ", a été " relevé de ses fonctions ". On commence alors à se poser des questions : la lutte contre la gabegie est-elle réelle ou s'agit-il d'un " sacrifice " pour faire croire à la Cause ? La question reste posée, puisque, dans le communiqué du Conseil des ministres, l'annonce de ce limogeage - et de tant d'autres - tient en une phrase lapidaire. Aucune explication n'est avancée. Seul le ministre des Finances, Kane Ousmane, ose une explication : " Ce ne sont pas seulement des mots ", déclare le ministre des Finances. Et la plupart des personnes visées travaillent dans la haute fonction publique, une belle situation qui permet de s'enrichir avec les deniers de l'État sans grands risques. À la direction du Budget, il y a eu des fautes de gestion, poursuit Ousmane Kane. Des fautes, pas des erreurs. "

Le chef de l'État est-il résolu à faire le grand ménage, comme il l'avait promis durant sa campagne quand il a accusé les " gabegistes " et les " prévaricateurs " d'avoir conduit la Mauritanie à sa perte ? Au gouvernement, on explique que cette chasse à l'homme est menée au nom de la lutte contre la corruption.

C'est le seul moyen - sinon le mieux indiqué - pour que Mohamed Ould Abdel Aziz entretienne le mythe, ou la réalité, c'est selon, du " président des pauvres ". Pour autant, l'opération mains propres ne fait pas l'unanimité. L'absence de communication sur les raisons des limogeages et des arrestations ne favorise pas la transparence. Aucune campagne de "nettoyage" n'a été officiellement lancée. "On dirait que c'est le fait du prince", estime un homme d'affaires. D'autres soulignent que les proches de l'opposition paient un plus lourd tribut. "Une opération mains propres doit être menée en toute transparence, s'insurge Mohamed Ould Maouloud, président de l'Union des forces de progrès (UFP), dans l'opposition. Il ne faut pas combattre un mal par un autre."

En acceptant le compromis avec les hommes d'affaires, grâce à l'intervention d'un érudit qui fait autorité en matière de religion, ici et ailleurs, c'est certainement l'Etat qui gagne. Il évite ainsi d'ouvrir la boîte de Pandore qui aurait conduit, inévitablement, au déballage d'affaires anciennes et nouvelles révélant au grand jour les comptes et mécomptes de la BCM, depuis l'ère Taya à nos jours. Surtout que les trois hommes d'affaires allaient être défendus par une "belle brochette d'avocats représentant la crème du barreau de Nouakchott au sein duquel on retrouve maîtres Brahim Ould Ebetty, Mahfoudh Ould Bettah, ex-ministre de la Justice et ancien bâtonnier pendant plus de 10 ans, Yakoub Diallo, ancien bâtonnier, le professeur Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Salah…Mais aussi un vieux routier du barreau de Paris, maître Mario Stasi, présent dans les prétoires depuis une cinquantaine d'années, ex-bâtonnier et actuel Secrétaire Général de la Fédération Internationale des Barreaux de Tradition Juridique Commune", note le célèbre hebdomadaire Jeune Afrique.

On s'attendait donc, à une belle bataille judiciaire dans une affaire aux relents politiques, tribaux et économiques de plus en plus affichés. Surtout depuis que le Président de la République, repris par le ministre des Finances, celui de la Communication et le Gouverneur de la Banque centrale, lors d'une conférence de presse, tenue le 25 décembre dernier, avait déclaré que l'affaire relève purement des compétences de la justice ! Les parents et sympathisants des hommes d'affaires n'avaient cessé alors de souligner la "prise de position" tranchée du Chef de l'Etat lors de sa visite à l'hôpital Cheikh Zayed, et la remise en cause de l'accord initial, le 30 novembre 2009, que le collectif de défense des hommes d'affaires lui attribuait également. C'est partant de cette controverse, que d'aucuns se sont demandés si la justice mauritanienne est réellement indépendante ! Une question qui reste posée avec l'intervention d'un religieux, après celles de politiques, pour empêcher hommes d'affaires et BCM d'en découdre devant les tribunaux.


Source : L'authentique

Jeudi 7 Janvier 2010
Boolumbal Boolumbal
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