A propos des accents en pulaar par Pr. Aboubacry Moussa LAM

Dans une petite contribution en pulaar (faite dans Jamaa, 12/9/2012), nous avions dit que le couscous pouvait se manger sans ou avec du lait mais qu’à notre avis, il était beaucoup plus agréable de le manger avec du lait.
Les accents sont à l’orthographe du pulaar ce que le lait est au couscous. Dans la contribution attachée à ce courriel, nous donnons les raisons pour lesquelles nous militons pour l’usage des accents dans l’orthographe du pulaar, en réaction à une contribution de Fary Ka (Jamaa, 19/9/2012) qui va dans le sens contraire.
Ainsi, avec nos deux contributions, tous les amateurs de couscous pourront choisir, après analyse des arguments de l'un et de l'autre, de le manger avec ou sans lait. Mais que ceux qui choisiront de le manger sans lait sachent qu’ils le feront contre les intérêts bien compris de leur gorge et de leur palais !

Dakar le 16/11/2012
Pr. Aboubacry Moussa LAM



A propos des accents en pulaar par Pr. Aboubacry Moussa LAM
COMMENTAIRES SUR LA CONTRIBUTION DE FARY KA

Ce texte est une contribution en réaction à celle récente de Fary Ka sur l’usage des accents en pulaar. C’est le lieu de préciser que nos remarques sur l’orthographe du pulaar ne portent pas seulement sur les accents mais comme Fary a choisi de ne parler que des accents, nous n’aborderons que ce point et prions ceux qui veulent avoir l’ensemble de notre point de vue de se reporter à notre livre, Fulɓe. Gila Héli-e-Yooyo haa Fuuta-Tooro, annexes, p. 229-249. Étant sans doute à l’origine de la relance du débat sur l’orthographe du pulaar, suite à la sortie récente de notre livre Fulɓe. Gila Héli-e-Yooyo haa Fuuta-Tooro et à l’émission que lui a consacrée Hamet Ly sur la 2S TV, notre devoir était naturellement de réagir. Dès l’entame de notre texte, nous féliciterons Fary Ka d’avoir été clair et précis dans sa contribution. Cela nous permettra à notre tour de donner des faits clairs et précis et c’est le débat scientifique qui y gagnera sans aucun doute. Fary Ka a écrit dans une contribution datée du 19/09/2012 et que nous avons pu lire sur Jamaa : jamaa@tabitalpulaaku-international.org « SUR L’USAGE D’ACCENTS EN FULFULDE Ce problème a surgi à cause de la différence de réalisation phonétique des voyelles moyennes du fulfulde, e et o, selon l’environnement phonique. Ce qui a pu faire penser à la nécessité de noter ces différences de réalisation, entièrement conditionnées, donc inutiles à noter. C’est une simple question de phonétique combinatoire. Le changement de timbre de ces voyelles est dû au principe de l’harmonie vocalique qui caractérise le système vocalique de la langue. Il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un chat comme dirait l’autre. De quoi s’agit-il ? Tout le monde sait qu’au niveau de la description primaire d’une langue, pour établir son alphabet d’abord, les linguistes ont tout un outillage de description et de discrimination leur permettant de proposer que tel son soit retenu comme pouvant représenter une lettre de l’alphabet parce que différent de TOUS les autres sons de la langue, ou que tel son et tel autre peuvent être représentés par le même signe (lettre de l’alphabet) parce que ce sont des variantes contextuelles. L’un des modes les plus simples, les plus classiques sans doute, est l’établissement de paires minimales de mots (deux mots) dont la différence de sens ne réside que dans une seule différence de son. Ainsi par exemple, en fulfulde, l’existence d’une paire comme paali/baali « gourdes/moutons » commande qu’on retienne p et b comme des lettres distinctes, donc à représenter par des lettres différentes à l’écriture. Mais l’arabe par exemple, qui n’a pas de p écrira partout « ب » aussi bien pour Paris que pour Bagdad. Ce sont des paires minimales, comme l’exemple ci-dessus, qui permettent de retenir que telle distinction est pertinente, donc commande des signes différents, ou que telle autre ne l’est pas et ne nécessite pas donc de signes différents : horde/hoorde « tarir/jeûner » montre que la longueur des voyelles est pertinente en fulfulde. Donc, il faut distinguer les voyelles brèves (représentées par une seule voyelle) des voyelles longues (représentées par le redoublement de la voyelle). De même, des cas comme gude/gudde « pagnes/trous » indique la pertinence de la gémination en fulfulde, etc. En wolof, en revanche, des paires comme réer (prononcé [re:r]) / reer (prononcé [rɛ:r]) « s’égarer/dîner », ou góor (prononcé [go:r]) /goor (prononcé [gɔ:r]) « homme / couché (animal) » indiquent clairement que le trait d’aperture (le fait d’être plus ± ouvert ou ± ATR), donc la différence de prononciation des voyelles moyennes e et o en fermées et ouvertes est rigoureusement pertinente. Donc on notera nécessairement de façon distincte les e fermé /é/ et ouvert /e/, ainsi que les o fermé /ó/ et ouvert /o/. C’est effectivement ce que fait le wolof. Mais en fulfulde, tous dialectes déjà connus confondus, une telle paire où la différence de sens entre les deux mots est due seulement à une différence d’ouverture des voyelles e ou o n’existe pas. Du moins pas à notre connaissance. Si quelqu’un en trouve, qu’il ait la gentillesse de nous le signaler et nous tous, qui avons été à l’origine des propositions d’orthographe du fulfulde, nous en élargirions l’horizon de nos connaissances en reconnaissant humblement les limites de nos compétences [ ...] » Commentaire :

Tout ce discours sur la technique de différenciation des sons d’une langue qui permet d’en fixer l’alphabet est certes intéressant mais ne réglera certainement pas, comme semble le croire Fary, le problème de l’orthographe du pulaar qui est malheureusement une question beaucoup plus complexe. 1. En wolof, il n’ya pas que des termes fermés en paires avec des termes ouverts à être accentués comme le laisse supposer le texte de Fary. Voici quelques exemples : Jóg, ŋóót, póll, jigéén, kéwél, létt, ndékki, wér…Donc l’accentuation ne sert pas qu’à distinguer des paires. 2. Vu la place de l’oeil dans la lecture correcte d’une langue donnée, il nous semble inapproprié de vouloir établir les règles d’orthographe de celle-ci uniquement à partir du sens. Nous pensons qu’avant de recourir au sens, il faut d’abord épuiser les possibilités de l’oeil ; ce serait à la fois plus simple et plus commode pour celui qui lit, surtout quand celui-ci est, dans de nombreux cas, quelqu’un qui n’a appris à lire que de manière très sommaire (on oublie trop souvent que ceux qui lisent nos langues ne sont généralement ni des linguistes ni des érudits mais de simples néo-alphabétisés et qu’il y a donc lieu de leur faciliter les choses plutôt que de les astreindre à la maîtrise de règles hors de leur portée immédiate). C’est ce fétichisme du sens qui a conduit à la décision de fixer les règles d’orthographe des noms composés (en pulaar) à partir du seul sens, avec des règles trop compliquées pour les non initiés, alors qu’il était plus logique et moins compliqué de recourir à des traits d’union, l’avantage étant alors d’avoir une marque simple et visible, donc accessible au plus grand nombre surtout du point de vue orthographique : Laana-njóórndi (train) Cawél-kélli (sorte de serpent) Yiitere-ngaari (sorte de fruit) Fuuta-Tooro (nom d’une province traditionnelle) À l’argument d’une lecture plus facile, il faut ajouter que le choix qui semble être le nôtre, l’orthographe phonétique, va à l’encontre du recours à ces fameuses paires minimales auxquelles semblent tenir tant Fary et ses collègues linguistes. Ce type d’orthographe reposant sur la transcription des sons, il est plus logique d’écrire les termes tels qu’ils se prononcent effectivement dans le contexte où ils sont utilisés et de ne pas chercher à faire des économies qui risquent d’être des sources de confusion. Nous avons expliqué dans notre dernier livre, Fulɓe. Gila Héli-e-Yooyo haa Fuuta-Tooro (annexes) que ceux qui ont inventé l’écriture, les anciens Égyptiens, avaient choisi de faciliter la lecture plutôt que de faire dans l’économie des signes (voir citation suivante, tirée comme la première du texte de Fary) et ce choix reste toujours actuel et pertinent. « …Chacune de ces racines, que ce soit dans la conjugaison verbale ou ailleurs, verrait sa voyelle ouverte se prononcer fermée, si et seulement si la syllabe qui suit contient l’une des voyelles hautes i ou u ou alors les séquences –ol des classes nominales ngol/kol, ou encore -oy- (morphème du distanciatif) et –el de la classe de diminutif ngel dont les voyelles sont naturellement fermée (-ol et –el, du fait de la syllabe fermée, et –oy du fait de l’influence « fermente » de y qui est homorganique de i, voyelle haute1). Pour le reste voir l’article sur « L’harmonie vocalique en fulfulde » ci-joint en annexe et qui a été présenté comme contribution à la table Ronde de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (FLSH) de l’UCAD en juin 2011 et qui est à publier dans Senlangues. Exemple : A partir de moor- [mɔ:r] « coiffer (femme), on peut avoir : moor ! [mɔ:r] « Coiffe, tresse les cheveux ! » (Impératif) o mooriima [’ɔ mo:riima] ? «elle s’est coiffée ? » (ici le i qui suit ferme le o qui précède) alaa, o mooraaki. [ala:, ’ɔ mɔ:ra:ki] (ici le a qui suit « laisse ouvert » le o qui précède, qui l’est naturellement). Chacun peut s’amuser à décliner ou conjuguer ces verbes à l’envie, ou en dériver les noms qu’on veut, la règle reste immuable : ɛ /ɔ se réalisent e/o devant une syllabe contenant -i-, -u-, -ol-, -oy-, -el-. Partout ailleurs, ils restent ouverts (notamment devant une syllabe contenant –a-, -ɛ- ou -ɔ-). Ainsi donc, comme la réalisation est prévisible et conditionnée, et comme c’est la voyelle de la syllabe suivante qui change tout à la fois et le timbre de la voyelle moyenne et le sens du mot, la différence d’aperture n’est pas pertinente en fulfulde. Donc, il est inutile de la noter. En outre il est plus fondé, plus logique, plus économique de noter une seule forme de la voyelle. C’est ce qui a été retenu toujours et partout dans les propositions et pratiques d’orthographe harmonisée de la langue peule… » 1 Par contre, le o reste naturellement ouvert devant toutes les autres consonnes et en finale absolue.

Commentaire : Donc à en croire Fary, la fermeture de e/ee et o/oo dépend seulement de la présence dans la syllabe qui les suit de -i-, -u-, -ol-, -oy-, -el-. Si nous retrouvons des cas de fermeture ailleurs, cela voudra dire que la loi de Fary est incomplète, donc peu sûre pour l’orthographe du pulaar. Cette loi deviendra encore plus problématique si la fermeture s’accompagne de changement de sens. Dans la partie qui va suivre, nous allons essayer de trouver des cas de fermeture qui n’entrent pas dans le cadre tracé par Fary. Si on y parvenait, cela remettrait totalement en cause la validité de l’argument sur lequel repose le refus des accents en pulaar parce qu’il n’y aurait plus de prévisibilité totale de la fermeture. C’est dire que c’est sur le terrain qu’il a lui-même choisi que nous entendons prouver à Fary qu’il a tort. Annonçons dès maintenant que nos recherches ont été fructueuses, au-delà même de nos espérances : Nous commencerons par l’exemple qu’il donne lui-même. La conjugaison de moorde à l’impératif se décline comme suit : Moor ! [mɔ:r] (« resse ! ») Mooren ! [mɔ:ren] (« tressons ! ») Móóréé ! [mo:re:] (« tressez ! ») Ici móóréé est bien fermé et il n’y a pas l’ombre d’un -i- ou d’un -u- et ne parlons pas des autres séquences. La loi de Fary est donc inopérante puisqu’elle ne prévoit pas ce cas de figure. Pour être plus précis, tous les termes (fermés) à deux syllabes n’ayant pas de -i-, de -u- ou d’une des autres séquences listées dans leur seconde syllabe sont exclus du champ d’application de la loi de Fary. On peut trouver dans un texte, donc sans possibilité d’exploitation de l’intonation pour trancher : Sukundu : mooree haa yooɗa ! (imperatif : « les cheveux : tressez-les bellement ! ») ; Sukundu : mooree haa yooɗa ! (exclamation, auteur de l’acte indéterminé, c’est l’équivalent du « on » français : « les cheveux : on les tresse bellement ! »). Ici nous ne sommes pas loin de ce que Fary appelle une paire (mooree/mooree). Pour distinguer les deux « mooree », l’accent s’impose et évite ainsi un recours au contexte dont les résultats ne sont pas toujours garantis :

Sukundu : móóréé haa yooɗa ! (impératif) Sukundu : mooree haa yooɗa ! (exclamation) Pareillement, toujours en suivant la loi de Fary, on écrirait de la même manière Kelle poɓɓee mi weltoo ! (imperatif : « applaudissements éclatez et je suis content ! ») et Kelle poɓɓee mi weltoo ! (indétermination sur les auteurs : « on applaudit et je suis content ! »). Là également les accents nous tirent bien d’affaire : Kelle poɓɓéé mi weltoo ! (il n’a pas indétermination comme dans l’exemple précédent car l’ordre s’adresse à « kelle », personnifié ici). Kelle poɓɓee mi weltoo ! (c’est ici qu’il y a indétermination sur les auteurs). Suivant les règles orthographiques que défend Fary, l’impératif (2ème personne du pluriel) et l’indétermination (« on ») doivent s’écrire de la même manière. Les verbes comme seelde, féccude, feecde, sakkude, sékkude, sukkude, falde, fewde, tékkude, et bien de nombreux autres encore, présenteront alors des paires qui pourraient être confondues sans les accents : Cééléé /ceelee, péccéé/peccee, péécéé/peecee, cakkéé/cakkee, cékkéé/cekkee, cukkéé/cukkee, paléé/palee, péwéé/pewee, tékkéé/tekkee. Donnons un exemple avec le dernier verbe, tékkude : Tekke tékkéé, ndoondoɗon looɗe ! (impératif) : « préparez des coussins et portez des canaris ! » Tekke tekkee, ndoondoɗon looɗe (indétermination : « on prépare des coussins et vous portez des canaris » Donc contrairement à ce qu’affirme Fary, il y a bien des cas de fermeture que sa loi n’explique pas et une différence de sens même si on reste dans le même univers sémantique (il y a en effet une différence entre l’impératif et l’indétermination de l’acteur bien qu’il s’agisse du même verbe : tékkéé et tekkee. Si nous quittons les verbes pour les noms, nous constatons également l’existence de cas de fermeture en dehors de ceux théorisés par Fary et parfois même celle de paires avec différence totale de sens : 1. Noms de personnes
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a. Prénoms Cammbéé (prénom d’homme) Daréé (prénom d’homme ; fait paire avec daree de daraade : « rester debout ») Démmbéé (prénom d’homme) Hamméé (prénom d’homme) Kadéé (prénom de femme) Kumbéé (prénom de femme) Siréé (prénom d’homme ; fait paire avec siree : « prélever de l’écorce », « détacher de », « soustraire de ») Siiséé (nom ; fait paire avec siisee : « dédaigné », « repoussé ») b. Noms Bééy (nom de famille) Géy (nom de famille) Jééy (nom de famille) Léy (nom de famille) Séy (nom de famille) Jóóp (nom de famille) Lóó ou Lóh (nom de famille ; fait paire avec loo/loh de loode/lohde: impératif, « éliminer les herbes aquatiques d’un champ sous l’eau de l’inondation » ou « manquer de vigueur, de force », autres sens. Mbóóc (nom de famille) 2. Hypocoristiques et autres Acóó (surnom de quelqu’un que nous avons connu) Aysóó prénom de femme) Démmbóó (prénom d’homme) Gayóó (nom d’un défluent du Sénégal) Guysilóó (surnom d’homme) Jibóó (hypocoristique de Jibi) Kajjóó (hypocoristique de Kajji) Kummbóó (hypocoristique de Kummba) Mayyóó (hypocoristique de May) Muntóó (hypocoristique de Muntagaa) Salóó (surnom d’homme) Takkóó (hypocoristique de Takko) Taanóó (hypocoristique d’homme ou de femme signifiant « mon grand-père » ou « ma grand-mère ») 3. Noms communs Gééw (« acrobaties et danses d’un lutteur », entre autres sens) Kééw (attaque dirigée contre quelqu’un par des gens en surnombre) ; fait paire avec keew (verbe heewde construit : « sont nombreux ») Tééw (« viande ») Dééy « (aparté ») ; fait paire avec deey ! (impératif : « prends en aparté ! ») Jéy (corbeau) ; fait paire avec jey ! (impératif : « sois propriétaire de ») 4. Noms communs (suite) Bóy « (chacal ») ; fait paire avec boy (impératif qui renvoie à une bonne prise de feu de charbons dans un fourneau : « fuurna boy bóy juɗee ! » ; fourneau prends bien feu et le chacal sera grillé !) Cóólóó (sorte de troubadour qui anime certains événements et fêtes au Fuuta-Tooro) Ców (« boeuf porteur ») ; fait paire avec cow (forme construite du verbe sowde : « ils/elles… plient » Góó (un) Jiiróó (ruée en groupe sur quelque chose en vue de s’en approprier individuellement) Wóóróó (expression exclamative marquant la grandeur) Dów (« haut », « dessus ») 5. Noms composés Hééróó-gummbóó (jeu pratiqué dans l’eau) Ñaagóó-ñaagóó (sorte de troubadour qui anime certains événements et fêtes) Séppóó-jólóó (mouvement rapide et convergent vers un endroit) Taara-yirillóó (tourner autour de quelque chose) Yiilóó-baŋngóó (tourner autour de soi-même) Comme on le voit, il s’agit essentiellement de noms de personnes (1 et 2) parmi lesquels de nombreux hypocoristiques (noms à connotation affective tendre) mais aussi de noms communs (3-5) dont les derniers (5) sont des noms composés. Il y a lieu de constater que le oo, en finale absolue, est fermé contrairement à ce que prévoit Fary dans sa note infrapaginale 1. La loi de Fary n’englobe pas tous ces cas où la fermeture est indiscutable et où, comme on le voit, les accents sont bien nécessaires pour une prononciation correcte des termes. Quant aux paires, on voit qu’elles existent bel et bien en pulaar ; il reste à vérifier s’il y en a moins qu’en wolof. En plus de celles déjà indiquées ci-dessus, nous pouvons ajouter ces deux dernières : Féw (« du tout » dans le pulaar de Fuuta-Jaloŋ) et few (impératif : « sois en gestation » dans le pulaar du Fuuta-Tooro) ; Jééjéé (« abri de chasse ») et jeejee (« soupçonné »). La morale de tout cela est que ceux qui écrivent dans la langue peuvent voir des choses que les « techniciens » ne voient pas toujours du fait que les premiers ont naturellement plus de chances de mieux la connaître. En conclusion, force est de constater que la loi de Fary est loin de résoudre le problème des accents en pulaar. Il apparaît clairement ici que les règles orthographiques de cette langue ont été établies, dans ce domaine (et dans bien d’autres), sans la prise en compte de tous les problèmes susceptibles de se poser. Cela s’expliquerait vraisemblablement par l’absence d’un travail d’équipe qui aurait pu mettre à contribution toutes les compétences disponibles : pas seulement les linguistes mais aussi et surtout ceux qui écrivent dans la langue et qui peuvent voir des choses que les autres ne soupçonnent même pas ! Les académiciens du pulaar au Sénégal n’ont jamais été associés à quoi que ce soit (à notre connaissance) ; et qu’on ne vienne surtout pas nous parler de la léthargie bien connue de cette structure car, dès l’instant que ses membres ont été choisis, on aurait pu les associer aux grandes décisions concernant le pulaar malgré l’immobilisme de l’instance. Cela devait être dit car ce sont les décrets sénégalais qui ont visiblement servi de base aux choix de l’ACALAN (Académie africaine des langues de l’Union Africaine) pour l’orthographe du pulaar. Le « si et seulement si… » de Fary doit donc être sérieusement revu puisque, manifestement, il n’a pas été lancé après un tour complet et une analyse approfondie de la question ! Comme cela apparaît dans sa contribution, les accents ont été exclus, disons économisés pour reprendre son expression (en pulaar) parce que les artisans des lois orthographiques n’ont retenu que l’argument sémantique (qui s’avère erroné du reste). Réaffirmons qu’une telle approche est fort critiquable parce que l’orthographe d’une langue doit faire appel à de nombreuses autres choses et qu’en tout état de cause la part de l’oeil ne doit pas être oubliée comme c’est le cas ici, surtout si l’on sait que nos populations commencent seulement à sortir de l’illettrisme. Celles-ci ont donc besoin d’une lecture sûre parce qu’assistée par des accents plutôt que d’une économie graphique qui, à l’évidence, peut poser de réels problèmes au lecteur non averti comme, par exemple, un apprenant dont le pulaar n’est pas la langue maternelle. En tout cas les limites d’une telle approche sont manifestes ; c’est déjà le cas en restant dans le cadre des termes isolés comme le fait Fary mais cela est surtout vrai quand on entre dans le discours où de curieuses choses peuvent se produire : Yoo leɗɗe ƴeewe, ƴeewee barmééji kadi : « qu’on cherche du bois, qu’on cherche des marmites aussi » Yoo leɗɗe ƴeewe, ƴééwéé barmééji kadi ! : « qu’on cherche du bois, cherchez aussi des marmites ! » Avec les accents, nos yeux voient immédiatement qu’il s’agit d’un impératif qui s’adresse à ceux auxquels on parle alors que les commandements précédents sont impersonnels. Sans les accents, ces deux phrases seraient strictement identiques sur le plan orthographique alors que la seconde porte une légère nuance par rapport à la première, d’où une confusion possible. Ajoutons à cela qu’il y a plus de cohérence dans l’écriture car la différence entre les termes ouverts (ƴeewe et ƴeewee) et les termes fermés ( ƴééwéé et barmééji ) est visible grâce aux accents ; ce qui est beaucoup plus clair et donc meilleur pour le lecteur.

Si les propos de Fary (p. 3 de sa contribution) sont sincères, il y a lieu de tenir compte de nos remarques, aussi bien celles faites ici que celles couchées dans notre livre, Fulɓe. Gila Héli-e-Yooyo haa Fuuta-Tooro (annexes) et qui sont beaucoup plus larges. Celles-ci montrent en effet que l’argument de la prévisibilité de la fermeture sur lequel repose l’économie des accents est plus que problématique. Même s’il était solide, il ne suffirait pas à justifier de manière satisfaisante l’économie des accents mais ne ferait que révéler la vision étriquée qui a été celle des concepteurs des règles orthographiques du pulaar. Avec l’option d’une orthographe phonétique, il n’est pas raisonnable d’imposer d’écrire de la même manière un mot qui se réalise différemment en fonction de son environnement vocalique car l’harmonie entre la graphie et la réalisation qu’exige cette approche est remise en cause ipso facto. Si on veut persister dans cette contrainte, il faudra alors une autre approche orthographique. Les progrès de la recherche se trouvent dans le débat scientifique contradictoire et c’est cette conviction qui nous anime et rien d’autre. Tant qu’on peut améliorer l’orthographe du pulaar, dans le sens des besoins bien compris des usagers de cette langue plutôt que dans celui d’une vision « techniciste », il faut le faire et ne pas tenter de la figer pour des raisons plus subjectives que scientifiques. En effet notre texte aura montré que l’inexistence de paires (fermé/ouvert) en pulaar a été décrétée à la suite d’une analyse pour le moins incomplète et/ou superficielle de la part de nos théoriciens. Donc sur la question des accents qui en découle, il y a bien « de quoi fouetter un chat » sinon plus !

Pr. Aboubacry Moussa LAM Université Cheikh Anta Diop de Dakar

Samedi 17 Novembre 2012
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