Scène politique: Rentrée décalée



Scène politique: Rentrée décalée
Plus de six mois après l’élection présidentielle du 18 juillet 2009, marquée par la victoire, à plate couture, de l’ancien général Mohamed Ould Abdel Aziz, sur ses adversaires de l’opposition, grâce à l’accord de Dakar, la scène politique nationale est prise d’une animation subite. Profitant, opportunément, d’incroyables erreurs et, même, de quelques bourdes monumentales qui ont marqué la gestion judiciaire des affaires relatives à la lutte contre la gabegie ou la question du journaliste Hanevy Ould Dehah, avec, cerise sur le gâteau, la dernière session budgétaire du Parlement, la mouvance de l’opposition est sortie de son coma profond, reprenant goût à la vie.

Formation d’un nouveau cadre, la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD). Un nouvel acronyme qui fleure bon le marketing politique. Une structure organisationnelle dont l’opérationnalité, longtemps retardée par les petites querelles de préséance entre Messaoud Ould Boulkheir et Ahmed Ould Daddah, deux candidats malheureux à l’élection présidentielle, semble effective, si l’on en croit les déclarations et petites phrases prononcées à l’occasion de la conférence de presse de la mouvance, le mercredi 17 février dernier, dans l’après-midi.
Constatant le retour de l’adversaire politique sur le terrain, nouvelle donne suscitée par sa propre tendance à dormir sur les lauriers récents – la victoire lors la présidentielle de juillet dernier – la majorité parlementaire décide de reprendre l’initiative. C’est l’organisation du colloque: «quelle gouvernance pour la Mauritanie après 50 ans d’indépendance ?» et la volonté, affichée, de l’Union Pour la République (UPR), principale formation de la mouvance, de procéder à son implantation nationale.
Parallèlement à cette animation subite, assurée par des entités et acteurs politiques ressentant l’impérieuse nécessité de marquer leur présence, l’Europe des 27, partenaire stratégique de la Mauritanie dans tous les domaines vitaux, vient d’envoyer une mission parlementaire qui a séjourné, dans le pays, la semaine dernière, du 15 au 19 février. Histoire de pousser à un dialogue politique inclusif, afin de mieux ouvrir les grosses soupapes par lesquelles passent les financements des projets. Avec, comme référence, l’accord de Dakar, ce bréviaire dont les dispositions esquissaient l’esprit de plusieurs réformes, en vue de la poursuite du processus de démocratisation, pour une scène politique apaisée.
D’où coup, la scène politique semble s’incruster dans une rentrée tardive, décalée, partagée entre conflits et véritable débat d’idées pour débloquer la situation d’un pays toujours en panne, plusieurs mois après l’entrée en fonction du premier gouvernement de l’ère Mohamed Ould Abdel Aziz, investi de la légitimité des urnes.

Majorité en ordre de bataille
Les dix derniers jours ont été marqués par une intense activité au sein de la majorité présidentielle et parlementaire. Le président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz, seul maître à bord de la barque de la mouvance, a reçu, à deux reprises, l’instance dirigeante de l’UPR. Il s’agit de passer, rapidement, à la phase d’implantation des structures du nouveau «parti-Etat». Une perspective qui devrait permettre, aux différents responsables, de mesurer leur poids réel, sur le terrain. Nouvelle étape qui confirmera, ou non, la présomption positive dont les uns et les autres ont été crédités, au moment de la mise en place, plus par tâtonnement consensuel que par consultation élargie, de l’instance provisoire de direction du parti présidentiel.
Du coup, on assiste à une montée du taux d’adrénaline, avec celle des appétits. Ce qui explique les blocages apparus lors de la dernière réunion du bureau exécutif provisoire. Une tendance, sous la houlette de Mohamed Yahya Ould Horma, un proche du président de la République, serait opposée au leadership du président de l’UPR, Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Lemine. Des divergences qui n’auraient aucun fond et porteraient, uniquement, sur des querelles de personnes. Mais le blocage devrait s’incliner devant l’intervention du président de la République, qui remettra chacun à sa «véritable place», permettant la poursuite des préparatifs du processus d’implantation d’un grand parti, autour duquel de nombreux observateurs prévoient toute une série de conflits, pour des questions non pas idéologiques et de stratégie mais, simplement, des batailles de personnes, comme à la borne-fontaine.
Par ailleurs, le président Mohamed Ould Abdel Aziz a reçu, cette semaine, le rapport final contenant les conclusions et recommandations du colloque «quelle gouvernance pour la Mauritanie, après 50 ans d’indépendance ?». Un document remis au cours d’une audience accordée à plusieurs personnalités de la majorité (UPR) et autres, en fin de semaine dernière. Rappeler le contenu du rapport, où figurent plusieurs bonnes résolutions de nature à améliorer, considérablement, la gouvernance actuelle et l’administration de la Justice, dans une espèce de chaos sans fin, suffirait à montrer que la majorité est décidée à occuper le terrain, pour ne pas se laisser déborder par une opposition qui semble reprendre du poil de la bête.
Messaoud tire sur le pouvoir

Désireux de continuer à surfer sur la vague des difficultés où s’efforce de surnager le pouvoir, plusieurs mois après l’arrivée aux commandes du président de la République, un exercice qui semble lui servir d’exutoire, pour oublier ses propres déboires, la mouvance anti-Aziz a trouvé un cadre d’action, la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD). Une structure dont la présidence sera assurée, à tour de rôle, par les trois pôles composant l’opposition: le Front National pour la Défense de la Démocratie (FNDD), le Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD) et les autres (Alternative, RPM, etc.). Dépassement – définitif ou provisoire? – de la bataille de leadership, entre Messaoud Ould Boulkheir et Ahmed Ould Daddah?
En cet après-midi du mercredi 17 février, c’est le président de l’Union des Forces de Progrès (UFP), provisoire coordinateur consensuel, pendant la petite guerre de préséance Messaoud- Daddah, qui ouvre le bal. Il déplore le délitement de tous les acquis démocratiques par une «violation récurrente» des textes et même de la Constitution. Des agissements illustrés par les cas de l’ancien gouverneur de la Banque Centrale de Mauritanie (BCM) et de l’ancien président de la Cour Suprême, débarqués «pour avoir manifesté des velléités d’indépendance, malgré un mandat légal de 5 ans».
Profitant de la première rencontre avec la presse, à l’entame d’un nouveau mandat de trois mois à la tête du COD, le leader de l’APP, par ailleurs président de l’Assemblée nationale, a craché le feu sur le régime de Mohamed Ould Abdel Aziz, «champion de l’injustice».Cela en comparaison même au pouvoir de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya et à la transition, sous Ely Ould Mohamed Vall. Pour soutenir sa thèse, Messaoud parle «d’une absence totale de transparence dans l’attribution des marchés» qui vide, de tout contenu, le discours sur la lutte contre la gabegie, réduit, ainsi, une simple rhétorique.
Autre exemple de dérive, pour l’opposant, qui a totalement mis de côté sa casquette de président de l’Assemblée nationale, afin de se dédouaner de son devoir de réserve et en vertu du principe de la séparation des pouvoirs: l’appareil judiciaire «transformé en instrument de règlement de comptes», au mépris de toutes les valeurs républicaines. Démonstration, avec le traitement de l’affaire Air Mauritanie, dans laquelle des justiciables sont restés en détention après avoir bénéficié d’une décision de la Cour suprême ordonnant leur remise en liberté: «du jamais vu, dans le monde.» Il cite également l’affaire Hanevy, marquée par un «incroyable acharnement».
Autant de raisons qui justifient l’invitation à la mobilisation, adressée au peuple mauritanien, pour lutter contre une «dictature rampante». Mais, au-delà du feu nourri contre le pouvoir, le COD a réitéré son attachement au dialogue national inclusif, conformément à l’accord de Dakar et à la recommandation de l’Union Européenne (UE), partenaire stratégique de la Mauritanie.
Du côté de la majorité, on reste également attaché au dialogue, sans préciser, cependant, si celui-ci doit se faire dans le cadre de l’accord signé début juin dans la capitale sénégalaise. On se rappelle que la première invitation à ce genre d’exercice émana du camp présidentiel vers l’opposition qui la déclina, pour une question de forme. Les amis de Messaoud, Daddah, Maouloud et consorts.ne tenant pas à prendre part à un forum interne à la majorité, comme base de dialogue national. Il semble bien qu’aujourd’hui, c’est à l’opposition d’organiser son propre forum interne, en tirer recommandations et les médiatiser, le plus largement possible, avant que puisse se définir un cadre de dialogue inclusif. Est-ce envisageable et à quel terme?

Amadou Seck

Source: Calame

Jeudi 25 Février 2010
Boolumbal Boolumbal
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