Nouakchott-Paris : Qu’y a-t-il derrière la parade ?



Nouakchott-Paris : Qu’y a-t-il derrière la parade ?
Quand le Président Mohamed Ould Abdel Aziz quitte Nouakchott pour se rendre à Paris où il doit, aux côtés de ses pairs africains, assister aux festivités marquant le 14 juillet de cette année, la scène politique mauritanienne est en pleine effervescence.

D’une part, le bouillonnement provoqué par sa rencontre avec le président actuel de la coordination de l’opposition démocratique, rencontre qui ouvre larges les portes du dialogue. D’autre part, la campagne lancée par l’opposition contre les positions de la France et qui s’est traduite par un communiqué virulent commentant des propos de Bernard Kouchner et une intervention du président de l’Assemblée Messaoud Ould Boulkheir devant les parlementaires africains.

D’ailleurs la COD invitait le public à une conférence sur le thème des relations franco-mauritaniennes tout au long des cinquante dernières années. L’occasion de fustiger les positions françaises et de lui faire porter la responsabilité de tous les malheurs de ce pays.

«Facile, nous dit un diplomate français. Mais si nous voulions polémiquer, il suffirait pour nous de comparer les communiqués du RFD par exemple et ceux de la France pour savoir qui a soutenu et qui a légitimé quoi…» C’est que l’opposition croit – ou feint de croire – que si l’aboutissement de a crise a été heureux pour Ould Abdel Aziz, ce serait parce qu’il a bénéficié du concours «occulte» de la France de Sarkozy.

Le voyage du Président Ould Abdel Aziz intervenait aussi à un moment où Al Qaeda pour un Maghreb Islamique (AQMI) venait de lancer ce qu’elle considère être un dernier ultimatum pour libérer certains de ses militants en contrepartie de la vie de l’otage français qu’elle détient depuis quelques mois. Dans son intervention du 13 juillet sur les chaînes publiques françaises, le Président Sarkozy déclarait avoir plus d’inquiétude pour cet otage-là que pour les deux journalistes retenus en Afghanistan.

Ce sujet ne pouvait donc être évité pendant le séjour en France du président mauritanien. Surtout que deux autres chefs d’Etats concernés se trouvaient là en même temps : les présidents du Mali et du Burkina qui jouent tous deux des rôles de négociateurs indirects. Officiellement, il n’a pas été dit qu’il en fut question. En tout cas pas lors du déjeuner offert, la veille du défilé, par le Président Sarkozy à ses treize invités africains. C’est lors de ce déjeuner qu’il annonça la mise à niveau des traitements des anciens combattants et qu’il s’expliqua sur les raisons réelles de l’invitation des anciennes colonies à parader sur les Champs-Elysées… Pas question de l’otage de AQMI.

On peut cependant spéculer sur les raisons d’un entretien qui a eu lieu juste avant le défilé militaire entre les présidents mauritanien et français. Que se sont-ils dit pendant une quinzaine de minutes de tête-à-tête ? Personne ne sait. On a seulement parlé d’une «visite privée de courtoisie». Pas plus.

C’est bien à cause de cette entrevue que le Président Ould Abdel Aziz a été le dernier à arriver à la tribune officielle. Bénéficiant quand même des mêmes traitements à l’accueil que ses pairs dont le premier à venir fut Ali Bongo du Gabon. Ce jour-là, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz avait toutes les raisons d’être fier de la participation militaire mauritanienne au défilé. Un détachement de quelques vingt éléments, avec un groupe de neuf habillés à la mode du Groupement Nomade (GN), mélangeant le blanc et le «bleu turquoise» comme aiment à répéter les reporters des télévisions françaises. Le groupe mauritanien, contrairement à certains autres, ne perdra pas le pas. Avec les Amazones du Bénin, les mauritaniens ont certainement été les plus remarqués pendant ce défilé.

Si Paris a souhaité montrer sa reconnaissance envers les soldats des anciennes colonies qui se sont battus pour la France, en invitant leurs armées à parader sur les Champs-Elysées, cela n’a pas été du goût de tout le monde. Pour certains, l'ancienne puissance tutélaire fêtant les indépendances de ses ex-colonies, c'est un symbole embarrassant, comme l'explique Pierre Kipré, ambassadeur de Côte d'Ivoire à Paris (et dont le président, Laurent Gbagbo, a préféré boycotter les cérémonies). «C'est notre anniversaire. Nous le fêtons à la maison ! Chez nous ! Nous ne voyons pas bien les raisons profondes de cette volonté de fêter le cinquantenaire d'états indépendants en France. C'est une initiative très ambigüe. Pourquoi est-ce uniquement un groupe de pays, surtout après qu'il y a eu ce sommet Afrique-France où il y avait tous les Etats africains. Si c'est la francophonie qu'on fête, qu'on nous le dise. Mais la francophonie n'a pas 50 ans.»
En plus, quelques 75 organisations françaises et africaines ont fait campagne contre ce défilé. En plein tour de France, elles ont organisé une course cycliste contre la «Françafrique» entre Paris et Lyon, une manifestation et même un bal mardi soir. Ces ONG accusent Paris d'avoir invité des criminels de guerre et d'entretenir le réseau de la «Françafrique». Patrick Farbiaz, membre du réseau Sortir du colonialisme cité par RFI, critique l’initiative présidentielle : «Ce qui se passe le 14 juillet est un défilé de la honte. Parce que défilent et regardent dans les tribunes, des gens qui ont participé à des massacres. Ce qui est intéressant dans le cas du Congo-Brazzaville, c'est qu'il ne s'agit même pas de troupes, mais des milices Cobra qui ont sauvé le régime de Sassou Nguesso en 1997. Ce sont aussi les troupes tchadiennes, où il y a des milliers d'enfants-soldats, ce sont aussi les troupes togolaises qui en 2005 ont participé à l'arrivée au pouvoir de Faure Gnassimbé et qui ont massacré plus de 500 personnes, etc, etc. C'est absolument intolérable.»

L’occasion de polémiques politiques franco-françaises : «La commémoration des indépendances africaines pouvait représenter un moment de refondation pour les relations entre la France et l'Afrique», a estimé le Parti Socialiste français. Mais «cette occasion est gâchée par un message brouillé : ambiguïté du choix d'un défilé militaire pour la commémoration, doutes sur les armées qui vont défiler...».

En réponse à ces critiques, Nicolas Sarkozy a longuement plaidé la "spécificité" des liens franco-africains. "Je sais bien tout ce que la notion de 'relations privilégiées', de 'relations spéciales', charrie de soupçons et fantasmes […], mais le moment est venu de l'assumer ensemble, sans complexe et sans arrière-pensées", a-t-il jugé. Dans ce "passé tumultueux", il a évoqué la "dette" de la France envers les pays africains, "où commença de briller voici soixante-dix ans la flamme de la France libre et dont les fils ont versé leur sang pour libérer la France" (Le Monde).

Tous ces arguments anti sont balayés d’un revers de la main par le président malien Amadou Toumani Touré : «C'est un honneur de faire défiler nos troupes, qui sont les héritières des troupes noires d'hier qui ont participé aux différentes grandes guerres en France» (sur France 2). Et il n’a pas tort…

Et parce qu’on parle du frère malien, à signaler que par la force de l’ordre alphabétique, il était souvent aux côtés du président mauritanien. Le courant semblait passer, surtout au moment de lever le toast lors du déjeuner commun. Nous n’avons d’ailleurs pas attendu Paris et la rencontre des deux hommes pour dire que les nuages qui assombrissaient le ciel entre les deux pays se sont bien dissipés. En effet il y a bientôt deux semaines, le Président Ould Abdel Aziz recevait l’Ambassadeur malien Souleymane Koné en signe de grande normalisation. D’ailleurs tous les responsables comprennent – et le font savoir – qu’il ne peut y avoir de brouille conséquente entre le Mali et la Mauritanie. Les relations étant si fortes et les intérêts si vitaux.

A Paris aussi ce fut l’occasion pour le Président Ould Abdel Aziz de rencontrer quelques représentants de la communauté mauritanienne de France. Dans les couloirs de l’Hôtel Le Meurice où il résidait, on croisait des opposants exilés, vestiges de l’ancien ordre, des associations de jeunes, de femmes, toutes ethnies confondues… tous essayaient d’avoir une entrevue et tous en sortaient – quand ils l’ont eue – «confiants en l’avenir».

…Et le 15 juillet au matin, nous quittâmes Paris pour nous rendre à Bakou. En Azerbaïdjan…


Envoyé spécial

MFO

La Tribune N°510 du 19 juillet 2010

Source: Taqadoumy

Mardi 20 Juillet 2010
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