Lettre ouverte au Président de la République : Sortez de la Présidence pour entrer dans l’Histoire



Lettre ouverte au Président de la République : Sortez de la Présidence pour entrer dans l’Histoire

Monsieur le Président,

J’appartiens à une génération autre que la vôtre. Une génération qui vous avait reproché ‘la lettre des cadres’, sans vraiment vous en vouloir. C’était plus une sorte de fantasme de jeunesse qu’un grief politique qui devait tenir pour quelques années.

Et puis vos successeurs et les successeurs de vos successeurs ne nous ont pas laissé le choix. Plus le temps passait avec eux, plus vous deveniez notre âge d’or, notre Paradis perdu, vous et vos amis du régime civil. Si bien que déjà au milieu des années 80, vous êties devenu l’un des hommes de la génération en pleine «mythification». C’est vous dire qu’en matière de notoriété vous devez tout aux militaires. A leur médiocrité dans l’exercice du pouvoir, à leur manque de responsabilité et de prévoyance.

Quand vous vous êtes porté candidat, je n’ai pas été vous soutenir. Mais j’ai espéré secrètement votre réussite. Parce que je savais que nous partageons nombre de valeurs. Dont le sens de l’écoute, la tolérance, l’abnégation, le respect de l’intégrité humaine, l’amour de la liberté, la croyance à la démocratie… et une profonde conviction libérale qui fait notre seconde nature. Je savais par exemple qu’au moment de votre accession au pouvoir, vous aimiez ce pays et que vous alliez le servir en toute bonne foi. Vous n’aviez pas encore subi de frustrations pouvant vous animer de rancœurs vis-à-vis des autres mauritaniens. Vous n’aviez jamais été «adulé» au point de croire que vous êtes le détenteur de toutes les vérités. Vous n’aviez jamais été (trop) «gâté» pour croire que vous êtes né pour être servi.


Comme moi, vous croyez à la liberté comme un don de Dieu. Comme moi, vous croyez que la démocratie est la plus belle invention des hommes. Comme moi, vous croyez que sans l’accomplissement de l’Homme, sans le développement de ses capacités, sans l’émancipation de ses rêves, sans l’assouvissement de ses soifs et de ses faims, sans l’accomplissement de ses ambitions infiniment démesurées, il n’y a pas de vie qui vaille. Pas de projet porteur. Pas de pays viable.

Un homme comme vous devait être une chance pour la Mauritanie qui avait besoin d’un «président qui rassure». Et vous êtes arrivé au pouvoir. On ne pouvait pas vous reprocher de vous être acoquiné avec les «méchants». La situation a été telle que la Transition avait fini par être une opération de «blanchiment» pour le système qui prévalait. D’ailleurs il ne pouvait en être autrement. Les hommes qui ont symbolisé cette Transition ont été des piliers du système que nous dénoncions, que vous avez dénoncé un moment après votre accession à la présidence. Même si on se demandait comment vous pouviez faire porter votre projet de changement qui fonde sa légitimité sur la critique de ce qui dominait, le faire porter par ceux-là mêmes qui symbolisaient le pouvoir que vous vouliez enterrer, nous avons cru que vous aurez les facultés nécessaires pour satisfaire notre soif de changer.

Vous avez d’abord choisi un Premier ministre qui, malgré les campagnes, le dénigrement et les insuffisances réelles, était un choix justifiable et acceptable. Beaucoup plus jeune que vous, vous en attendiez sans doute qu’il vous «booste», qu’il vous «dope». Nos avons cru comprendre que vous vouliez situer les responsabilités en lui donnant une lettre de mission. Comptable de ses actes, du jamais vu. Et même révolutionnaire par rapport aux pratiques connues dans notre pays. Vous ne l’avez pas laissé terminer sa mission. Vous l’avez démis de façon surprenante alors que le plus difficile était derrière pour lui. Vous l’avez remplacé par son antipode. Un personnage controversé, mêlé à de nombreuses affaires de mauvaise gestion, prototype de la collision entre fonctionnaire et homme d’affaires, manifestation évidente de la corruption de l’Appareil administratif. En passant, vous avez essayé de casser l’opposition ou ce qui en restait. D’abord en révisant à la baisse son statut. Ensuite en débauchant en son sein. Quatre mois de tergiversations… et d’inaction. Pour finir au bras de fer que vous avez engagé sans en mesurer les conséquences, sans non plus prendre en considération la fragilité du pays. Advienne que pourra… et c’est ce qui arriva.

Tout ce que vous avez fait, nous l’avons pourtant «positivé». Pour quels résultats ?

Recul de la démocratie. La liberté d’expression a connu un sérieux recul. Bout Mag’our a fini par être banni de la télévision nationale. Lui qui se gaussait de tout et de tous, et qui était devenu le symbole d’une liberté retrouvée, d’une créativité libérée. Chaab, Horizons, AMI et Radio Mauritanie ont été mis au pas. La Radio citoyenne a été fermée. Et les thuriféraires ont vite fait de réhabiliter le culte de la personnalité.

Décollage économique impossible. La Mauritanie a obtenu ce qu’elle espérait du Groupe Consultatif de Paris. Des promesses d’investissements allant au-delà de ses demandes. Parce qu’elle a pu vendre cette image d’un pays tranquille, promesse d’avenir, d’un pays où il fait bon d’investir. C’était au début du mois de décembre. A la fin du même mois de décembre 2007, la Mauritanie devenait une destination dangereuse. Pas seulement à cause d’actes, dangereux certes, mais qui restent isolés. Mais à cause aussi et surtout de son incapacité à défendre son image. La défiance s’est installée.

La grande retrouvaille prévue avec le retour des expulsés de 1989, a été ratée sur le plan psychologique et politique. Ses ennemis ont toujours été nombreux et fortement implantés dans l’Appareil. Ses soutiens toujours faibles et dispersés. Vous avez promu les premiers et exclu les seconds.

En moins d’un an d’exercice, Monsieur le Président élu, vous avez réussi à réhabiliter le système qui a été responsable du sac moral et matériel du pays. Vous avez blanchi les prédateurs qui ont fait avorter tous les projets de développement économique et social du pays.

Et maintenant, Monsieur le Président… vous voilà sevrant le pays de la joie de retrouver la pleine paix des cœurs. Pourquoi ? Parce que vous tenez encore à quelque arpent de pouvoir, vous voulez encore quelque signe distinctif, quelque protocole pour vous faire plaisir, quelque privilège… comme toujours, vous ne vous demandez pas ce que cela peut avoir de conséquences pour le pays. Comme toujours vous n’en calculez pas le prix à payer pour le peuple mauritanien. C’était là l’occasion de vous racheter, vous qui n’avez jamais consenti un sacrifice à ce peuple, à ce pays, avant ces quelques derniers mois, vous voilà encore hésitant à faire le seul acte qui sied : le sacrifice de soi, de son amour-propre, pour la paix civile.

On nous dit ici que depuis que vous avez reçu la visite de votre ancien Premier ministre et de votre prédécesseur se proposant à vous succéder légalement maintenant qu’il n’y a plus de risques, que depuis la visite de ces deux prototypes de l’«ère glaciaire» de la dictature, vous n’êtes plus le même.

Ne faites pas payer à la Mauritanie et aux Mauritaniens le manque de loyauté de vos (nouveaux) amis qui vous ont utilisé pour écarter vos (anciens) amis. S’il y a quelqu’un qui doit payer pour cela, c’est bien vous Monsieur le Président. Vous avez trahi le seul ami qui vous restait, Ahmed Ould Daddah en lui volant «sa» chance d’être l’auteur normal du changement, au moins l’acteur naturel de l’alternance. Vous n’avez été ni l’un ni l’autre. Devenez le père indulgent. En quelques mois, la Mauritanie a vécu une crise dont les effets pourraient être plus destructeurs que tous les cataclysmes de parcours – sécheresse, déchirures ethniques, guerre du Sahara… Elle a besoin de vous aujourd’hui. Répondez à l’appel de l’Histoire. C’est votre unique chance d’être retenu par les générations futures.


Lemir Ould Beyatt

Source: taqadoumy

Mercredi 17 Juin 2009
Boolumbal Boolumbal
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