L’opposition critique et tend la main mais a-t-elle les moyens de dialoguer ?



L’opposition critique et tend la main mais a-t-elle les moyens de dialoguer ?
Le chef de file de l’opposition Ahmed Ould Daddah était absent à la cérémonie de levée des couleurs marquant la célébration du 49e anniversaire de l’indépendance de la Mauritanie. Candidat malheureux à la présidentielle du 18 juillet 2009, le président du RFD avait contesté les résultats de ce scrutin rendu possible par les accords de Dakar dont il était pourtant signataire.

Le président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, était, lui, à la levée des couleurs aux côtés du président du sénat, Bâ Mamadou dit Mbaré qui avait eu la charge de la présidence de la République par intérim à la veille de cette même élection. Fervent opposant connu pour sa fougue de tribun, le leader de l’APP avait prononcé, début novembre, un discours de rentrée parlementaire qui s’est révélé conciliant à l’endroit d’un pouvoir qu’il avait à l’origine désavoué.

Le 26 novembre 2009, à la veille de l’anniversaire de l’indépendance l’opposition, y compris pourtant l’APP, a publié un communiqué pour dénoncer le caractère dangereux d’une «dérive totalitaire» du pouvoir «consistant à violer systématiquement la constitution, les lois et règlements et à pervertir le système électoral, prolongeant ainsi le régime d’exception».

Signée par une douzaine de formations politiques, cette déclaration se veut un «appel au dialogue» mais en même temps une critique voilée des actions du pouvoir actuel.

Un appel au dialogue parce que dans la déclaration les partis de l’opposition invoquent une préoccupation et des sentiments patriotiques, «loin de tout calcul politicien» et se disent «persuadés que la majorité actuelle est incapable de faire face à elle seule aux multiples défis.» Ainsi, pensent-ils, «il est impératif d’instaurer un dialogue politique apaisé entre tous les acteurs politiques, pour aboutir à un mode de gestion concertée des grands problèmes auxquels le pays fait face.»

Curieuse manière de tendre la main la première pour une opposition qui commence sa déclaration par la mention : «pouvoir issu de l’élection contestée du 18 juillet 2009». Cet appel au dialogue serait-il à inscrire comme une reconnaissance de facto d’un Président de la République que cette opposition continue de qualifier de «général Mohamed Ould Abdel Aziz» ?

On sait qu’avec la présence désormais de Messaoud Ould Boulkheir aux côtés du pouvoir au-delà de son caractère officiel, eu égard au statut de président de l’assemblée nation du dirigeant de l’APP, réduit les forces et ardeurs d’une opposition que l’on avait cru déterminée à barrer la route aux militaires. Mais il s’avère que les grands partis symbolisant cette opposition ont toujours péché par les conflits de personnalités de leurs dirigeants qui, à chaque fois qu’ils ont essayé de les surmonter, ont fini par se laisser dominer par l’illusion d’accéder individuellement au pouvoir. Des problèmes de confiance mutuelle seraient d’ailleurs à la source de ce qui se passe actuellement : l’APP qui préfère conserver sa place privilégiée avec la bénédiction de ses principaux dirigeants : Messaoud Ould Boulkheir et Khalil Ould Tiyyib alors que du côté de la CLTM de Samory Ould Bèye que l’on peut considérer comme l’aile syndicaliste du parti, l’on fustige une trahison des alliés, en l’occurrence du RFD, dans la bataille de la sénatoriale passée.

«Toutes les tendances du FNDD ont comploté contre Messaoud» avait déploré ce leader d’El Horr au lendemain de l’échec de l’opposition au renouvellement partiel du sénat qui a vu une ascension de l’Union pour la République, parti du pouvoir actuel. Pour Ould Bèye «le Front National Pour la Défense de la Démocratie avait comploté contre le candidat Messaoud Ould Boulkheir à l’occasion des dernières élections présidentielles et a œuvré pour lui barrer la route au profit du candidat Mohamed Ould Abdel Aziz.»

Vraies ou fausses, de telles déclarations en disent long sur la santé de l’opposition. Car en 1992 déjà, «la majorité de ces forces politiques avaient œuvré pour empêcher Messaoud d’être candidat», dit encore le syndicaliste qui soutient que celui-ci «était le leader incontesté et le pilier central de l’UFD». «Ils avaient imposé M. Ahmed Ould Dadah, lequel était pourtant extérieur au parti.» Dénonce-t-il.



Mêmes réflexes, aucune leçon




Le FNDD face à Mohamed Ould Abdel Aziz aura donc été ce fut l’Union des Forces Démocratiques face à Maouya Ould Sid’Ahmed Taya : un cocktail de fortes personnalités adossées chacune à ses vieilles idéologies et incapables de se sacrifier pour conquérir le pouvoir.

Le même éclatement qu’a connu l’UFD après 1992 sera réédité en 2009 du côté de l’opposition (FNDD et RFD) qui fut un mélange de rescapés du système et de leurs anciens rivaux politiques : Yahya Ould Waghf, Boidiel Ould Houmeid, Sidney Sokhna, d’un côté et Messaoud Ould Boulkheir, Mohamed Ould Maouloud, puis Ahmed Ould Daddah de l’autre. Une alliance contre nature qui n’avait pas grande promesse dans l’arène face à un général déterminé à humilier tous les hommes politiques qui se croient populaires. Mais aussi un manque d’évolution, coupable de cette même opposition qui continue à faire du remplissage en s’affichant avec des partis ou formations politiques sans présence ni poids significatifs. Les formations suivantes donnent l’impression du quantitatif. Alliance pour la Démocratie en Mauritanie – ADEMA, Le Parti de l’Alternative, Avant-garde des Forces du Changement Démocratique – AFCD, DEKAALEM – Rassemblement Démocratique pour le Renouveau de la Mauritanie, Initiative Mauritanienne pour l’Egalité et la Justice – IMEJ, l’Union Nationale pour l’Alternance Démocratique – UNAD. Tout ceci comme s’il fallait faire feu de tout bois alors que les principaux partis de l’opposition sont excavés : le RFD, l’APP et l’UFP ont connu de sérieux revers avec le phénomène Aziz. Récupérations de cadres et descensions internes ont été le lot les grandes figures de cette opposition traditionnelle.



Dialoguer autour de quoi ?



Que cette opposition soit disposée aujourd’hui au dialogue n’est-ce pas une reconnaissance de sa propre faiblesse alors même que celui dans le camp de qui est la balle pour ce dialogue a déclaré que la question d’une participation de l’opposition au gouvernement n’est pas à l’ordre du jour. Là où l’opposition pense devoir «aboutir à un mode de gestion concertée des grands problèmes auxquels le pays fait face», Mohamed Ould Abdel Aziz prétend avoir réussi : à Rosso, deux jours avant la commémoration de l’indépendance, il disait poursuivre la lutte contre la gabegie en mettant en garde “ceux qui pensent que le fait d'appartenir à la majorité prémunit contre les poursuites en cas de détournement», ou encore en divulguant les cas des directeur du budget et celui de la CNSS limogés visiblement pour fautes graves de gestion. Sans compter l’évocation des «hommes d'affaires coupables d'organiser des fuites frauduleuses de capitaux à l'étranger (qui) seront poursuivis et sévèrement punis».

Encore une fois, la tache revient à cette opposition qui s’est employée dans son communiqué à des critiques voilées de l’action de Mohamed Ould Abdel Aziz. Celui-ci dit continuer le combat contre la gabegie. Dans la pratique, ce combat est affiché par les arrestations et mises en examen d’anciens cadres ou d’hommes d’affaires du système Taya. Et l’opposition de s’indigner contre «l’intimidation de l’élite politique administrative et économique», allusion certaine à l’affaire Ould Nagi, cet ancien gouverneur de la BCM et ministre du régime Ould Taya. A moins que l’opposition ne veuille faire de ce genre de cas un cheval de bataille, sa prise de position face à de telles affaires devrait se faire plus lucide : demander une justice équitable et sans pression. Sinon plus audacieuse : dénoncer les favoritismes dans le traitement des dossiers, s’interroger sur pourquoi un tel et non un tel autre, entreprendre ses propres investigations et, pourquoi pas révéler elle-même les scandales pour montrer une nouvelle manière de s’opposer en Mauritanie. Et à propos, cette opposition n’a pas osé dire ouvertement ce qu’elle entend par «graves concessions au détriment de la souveraineté nationale». S’il s’agit de l’histoire des vallées fossiles, un projet qu’Abdoulaye Wade a été obligé d’étouffer dans l’œuf il y a bientôt dix ans pour éviter un nouveau conflit entre le Sénégal et la Mauritanie, l’opposition a-t-elle préféré s’en tenir à l’allusion, histoire de ne pas blesser le voisin qui lui a permis de sortir honorablement de la crise politique ? Ou bien cette opposition manque-t-elle d’arguments suffisamment ficelés pour démontrer un anti patriotisme d’un régime dirigé par un général converti en civil ?



Et avec quels arguments ?



Si tant est qu’elle a le souci de «sauvegarder la souveraineté du pays et restaurer ses rapports équilibrés avec les grandes puissances et les pays voisins», l’opposition n’a-t-elle pas laissé suffisamment de marge de manœuvre à son rival ? Ould Abdel Aziz a pu très vite se faire accueillir par la France et l’Espagne et relancer la coopération militaire avec la première. C’est dire que cette conquête de certaines puissances le renforce davantage face à une équipe de l’opposition qui avait passé presque une année depuis le coup d’Etat du 06 août 2008 à chercher à convaincre la communauté internationale de faire échouer les putschistes. En plus, les pays voisins n’ont nul intérêt à se mettre dans le dos un pouvoir qu’ils considèrent de facto comme régulièrement élu.

Mais en prétendant «préserver et consolider les acquis démocratiques en mettant l’accent sur la défense des libertés individuelles et collectives et les droits humains», l’opposition s’installe dans la machine à broyer. De quels acquis démocratiques pourrait-il s’agir dès lors que l’on pense que le putsch est anticonstitutionnel, que ses effets sont antidémocratiques et surtout que le «pouvoir issu de l’élection contestée du 18 juillet 2009 se caractérisent par une dangereuse dérive totalitaire consistant à violer systématiquement la constitution, les lois et règlements et à pervertir le système électoral, prolongeant ainsi le régime d’exception» ? Ce manque de cohérence laissera-t-il à l’opposition la chance de «mettre un terme définitif à l’intrusion de l’institution militaire dans la vie politique et (de) définir sa place et son rôle dans l’édification d’une Mauritanie démocratique» ?

Ou alors, la fragilité même de certains de ses élus, révélée à travers les débauchages et achats des consciences aux veilles d’élections, n’est-elle pas le principal frein qui empêche de «réviser de façon concertée le système électoral pour garantir aux élections la crédibilité et l’équité nécessaires et assurer les chances d’une alternance politique véritable, comme préalable à toute nouvelle échéance électorale, conformément à l’esprit et à la lettre de l’accord de Dakar» ?

De tels écueils sont en vérité l’expression d’un essoufflement de l’opposition qui a tout intérêt à se faire du sang neuf à défaut de devoir renaitre sur les cendres de ses fondateurs qui n’acceptent pas encore leur mort politique depuis un certain 18 juillet 2009.




Kissima-Tocka


Source : La Tribune n°477



Mercredi 2 Décembre 2009
Boolumbal Boolumbal
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