L´HOMMAGE DU COLONEL Oumar Ould Beibacar l´ancien "geôlier" de Oualata pas comme les autres à son ancien prisonnier et ami Ly Djibril Hamet.



Hommage à mon frère et compatriote négro-mauritanien et hassanophone Djibril Hamet Ly qui nous a quitté le 16 octobre 2015 sur le bout des pieds, sans déranger personne.
Un jour, un ami nous a raconté une anecdote, selon laquelle un des frères de l’un de nos chefs d’état militaires, hospitalisé à Paris, au cours de la visite du ministre des finances, un négro-mauritanien, qui voulait s’enquérir sur son état de santé, avait exprimé la demande suivante: « Monsieur le ministre, il ne faut pas nous oublié dans le sable. » .
Le ministre un peu inquiet, pensant qu’il s’agissait de reproche avait répondu : comment puis-je vous oublié dans le sable ? Un autre interlocuteur ayant bien compris la demande du frère du président, avait pris le ministre en aparté et lui avait dit : « Monsieur le ministre, le vieux voulait dire qu’il ne faut pas l’oublier au moment de la distribution des terrains de Tevragh Zeina. ». Le ministre réconforté répondit « Ah ! Je suis à votre entière disposition … ». Depuis lors Djibril et moi avons choisi comme mot de passe : « Il ne faut pas nous oublié dans le sable. »
Djibril était un humaniste hors pair, il avait déjà pardonné à tous ceux qui avaient brisé sa carrière, à tous ceux qui l’avaient condamné arbitrairement pour un délit d’opinion, à 5ans de prison ferme transformés par ses geôliers à 5 ans de réclusion criminelle avec travaux forcés, au motif d’avoir dénoncé dans le manifeste du négro-mauritanien opprimé en 1986, des injustices flagrantes, avec les FLAM dont il était le premier président. Il avait déjà pardonné à tous ceux qui l’avaient enchainé, torturé, humilié et parfois empêché de faire ses prières. Il avait tout pardonné parc qu’il était très pieux et parc qu’il savait très bien ce que valait le pardon d’une victime devant le tout puissant. Puisse le tout puissant exaucer ses prières et l’accueillir dans son paradis.
J’ai perdu un frère, j’ai perdu un ami, j’ai surtout perdu un confident. Je lui faisais souvent des confidences, quand je voulais libérer ma conscience, dont voici celle qui l’avait le plus ému, datée du 9 fevrier 2010.
Mon cher Djibril,
Excuses le retard de ma réponse dû essentiellement à ma mobilité, j'ai été très ému en lisant ton poème qui m'a rappelé ces années de braise qui ne finissent pas, ces années qui agonisent notre chère patrie. Ces plaies qui ne se cicatrisent pas. Cette page de notre histoire qui ne se tourne pas.
Je pensais que le cinquantenaire allait être une occasion de faire notre mea culpa. Surtout que ce cinquantenaire consacre un demi-siècle de vie commune et d’existence de notre nation, on pouvait bien faire le bilan de la cohabitation et revisiter le 28 novembre.
Ce 28 novembre journée d'espoir et de cohésion en 1960, transformée malheureusement en 1990 par ces militaires qui nous gouvernent en une journée de deuil et de division.
Et au lieu d'apaiser les esprits ils ont décoré le bourreau d'INAL, de la médaille de chevalier de l’ordre du mérite national, à la télévision ce 28 novembre du cinquantenaire.
INAL où le 9 décembre 1975 est tombé sur le champ d’honneur le premier martyr de nos forces armées nationales pendant la guerre du Sahara, l’adjudant Abdallahi Sy dit Lehrour, il était gendarme et toucouleur. Inal où en novembre 1990 vont mourir de génocide plusieurs dizaines de ses frères, officiers sous-officiers et hommes de troupe au même endroit, qui, mêmes maltraités, massacrés, exécutés froidement et pendus devant leur camarades et par leurs propres compagnons d’arme, vont rendre leur dernier soupir dans une très grande dignité, comme s’ils étaient eux aussi morts sur le champ de bataille, pour défendre ce pays qui ne méritait pas d’être défendu.
Décorer le bourreau c’est décréter l’impunité, travestir l’histoire, maudire encore plus cette journée du 28 novembre, insulter davantage la mémoire de nos martyrs, humilier et frustrer les ayants droits, et renvoyer aux calendes grecques les mots comme réconciliation nationale et comme justice tout court.
Mon cher DJibril, depuis le 28 novembre 1991, à chaque fois que j’assiste à la cérémonie de la levée des couleurs commémorant notre indépendance à la présidence où ailleurs, je me rappelle mes frères d’arme morts dans ces circonstances odieuses et je vois notre drapeau entaché de leur sang monter vers le ciel au rythme de l’hymne national qui lui aussi a perdu tout son sens.
Le 28 novembre du cinquantenaire, vingt ans après le génocide notre emblème national était toujours ensanglanté et notre hymne toujours inaudible. Pour moi nos couleurs nationales ne retrouveront leur véritable splendeur, et notre hymne national sa véritable mélodie et le vrai sens de ses mots que quand la justice sera rendue et la mémoire de nos martyrs réhabilitée.
L’autre jour j'ai vu à la télévision assis côte à côte avec de larges
sourires, quelques officiers supérieurs bourreaux et victimes de cette boucherie, devancés par des généraux de pacotille, apparemment fiers de suivre ensemble une conférence dont l’enjeu principal était d’exorciser le terrorisme.
Les conférenciers, oulémas, historiens, professeurs, officiers en activité ou à la retraite, politiciens et anonymes arabo berbères ou négro-africains se sont succédé à la tribune pour dénoncer la menace d’AQMI sur notre pays, en mettant en relief la mort d’une trentaine de nos soldats sur le champ d’honneur à ghallawiya, lemghaitty et tourine, des soldats qui se sont majoritairement rendus à l’ennemi sans combattre.
Aucun mot sur la disparation tragique de plusieurs centaines de nos vaillants soldats de novembre 1990 à avril 1991 soit près de 3% des effectifs de notre armée de l’époque, à Inal, jreida, sorimalé azlat et ailleurs dont la plupart avait courageusement répondu à l’appel de la nation confrontée à sa première guerre au Sahara de décembre 1975 au 10 juillet 1978.
Un silence total sur ce génocide professionnel qui démontre indiscutablement l’existence d’un véritable terrorisme d’état qu’on ne peut occulter indéfiniment. Un silence total aussi sur tous ces crimes génocidaires dont ont été victimes mes compatriotes civils dans la vallée d’avril 1989 jusqu’à la fin de l’année 1992. Comme si tout cela n’était pas du vrai terrorisme surtout dans une société musulmane comme la nôtre.
En occultant tous ces malheurs ils ont réussi à installer entre nos communautés, un mur de silence, d’incertitudes, de méfiance, de défiance et de frustrations en manipulant la plupart de nos politiciens et de nos intellectuels de malheur. Ce silence assourdissant est insupportable il faut absolument le briser.
Mon cher DJibril toutes les souffrances de walata n’étaient qu’une promenade de santé à côté de ce qui s’est passé à Inal à azlat et à jreida. C’était pire que l’Holocauste. On doit inventer le qualificatif. Le pularicide ou le tekrouricide ou le Haalpulaaricide ou le foutankobécide qui veut dire l’extermination des toucouleurs. Il faut nécessairement que l’histoire mémorise l’horreur.
Tu as sans doute entendu le témoignage des survivants de ces enfers, moi j’ai entendu en plus celui des bourreaux, il a plus de résonnance et dénote de toute la cruauté et de la folie de ces instants maudits.
Mon cher ami nous sommes tous coupables puisque nous sommes témoins et qu’on n’a été incapables de réparer tous ces préjudices et de contribuer à tourner la page. Pour que notre peuple retrouve son unité, sa quiétude, sa sérénité sa dignité et sa fierté pour le bien être de tous. Qu’Allah nous pardonne et protège notre chère Mauritanie.

Très fraternellement. « Il ne faut pas nous oublié dans le sable. »
Encore une fois je présente mes condoléances à tous ses proches ,à tous ses amis, au Fouta, à Darel barka, à Loboudou, aux écoles Diamly, et à toute la Mauritanie.

Dimanche 18 Octobre 2015
Boolumbal Boolumbal
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