En Mauritanie, les travailleurs sénégalais dénoncent le harcèlement des autorités



Depuis le début de l'année, les autorités mauritaniennes ont expulsé de nombreux migrants en situation irrégulière transitant dans le pays pour rejoindre l'archipel des Canaries. Mais des travailleurs sénégalais installés légalement dans le pays sont eux aussi victimes de cette politique anti-migrants. Et ce, en dépit d'un accord migratoire passé entre Dakar et Nouakchott.

Les 16 et 17 juillet dernier, la Fédération des associations et groupements des Sénégalais en Mauritanie (Fagsem) a appelé les Sénégalais vivant en Mauritanie à cesser le travail pendant 48 heures pour protester contre les rafles et mauvais traitements dont sont victimes de nombreux ressortissants sénégalais dans le pays.

Pays de transit sur la route migratoire des Canaries, la Mauritanie a vu le nombre de candidats au départ vers l'Europe augmenter fortement ces dernières années. En réaction, Nouakchott a lancé, en début d'année, une campagne d'expulsions des étrangers en situation irrégulière. Des centaines de personnes se sont retrouvées détenues puis expulsées sans ménagement, notamment vers la ville de Rosso, à la frontière avec le Sénégal.

"Ils nous ont tabassés et amenés en prison sans rien nous dire" et "pris tout ce qu'on possédait : argent, montres, téléphones", a raconté un Nigérian à l’AFP après son arrestation par la police mauritanienne. "Ils nous ont (ensuite) menottés et nous ont mis dans des bus surchargés pour nous expulser comme des vauriens", a-t-il ajouté.

Entre janvier et avril 2025, la Mauritanie aurait intercepté plus de 30 000 migrants, selon des sources gouvernementales au journal espagnol El Pais. Les autorités affirment aussi avoir démantelé 88 réseaux de passeurs en quatre mois.

"Des gens qui travaillent ici depuis des années"

Mais, ces dernières semaines, les autorités mauritaniennes s'en sont également pris aux travailleurs étrangers vivant dans le pays avec un titre de séjour. C'est le cas de nombreux Sénégalais qui travaillent dans le pays.

"Les autorités mauritaniennes ciblent les Sénégalais qui partent aux frontières de Rosso Mauritanie, Diama, Fouta, Matam (…) pour la délivrance de leurs devises [cartes de séjour ndlr]", a dénoncé Youssou Dieng, vice-président de la fédération des associations et mouvements en Mauritanie (Fagsem), interrogé par la journaliste indépendante Louise Marie Ndiaye.

"Entre la ville de Rosso et la Mauritanie, il y a huit postes de contrôle. Partout, on nous laisse passer, mais, une fois à Nouakchott [...], [les autorités] disent que la devise est fausse alors que c’est leur police qui l’a faite avec nos empreintes.

On te prend, on t’emmène dans un camp, te refoule à Rosso et te met dans une liste noire en te traitant de clandestin avec interdiction de séjour de deux ans. Des gens qui travaillent ici depuis des années sont, du jour au lendemain, traités de clandestins. C’est ahurissant ! Ce sont des maçons, des ouvriers, des domestiques, des peintres des chauffeurs", a-t-il ajouté.

"Si la police, ou bien la garde nationale, vous trouve dans la rue, ou bien sur votre lieu de travail, il vous demande si vous avez la nationalité mauritanienne ou pas. Au cas échéant, si vous n'êtes pas mauritanien, vous êtes dans l'obligation d'être rapatrié ou bien d'être amené au camp où se trouvent les policiers qui doivent vous rapatrier.

Là-bas, vous devez rester deux, trois quatre jours pour être rapatrié à la frontière", a, de son côté, expliqué à RFI Oumar Ndaw, le vice-président de la Fagsem chargé des affaires extérieures.

Accords migratoires entres Dakar et Nouakchott

Pourtant la Mauritanie et la Sénégal ont conclu le 2 juin dernier deux accords portant sur l'immigration : l’un sur la lutte contre l’immigration clandestine, l’autre sur les conditions de séjour dans un pays et l'autre. Dans ce texte, Nouakchott et Dakar s’étaient notamment engagés "à lever tout obstacle à la libre circulation des ressortissants" de chacun des deux pays.

"Pour tout séjour au-delà de trois mois, les Sénégalais comme les Mauritaniens ont désormais l’obligation de demander une carte de séjour. Mais cette carte pourra être accordée même en l’absence de contrat de travail ou de justificatif de revenu pour une durée d’un an. Ensuite, seulement, il faudra justifier de revenus pour la renouveler", avait expliqué RFI lors de la signature.

Cet accord remplace celui qui datait de 1972. Il a été conclu peu après que la ministre sénégalaise des Affaires étrangères, Yassine Fall qualifie, en février dernier, d'"indigne" la vague d’expulsions. Elle avait parlé de "traitements inhumains" subis par les personnes expulsées, rappelle la radio internationale.

"Concertations" entre le Sénégal et la Mauritanie

Alors pourquoi la situation a-t-elle dégénéré pour les Sénégalais en Mauritanie ? Le ministère sénégalais de l'Intégration africaine et des Affaires étrangères a publié, le 17 juillet dernier, un communiqué à ce sujet. "Suite à la situation difficile que vivent plusieurs Sénégalais établis en Mauritanie, les autorités sénégalaises et mauritaniennes ont entrepris des concertations en vue de trouver une solution juste et durable à ce problème", peut-on y lire.

Le texte indique notamment que "l'application provisoire de l'accord sur les conditions d'entrée, de séjour et d'établissement des personnes et de leurs biens entre le Sénégal et la Mauritanie signé le 2 juin, débutera le 25 juillet". "Les autorités compétentes des deux pays s'engagent à veiller à l'application rigoureuse dudit accord", précise le communiqué.

Principal lieu de départ pour les Canaries

La Mauritanie, vaste pays désertique situé sur la côte atlantique ouest-africaine, est devenue le principal lieu de départ des canots arrivés aux Canaries, selon l'ONG espagnole Caminando Fronteras. Au cours de l'année 2024, 46 843 exilés ont atteint l'archipel espagnol situé au large des côtes marocaines, du jamais vu.

Ce tournant dans la politique de Nouakchott s’est opéré suite à la signature en mars 2024 d’un accord avec l’Union européenne (UE), inquiète de voir cette route migratoire se réactiver. Au programme : renforcement de la coopération entre agences, démantèlement des réseaux de passeurs, construction de centres de rétention et délégation des contrôles, le tout grâce à une enveloppe de 210 millions d’euros accordée au pays saharien.

Le ministre mauritanien de l’Intérieur, Mohamed Ahmed Ould, avait alors mis en avant la nécessité de lutter contre une migration qui n'est plus "individuelle" mais "une activité transfrontalière organisée" et a dénoncé "une augmentation sans précédent du nombre d’étrangers en situation irrégulière".

Depuis le début de l’année, le nombre d’arrivées aux Canaries a, lui, chuté. Entre le 1er janvier et le 15 juin 2025, 11 454 personnes sont arrivées dans l'archipel, soit une diminution de 41,7 % par rapport à la même période en 2024, selon les derniers chiffres du ministère espagnol de l'Intérieur.

Par Julia Dumont


Source: [https://www.infomigrants.net

Mercredi 23 Juillet 2025
Boolumbal Boolumbal
Lu 39 fois



Recherche


Inscription à la newsletter