Ramy Shaath: «Soit vous êtes Égyptien, soit vous êtes libre»

Le militant égypto-palestinien Ramy Shaath est arrivé en France le 8 janvier dernier, libéré après deux ans et demi de détention sans procès en Égypte. Pour obtenir sa libération, il a dû renoncer à sa nationalité égyptienne. « La diplomatie du cas par cas ne suffit pas », selon Ramy Shaath qui évoque sa détention et la situation de dizaines de milliers de prisonniers politiques en Égypte.



RFI : En deux ans et demi de détention en Égypte est-il exact que vous n’avez jamais été informé des accusations ou des soupçons qui pesaient contre vous ? Et dans ce cas pourquoi, d’après vous, avez-vous été emprisonné ?

Ramy Shaath : En deux ans et demi de détention, je n’ai eu qu’un seul interrogatoire de 45 minutes par un procureur de la Sûreté de l’État. Il m’a demandé quelles étaient mes opinions politiques, il m’a parlé de la Révolution de 2011 et m’a demandé pour qui j’avais voté à l’élection présidentielle. Je lui ai demandé quel était le rapport avec mon cas, il m’a répondu : « Nous vous accusons d’appartenance à une organisation terroriste ». Je lui ai dit : « Mais de quelle organisation parlez-vous ? » Il m’a répondu qu’il ne pouvait pas me le dire.

Deuxièmement, il m’a dit que j’étais accusé de répandre « des rumeurs et des mensonges contre l’État » sur les réseaux sociaux. Je lui ai répondu que je n’avais ni compte Facebook, ni compte Twitter et que souvent, les gens se moquaient de moi parce que je ne suis pas sur les réseaux sociaux.


Et effectivement pendant toute ma détention, je n’ai cessé de demander : « mais pourquoi suis-je ici ? » Et je n’ai jamais eu de réponse. En réalité, c’est parce que je suis un militant politique et défenseur des droits humains, j’ai participé à la Révolution de 2011 contre le régime de Moubarak. Mais je suis aussi engagé pour les droits des Palestiniens et leur droit à l’autodétermination, à travers le mouvement de boycott BDS.

Enfin, je me suis opposé à ce que Donald Trump et Jared Kushner ont appelé « l’Accord du Siècle » qui était une attaque contre les droits des Palestiniens et une tentative d’annexer et de voler ce qu’il reste de Territoires palestiniens. Je me suis exprimé contre et je me suis exprimé contre la décision de l’Égypte de participer à cette initiative. Et je crois que c’est pour cela que j’ai été arrêté…

Est-ce difficile de se reconstruire, de renouer le fil de l’existence, après une telle détention dans des conditions difficiles ?

Oui, cela prend du temps. Deux ans et demi dans une cellule de 23 mètres carrés occupée par 18 à 32 personnes… Par moment, nous devions dormir sur le flanc parce que nous n’avions pas la place, nous dormions sur le sol. L’endroit était infesté d’insectes et de maladies. Il y avait un petit espace d’1 mètre sur 1 mètre 50, avec un trou au centre et une douche au-dessus, pour y faire tout ce que nous avions à y faire.

Oui, absolument, c’est un moment heureux d’être sorti de là, d’être avec ma famille, de revenir à la vie. Cela va prendre du temps, de m’adapter, de comprendre ce qui m’est arrivé et de comprendre pourquoi cela arrive encore à 60 000 innocents Égyptiens : militants, politiciens, médecins, avocats, étudiants… Sans raison, hormis le besoin du régime d’opprimer son peuple et d’utiliser la stratégie de la peur pour bloquer toute mobilisation.

Confirmez-vous que vous avez dû renoncer à votre nationalité égyptienne, dans le cadre d’un accord pour votre libération, et pourquoi selon vous ?

Oui, j’ai subi ce chantage pendant ma détention. Au début, j'ai refusé, mais sous la pression et avec le besoin de retrouver ma famille, j’ai dû accepter. Et il a été dit à tout le monde, y compris à des représentants français, à des représentants palestiniens et d’autres pays que je ne pourrai pas sortir sans renoncer à ma nationalité et sans être expulsé. Un chantage pur et simple.

C’est tout à fait injuste, tout à fait inhumain, tout à fait illégal, mais c’est leur tactique. Et je pense que le message est : « soit vous êtes Égyptien, soit vous êtes libre, vous devez choisir. Si vous êtes Égyptien, vous ne pouvez pas être libre, vous ne pouvez pas parler, vous ne pouvez pas vous exprimer, les droits politiques et les droits humains ne sont pas autorisés. Dans le cas contraire, vous ne devriez pas être un Égyptien et vous quittez le pays ».

C’est inacceptable, et ma nationalité ce n’est pas seulement un document : ma nationalité, c’est mon identité, c’est ma vie, c’est ma famille. Je serai toujours Égyptien, quoi qu’ils disent.

Quel regard portez-vous sur la France ? Pour vous, c’est un pays qui a œuvré pour obtenir votre libération ? Ou c’est un pays qui entretient une relation problématique avec l’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi, régulièrement critiquée pour la répression de toute opposition ? On peut rappeler qu’Emmanuel Macron a déclaré qu’il ne conditionnait pas la coopération avec l’Égypte au respect des droits humains.

Je suis persuadé que la campagne que mon épouse a menée et qui a rassemblé des soutiens venus du Monde entier s’est combinée avec le soutien de l’Élysée et d’Emmanuel Macron pour ma libération. Et je l’ai remercié pour ce soutien dès le jour de mon arrivée à Paris.

Mais oui, cette « diplomatie discrète », cette diplomatie du cas par cas, ne suffit pas, elle ne mettra pas fin à la crise en Égypte, elle ne mettra pas fin aux attaques contre les droits humains et elle ne libèrera pas 60 000 prisonniers. Oui, il faut faire plus, il faut parler plus fort. Et j’appelle le gouvernement français à le faire.

Par exemple, la co-présidence Union européenne/Égypte du Forum mondial de lutte contre le terrorisme, c’est un désastre selon moi ! Comment pouvez-vous croire aux mensonges des renseignements égyptiens sur qui est un terroriste quand vous savez avec certitude qu’ils utilisent le terrorisme dans leur « cocktail » de fausses accusations contre l’opposition, contre des défenseurs des droits humains, contre des membres de partis politiques, contre des médecins et des avocats ? En réalité cela affaiblit la lutte contre le terrorisme au lieu de la renforcer.

J’appelle à des actions plus fermes contre les violations par l’Égypte de ses engagements sur les droits humains. Et l’Europe n’a pas seulement le droit et les principes pour cela, c’est aussi son intérêt ! Empêcher ce genre d’atrocités en Égypte, c’est ce qui épargnera à l’Europe les afflux de populations pauvres et craignant leurs propres gouvernements. C’est ce qui empêchera l’extrémisme qui se développe dans l’oppression. C’est ce qui permettra à l’Europe de voir croître ses intérêts et ses investissements au Moyen-Orient sur le long terme et pas sur un court terme fragile. Car l’Égypte n’est pas stable et ne sera jamais stable avec de telles atrocités.

Vous avez été libéré début janvier, et récemment, d’autres militants ont été libérés en Égypte : Patrick Zaki, Ramy Kamel, Sana Soueif… Qu’est-ce que cela signifie ?

C’est le résultat de pressions croissantes, en particulier depuis le départ de Donald Trump, qui avait offert son soutien à l’Égypte et à d’autres dictatures pour intensifier leur oppression. Maintenant avec l’administration Biden et avec d’autres évolutions en Europe, cela a mené à quelques libérations, mais c’est très insuffisant. Et il y a aussi beaucoup de changements cosmétiques comme la fin de l’état d’urgence.

Vous savez, dans la prison où j’étais, nous avions un tout petit espace où nous pouvions marcher sous une grande cage. Mais à côté, il y a un jardin immense, une grande mosquée et des toilettes publiques. Et quand une délégation vient en visite, on leur dit que cela fait partie de la prison… Mais en deux ans et demi, nous n’avons jamais été autorisés à nous rendre à cet endroit ! Donc oui, malheureusement en Égypte, il y a cette photo mensongère et ces changements cosmétiques que l’on vend au monde extérieur.

La diplomatie silencieuse peut permettre de faire sortir de prison quelques militants connus, lorsqu’il y a beaucoup de soutien. Mais les 60 000 autres, qui sont aussi des humains, avec leurs peines, avec leurs familles brisées, qui sont aussi des innocents détenus en raison de leurs opinions et de leurs convictions, devraient être libérés. C’est toute une politique qui doit changer, on ne peut se contenter de quelques libérations.

Il y a 11 ans, fin janvier 2011, l’Égypte se soulevait et renversait le président Hosni Moubarak. Vous participiez alors à cette Révolution. Est-ce que vos rêves pour l’Égypte sont toujours ceux de 2011 ?

Oui, je suis plein d’espoir pour une Égypte meilleure, pour une Palestine libérée et pour un Moyen-Orient plus stable, plus sûr et plus humain. Et je ne cesserai jamais de me mobiliser pour cela. Je crois que nous le méritons et je crois que c’est mieux pour le reste du monde d’avoir un Moyen-Orient plus sûr

source: https://www.rfi.fr

Vendredi 28 Janvier 2022
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