
En tant que sociologue et militant des droits de l'homme que pensez-vous de la migration irrégulière ?
Tout d’abord je tiens à dire qu’il est plus juste de parler de migration illégale, c’est à mon avis le terme le plus approprié et le plus en adéquation avec la sémantique des Droits de l’Homme.
Ce que j’en pense, c’est un mouvement des populations qui a de tout temps existé sans que cela ne pose de problème. Aujourd’hui, on constate qu’il y a une volonté du Nord de sécuriser ses frontières face à la déferlante de migrants venant à bord de pirogues pour rejoindre ‘l’eldorado’, fuyant la pauvreté, la famine, le déficit démocratique et parfois les guerres. Et ce sont ces vagues de migrants illégaux qui semblent poser problème.
Mais le grand problème se trouve dans ces réseaux de passeurs organisés qui ont des ramifications partout et qui ont des relais tout le long de l’itinéraire emprunté par les migrants. Ils constituent de solides réseaux qui exploitent les pauvres migrants qui font des pieds et des mains pour réunir l’argent nécessaire pour leur périlleux voyage.
C’est donc un problème social qui se pose dans les pays d’origine des migrants étant donné que les bras valides émigrent. Signalons un problème juridique car ces migrants font disparaître tous leurs papiers au cours de leur traversée, sur conseils des passeurs. Ce qui les rend automatiquement apatrides. Et enfin soulignons un problème du respect des droits de l’homme car ces personnes qui émigrent sont très souvent maltraitées par les gardes cotes aussi bien des pays d’origine que des pays de transit ou de destination.
Que pensez-vous de l'intégration des migrants dans la société mauritanienne ? Les obstacles, les rejets ?
La société mauritanienne n’est pas une société xénophobe étant elle-même une société issue d’un brassage culturel riche. Elle ne rejette pas l’étranger tant que celui-ci respecte les valeurs socioculturelles de leur pays. Toutefois, quand il s’agit de flux importants de migrants étrangers, les tensions commencent à s’exacerber, parce que ces regroupements communautaires pourraient, des fois, induire des atteintes à la sécurité et à la quiétude des populations locales. On constate des actes de banditismes, de viols, de trafic de stupéfiants, de prostitution dont sont victimes ces migrants et parfois quelques délinquants viennent de l’Etranger. Sans que cela ne soit uniquement l’apanage des migrants.
Les obstacles qui peuvent se poser à l’intégration des migrants sont les facteurs linguistiques et socioculturels. Pour les migrants qui sont par exemple issus de pays francophones et de surcroit musulmans, ils se fondent rapidement dans la foule s’intègrent facilement. C’est le cas par exemple des maliens, des sénégalais, des marocains, des algériens… Pour les autres, l’intégration est plus difficile, mais on constate que certains sont arrivés à s’intégrer dans la société en dépit de ces obstacles qui ne semblent guère insurmontables.
Quels sont, d'après vous, les raisons de la migration irrégulière ? Comment peut-on résoudre ce phénomène en amont (migration/développement par exemple) ? Et en aval, croyez-vous que l'aspect répressif peut à lui seul résoudre le problème ? (le point de vue du militant des droits l'homme que vous êtes est très attendu ici. Ce que disent les textes internationaux notamment la déclaration universelle des droits de l'homme, part rapport à la migration...)
Il y a en premier lieu la pauvreté, qui demeure le vecteur principal de ce genre de migration. Il y a ensuite l’illusion d’une vie meilleure, l’espoir de trouver du travail ailleurs, le chômage local. Pour résoudre ces problèmes en amont il faut que les Etats consentent à mettre en place une justice efficace et impartiale, à œuvrer pour un développement durable et à une répartition équitable des richesses entre toutes les composantes de la société.
L’aspect répressif et le tour de vis sécuritaire ne résolvent pas le problème, au contraire, ils contribuent à précariser les populations et à les laisser à la merci des réseaux de trafiquants. Il importe de traiter en aval ce problème avec le plus grand respect de la dignité humaine. Les pays de transit ou de destination qui interceptent ces migrants doivent collaborer plus étroitement avec les pays d’origine de ces migrants pour arriver à identifier ceux qui ont fait disparaître leurs papiers afin qu’ils puissent bénéficier d’un retour volontaire en toute dignité chez eux.
Les Conventions et Traités concernant la circulation des personnes consacrent le respect de leurs droits et les protègent. Seulement très peu d'Etats respectent cette règlementation si pertinente.
Quel est votre point de vue sémantique de la terminologie utilisée par les médias pour décrire la migration irrégulière (immigration clandestine).
Comme je vous l’ai dit au début, je ne suis pas d’accord avec le terme de migration irrégulière, encore moins avec le terme de migration clandestine, utilisée par les médias. Car je considère qu’en terme militant et par respect pour la dignité humaine, il est déplacé de parler des mouvements de populations, comme un phénomène qui est clandestin ou irrégulier puisqu’il n’en est pas un. Ces mouvements de populations ont toujours existé à travers l’histoire de l’Humanité sans que cela ne pose de problème.
En conclusion, un mot qui résume en global votre point de vue de ce phénomène, de ses implications et de ses conséquences.
Je dirais en conclusion que la migration illégale trouve ses racines dans le sous-développement du continent africain, dans le désœuvrement de sa jeunesse et dans l’absence de justice et d’équité sociale. Il est donc impératif de jeter les bases d’un développement durable qui puisse garantir le développement local à travers l’éducation, la formation professionnelle et la création d’emplois.
Propos recueillis par Momme Ducros, assistant programme information et communication à l’OIM Mauritanie.
Série d'articles sur la thématique de la migration dans le cadre du projet d'appui à la gestion des flux migratoires en Mauritanie; projet exécuté par l'Organisation Internationale pour les Migrations sur un financement de l'Union Européenne.
Source : Ducros Momme Ould <mducros@iom.int>