M. Ba Madine, Directeur Général de l’ANAIR, dans une interview exclusive



M. Ba Madine, Directeur Général de l’ANAIR, dans une interview exclusive
« Le Gouvernement du Président Mohamed Ould Abdel Aziz compte poursuivre ses efforts afin de réussir la réinsertion des rapatriés tout en prenant en considération l’ensemble des populations des zones d’accueil évitant ainsi des disparités préjudiciables à l’unité et à la cohésion nationales »
Homme du Président Mohamed Ould Abdel Aziz, Ba Madine Madiaw s’est trouvé aux premières loges après le coup d’Etat du 06 août 2009, en se voyant confier le dossier sensible du retour des réfugiés. Depuis, cet ingénieur en électronique, formé à l’Institut National des Sciences Appliquées de Toulouse, a suffisamment montré ses preuves pour mériter la position-clef qu'il occupe aujourd'hui. Membre du bureau exécutif de l’Union pour la République, le directeur général de l’Agence Nationale d’Appui et d’Insertion des Réfugiés (ANAIR) reste l’une des valeurs sûres de l’actuelle majorité. N’empêche, tout cela ne le met pas à l’abri des critiques. Il a accepté de répondre à toutes nos questions.

Le Calame : L’ANAIR a été mise en place pour organiser et superviser le retour des déportés mauritaniens du Sénégal, en collaboration avec le HCR. Le processus a été bouclé le 31 décembre 2009. Quel bilan pouvez-vous dressez au terme de cette opération ? Quelles sont les principales difficultés rencontrées par l’ANAIR ?
Quelles mesures ont été prises pour insérer les rapatriés ?


Ba Madine : L’ANAIR a été créée en janvier 2008. Elle a pour mission l’assistance d’urgence aux rapatriés et leur insertion harmonieuse dans le tissu socio-économique de leur pays. Sa mission principale est la contribution au développement économique et social des régions d’accueil avec la seconde composante de son programme axé sur l’insertion et le développement durable. Effectivement, avec le HCR, nous venons de boucler l’opération de rapatriement volontaire organisé des réfugiés mauritaniens au Sénégal, vingt- trois mois après son lancement. En effet, dans le cadre d’un accord tripartite liant la Mauritanie, le HCR et le Sénégal, le processus de rapatriement volontaire des réfugiés a été engagé en janvier 2008 dans des conditions marquées par un manque évident de préparation que soutenait une volonté politique insuffisante. Ainsi, de janvier à août 2008, seuls quatre mille sept cents quatre-vingt réfugiés ont pu être rapatriés et installés dans des conditions d’extrême précarité.
A ce jour, plus de dix-neuf mille de nos compatriotes ont été rapatriés dans des conditions améliorées. Cette amélioration est due à une volonté politique exprimée aux plus hauts niveaux de l’Etat et mise en œuvre par le Gouvernement depuis le changement du 06 Août 2008 et ce à travers la redynamisation et la responsabilisation de l’ANAIR , la disponibilisation de parcelles d’habitat pour chaque famille , la mise en œuvre des programmes sociaux de base (construction de nouveaux forages, extensions d’adduction d’eau, construction de mosquées, écoles, aménagements agricoles.…) , la mise à disposition au profit des familles rapatriées des programmes d’Activités Génératrices de Revenus (AGR) , l’achat de plus de 11 000 têtes de bétail dont 5128 vaches laitières et d’aliments de bétail, la fourniture d’éléments pour embouche ovine et l’aviculture familiale, la création et l’approvisionnement de 52 magasins communautaires en produits alimentaires, la fourniture de médicaments de base et de matériel pour la teinture aux groupements coopératifs féminins, la remise des différents documents d’état civil aux rapatriés...Aujourd'hui, le Gouvernement du Président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz compte poursuivre ces efforts afin de réussir la réinsertion des rapatriés dans le tissu économique et social de leur pays tout en prenant en considération l’ensemble des populations des zones d’accueil dans cinq wilaya (Brakna, Trarza, Gorgol, Assaba et Guidimagha), évitant ainsi des disparités préjudiciables à l’unité et à la cohésion nationales.

Quel rôle a joué le HCR ? Se serait-il désengagé pour ceux qui sont restés au Sénégal ?

Dans le cadre de l’Accord Tripartite et jusqu’à la date butoir du 31 décembre 2009, les parties contractantes ont pour l’essentiel respecté leurs engagements.
Pour l’après 31 décembre, c’est une autre approche qui entre en ligne et il serait bon de poser directement la question à ce partenaire.

Les organisations des refugiés se plaignent d’avoir été marginalisées dans l’opération retour des refugiés. Qu’en est-il exactement ?

Lors d’un récent séminaire, elles ont qualifié les rapatriés de « réfugiés chez eux ». N’y a-t-il pas une part de vérité dans ce qualificatif ?
Les organisations de réfugiés, tout comme les organisations des droits de l’Homme, ont été bien impliqués dans tout le processus. Cela s’est traduit notamment par la désignation de M. Djigo Abou, président du comité directeur de la communauté des réfugiés mauritaniens au Sénégal, comme administrateur de l’ANAIR. Il en est de même pour M. Sarr Mamadou, président du Forum des Organisations Nationales des Droits de l'Homme (FONADH), qui a été non seulement coopté administrateur mais il a été aussi désigné membre du comité de gestion de l’ANAIR et membre de la commission spéciale des marchés de l’Agence.
Pour revenir aux rapatriés, il faut être vraiment de mauvaise foi pour les qualifier de « réfugiés chez eux ». Aujourd’hui, il y a bien une insertion réussie et une amélioration des conditions de vie des 4 726 familles rapatriées dans le cadre de l’Accord Tripartite. Aucune, je dis bien, aucune de ces familles n’est retournée au Sénégal après son installation au pays. Grâce aux différents programmes de l’ANAIR et de ses partenaires au niveau des cinq wilayas d’accueil, une nette amélioration de la situation sanitaire, nutritionnelle et éducationnelle des populations ciblées a été constatée.

Faut-il considérer que l’opération retour des déportés est définitivement close?
Il importe de souligner que le retour organisé a été mis en œuvre dans le cadre de l’Accord Tripartite. Et comme tout processus doit avoir une fin, la date butoir a été arrêtée par les différentes parties au 31 décembre 2009. Ceci dit, la Mauritanie est un Etat de droit disposé à accueillir suivant d’autres formes et d’autres conditions, tous ceux qui, se considérant mauritaniens, souhaiteraient rentrer dans leur pays.

Selon diverses sources, notamment les organisations humanitaires et des refugiés, les rapatriés ne seraient pas mieux lotis qu’au Sénégal. Ils vivent dans une précarité totale. (hangars, bâches). Dans quelles conditions vivent-ils aujourd’hui chez eux ?

Ce ne sont certainement pas les populations de Médina Salam, Boynguel Thillé, Dar Salam, Houdallaye, Goural, Hamdallaye, pour ne citer que les plus importants numériquement, qui tiennent de tels propos.. En effet, d’importants ouvrages (aménagements agricoles, forages, écoles, réserves pastorales, mosquées, réseaux d’électricité solaire...) qui ont eu une incidence très positive sur l’amélioration des conditions de vie des populations rapatriées, ont été effectivement réalisés et sont vérifiables par tous.
S’agissant des bâches que vous évoquez dans votre question, il importe de souligner qu’à leur arrivée, les rapatriés choisissent librement et en toute indépendance leur site d’accueil où ils sont installés dans des tentes HCR. Mais cette situation prend fin trois mois après avec le début de l’installation définitive. Par ailleurs, il convient de signaler que la plupart des ces réfugiés qui sont restés plus de dix-neuf ans ou vingt ans au Sénégal, surtout ceux qui étaient dans la vallée, étaient des agriculteurs ou des éleveurs. Et ces derniers, par la force des choses, se sont pour la plupart, convertis en agriculteurs, durant leur long séjour au Sénégal. C'est pourquoi compte tenu du fort potentiel agricole de notre pays, du savoir-faire acquis par ces compatriotes au Sénégal en matière d'agriculture et du besoin pressant de développement du secteur agricole de notre pays, nous avons privilégié les activités agricoles pour mieux insérer ces rapatriés. Et tout sera entrepris par l’ANAIR pour qu’il y ait une exploitation harmonieuse des potentialités agro-sylvo-pastorales. Dans ce cadre, et à titre illustratif, l’ANAIR vient d’achever ce jour l’aménagement d’un périmètre hydro agricole d’une superficie nette de 54 hectares au profit des populations rapatriées de Médina Salam dans l’arrondissement de Tékane. Qu’il me soit permis, au passage,
de remercier l’honorable député El Ghassem Ould Bellali, qui a bien voulu mettre gracieusement, à notre disposition, un périmètre de plus de 200 hectares. Déjà, un programme de cultures maraichères a été mis en œuvre par l’ANAIR et ses partenaires et a permis de réaliser une production très appréciée dans plus de dix sites. Compte tenu de tous ces succès, je peux vous assurer que les populations rapatriées ont entamé de manière effective et déterminée leur processus d’intégration économique et sociale dans la communauté nationale. Et qu’on ne vit pas moins bien pour l’essentiel dans les sites de rapatriés que par rapport aux villages des populations d’accueil.

Autres difficultés : ces rapatriés n’arrivent pas à recouvrer leurs terres cultivables Pourquoi de tels blocages alors que la volonté politique est affichée par les pouvoirs publics ?
Je suis heureux que vous constatiez avec nous que la volonté politique des plus hautes autorités du pays est de trouver une solution à ce problème. Ceci dit, il importe de souligner que pour ce problème des terres, la volonté des pouvoirs publics est de mettre à la disposition de ceux qui souhaitent s’adonner à l’agriculture des terres de cultures. Mais restons lucides tout de même: la Mauritanie, entre 1989 et 2010, n’est pas restée figée dans les zones agricoles de la Vallée. Aujourd’hui, l’accès effectif aux terres arables pour les rapatriés et l’amélioration des systèmes d’exploitation agricole et pastorale restent l’une de nos priorités tout en cherchant des compromis dynamiques entre ceux qui exploitent les terres depuis vingt ans souvent avec l’autorisation de l’administration et ceux qui aspirent à un recouvrement légitime de leurs droits.

Pour citer un cas précis, les populations, de la petite localité de Houndal, dans le département M’Bagne, n’ont pas pu être rapatriés parce qu’ils auraient exigé d’être réinstallés dans leur village occupé par d’autres mauritaniens. Pourquoi voudrait-on les réinstaller ailleurs, loin de leurs champs, comme des déguerpis alors que leur village est squatté par des mauritaniens comme eux ?
Je ne me lasserais pas de me répéter pour dire que la Mauritanie n’est pas restée figée ces vingt dernières années. Mon sentiment est qu’il existe deux manières pour régler un problème. La première est de se demander « que dit la loi » et on se retrouvera là devant une solution rigide qui ne se prête souvent à aucune souplesse d’exécution. La seconde solution consiste à rechercher les meilleures voies pour régler un problème humain qui se pose. Et c’est cette deuxième démarche que nous privilégions en recherchant activement des solutions qui préserveront, au mieux, les droits des uns et les intérêts des autres.

Quelles sont les mesures prises pour les nombreux enfants nés au Sénégal et ayant fait leur scolarité dans le système sénégalais ?

Les différents programmes de l’ANAIR et de ses partenaires prennent en considération l’éducation et l’épanouissement des enfants rapatriés. Tout a été entrepris afin de contribuer à la réussite de l’intégration de ces jeunes. C’est vrai que jusqu’ici, ces enfants ont évolué dans un système éducatif différent du nôtre où la langue arabe n’est pas enseignée. Pour y pallier, et dans le cadre de ses activités éducationnelles et culturelles, l’ANAIR a déjà organisé trois grandes colonies de vacances au profit des enfants rapatriés à Aioun, Boghé et Nouadhibou. Les participants à ces colonies ont été sélectionnés parmi les élèves rapatriés . Ces colonies de fraternisation ont aussi profité à des élèves des différentes régions de Mauritanie. L’objectif principal visé était donc l’organisation d’activités linguistiques, culturelles et créatives qui puissent aider à l’insertion de ces gosses rapatriés. Les différents cours d'initiation ou de renforcement en langue arabe leur ont été dispensés par des encadreurs formés et expérimentés. En matière scolaire et outre ces colonies de fraternisation, l’ANAIR a construit des dizaines de salles de classe et a pris en charge totalement les prestations d’enseignants, issus de la communauté des rapatriés, dans plusieurs sites.

L’Etat procède depuis le 3 janvier 2010 à un recensement des fonctionnaires et agents de l’Etat victimes des évènements de 1989. Quels sont les objectifs d’une telle opération ?

Ce recensement va nous permettre de connaître avec exactitude le nombre des fonctionnaires et agents de l’Etat victimes de ces douloureux évènements. Les résultats et renseignements tirés de ce recensement permettront à la commission nationale de recensement des fonctionnaires et agents de l'Etat victimes des évènements de 1989 de faire, conformément aux termes de référence de sa mission, des propositions concrètes de réparations (réintégration , accessibilité aux droits de retraite, autres droits) au comité interministériel en charge du dossier.

Se fondant sur la situation des rapatriés, certains craignent que cette opération reste une opération de communication, de propagande pour les bailleurs de fonds étrangers. Quelles garanties pouvez-vous donner pour rassurer les sceptiques ?
Je crois sincèrement que l'on doit surtout valoriser communicationnellement cette généreuse mobilisation des ressources nationales pour la réussite de l' opération d’insertion des rapatriés et de toute la politique de réconciliation nationale initiée par le Président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz.
Jusqu’à ce jour, tous les programmes réalisés par l’ANAIR au niveau des117 sites d'accueil l’ont été sur fonds propres de l’Etat Mauritanien. Et qu’à ce jour, en dehors d’une contribution exceptionnelle de feu le Président Omar Bongo en 2007, l’ANAIR n’a pas reçu un seul khoums des bailleurs de fonds dont vous parlez.
S’agissant de la deuxième partie de votre question, j’ai déjà fait et je réitère la proposition suivante : l’ANAIR est disposé, dans un souci de transparence, à mettre sur la table l’ensemble des ressources mises à sa disposition par l’Etat. Et nous invitons les différents partenaires et intervenants à faire de même afin de fédérer l’ensemble des moyens mobilisés. Ainsi, nous pourrons, dans le cadre d’un comité mixte de gestion, de suivi et d’évaluation, définir ensemble les actions à réaliser et leur affecter les ressources nécessaires à leur mise en œuvre. Si nous le faisons, nous rassurerons, je pense, ceux qui consentent à mettre leur argent dans ce projet dont la réussite est essentielle pour la cohésion et l’unité nationales.

Est-ce que les 150 enseignants rapatriés dont la réintégration avait été décidée par le gouvernement ont repris leur poste ? Sinon, pourquoi ?

Il s’agit en fait de 144 enseignants. Il me plait de vous informer que leur décision de réintégration a été effectivement signée par Madame la Ministre de la Fonction Publique et du Travail et qu’elle est actuellement en instance de numérotation au niveau des services compétents de la Présidence de la République.

Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh


Source:
Calame

Mercredi 20 Janvier 2010
Boolumbal Boolumbal
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