Lettres à Maaouya



Lettres à Maaouya
Nouakchott le, 8 juin 2003... . Des chars et autres armes s’attaquent aux symboles de l’Etat. Trois jours d’incertitude passent, sans autorité dans le pays. Pas de crimes non plus, ni incendies, ni pillage. Le peuple avait choisi la paix et la retenue, l’élite qu’elle soit de l’opposition ou du pouvoir s’était installée dans l’expectative, l’attente. Les forces de l’état, à quelques exceptions, avaient choisi de fondre. Cette expérience quasi- providentielle aura montré à chacun combien l’état et l’ordre étaient des exigences fondamentales de la nation.

Le peuple, dans son ensemble, s’est exprimé par la dignité et la grandeur. Ces évènements m’avaient touché et, comme réveillé d’un long sommeil, j’entrepris, alors, une réflexion profonde sur le pays, son présent, son avenir et son passé.

Durant nos années de jeunesse nous militions politiquement par pur patriotisme. Notre mobile unique était l’intérêt général. On avait le sentiment de contribuer de façon désintéressée à la construction nationale.

Avec l’instauration du régime militaire, plusieurs choix s’offraient à nous : soit continuer le travail politique avec tous les risques que cela comportait, tant au plan personnel qu’au plan national ; soit renier nos principes et se lancer dans la voie de l’opportunisme de l’arrivisme. Telle état notre analyse de l’étape historique que franchissait notre pays. Nous avons privilégié de nous retirer de la scène politique et de limiter notre effort à trois domaines :

1) la formation scientifique et professionnelle, en France, en nous éloignant de tout ce qui pouvait nuire à notre pays ou aux autres, et de ce qui pouvait amener les autres à nous nuire.

2) le travail afin d’assurer les conditions d’une vie digne.

3) Participation à la vie nationale par les activités d’enseignement à l’université et par les conseils à travers le bureau d’étude que je dirige.

Telle était ma position en temps normal. Pendant les périodes exceptionnelles que vivait le pays de temps à autre je ne pouvais pas rester les mains croisées. J’intervenais par mes réflexions, mes opinions et mes propositions qui finissaient souvent par être prises en compte dans les cercles de l’élite du pouvoir et de l’opposition.

Pendant les deux dernières décennies, je n’ai pas trouvé de motifs suffisants pour m’engager activement dans le travail politique, même après le lancement du processus démocratique au début des années 1990. Je n’étais pas tout a fait convaincu de la représentation générale que l’on se faisait du modèle proposé alors et , qui avait conduit à l’époque à un climat de discorde et d’hostilité à travers une série de comportement erroné. Chacun déteste l’autre, pouvoir, partis, communautés et tous confondus. Le terrain politique est devenu un champ de duplicité, d’hostilité et de méconnaissance du droit des autres

Etait-ce cela ce que nous attendions de la démocratie ? Et quelles sont les bases sur lesquelles repose notre système démocratique ? La démocratie, enfin de compte, n’est que le moyen d’encadrer le plein exercice de la liberté et du développement à travers les organisations politiques, dans un état de droit.

Donc, la démocratie est un moyen pour atteindre le double objectif de la liberté et du développement.

Pour revenir à notre sujet , je dirais que les événements du 8 juin et les résultats du procès de Ouad Naga qui les a suivi (voir notre article Nouakchott Info ) m’ont poussé à méditer et à produire le présent texte, sous forme de propositions pratiques et pragmatiques que je livre en toute bonne foi et en toute transparence à l’appréciation de mes concitoyens , intellectuels et politiques .

Je ne nourris ni haine, ni hostilité à l’égard de quiconque. Je ne suis mû par aucun intérêt personnel. Je ne suis candidat à rien !

Il ne s’agit pas ici du passé ou de l’histoire, ni d’une analyse critique ou d’un programme politique , c’est seulement une réflexion d’un homme attaché à sa patrie et indemne des souillures de la politique au quotidien et jaloux de l’intérêt national et de rien d’autre que l’intérêt national.

De ma réflexion j’ai tiré les premières conclusions suivantes :

1) nous n’avons le droit : mes semblables et moi, de continuer à nous abstenir et à rester en marge du travail politique national, privant ainsi notre peuple de notre contribution dans tous les domaines de la vie nationale.

2) Les valeurs et les principes qui nous ont conduit à rester à l’écart n’ont de mérite que si nous continuions à faire la politique par l’action et en évitant toute compromission.

3) La politique du "tout ou rien" n’apporte rien ; elle procède d’un manichéisme aux conséquences dangereuses.

4) Si nous continuons à camper sur nos positions par attachement à nos valeurs et à nos principes en se contentant de critiquer les autres, la scène politique ne connaîtra aucun changement et restera la chasse gardée des opportunistes qui ne se préoccupent que de leurs intérêts égoïstes.

5) La démocratie ne connaîtra pas de réelle existence tant qu’elle sera unilatérale.
6) L’opposition mauritanienne avait commis une erreur historique en boycottant les élections parlementaires de 1992. J’avais exprimé, à l’époque, ma réserve sur cette attitude de la politique de "la chaise vide". Et voilà, de mes réflexions politiques d’aujourd’hui, je tire les douze propositions que je livre ci-après :

1. Adopter la méthode rationnelle et scientifique et privilégier la réflexion
.

La science a prouvé que le système rationnel de l’homme, le cerveau, est infatigable mais, qu’en revanche, il se caractérise par la paresse et parvient dans neuf cas sur dix à se donner des arguments pour justifier sa passivité.

Nous mauritaniens n’échappons pas à cette règle. Et tant que nous n’aurons pas accordé à cette question l’importance qu’elle mérite, nous ne réaliserons pas de progrès significatif dans notre façon de vivre et de se comporter en phase avec l’esprit et les outils de notre temps. Notre mode de vie et nos projets de société doivent se plier à la réflexion rationnelle pour produire des solutions appuyées sur notre système de valeurs et sur les idées propres à notre héritage culturel.

En revanche, si nous continuons à marginaliser la réflexion rationnelle, nos choix resteront prisonniers du mimétisme et nous serons condamnés à suivre les autres, parce que nous leur aurons laissé le soin de réfléchir pour nous. Dans ce cas l’issue ne peut être que décevante. Les solutions et les modèles importés ne correspondent guère aux fondements existentiels de ce peuple, parce qu’étrangers à ses particularités. Par exemple, lorsqu’ arriva le temps de réfléchir sur un projet de société, dans un état moderne, qui s’inscrit dans l’esprit du temps et se sert des outils de l’époque, ce pari n’a pas été gagné. Nous n’avions pas de capital de connaissances ni d’expériences scientifiques sur le modèle de l’état centralisé. Une autre cause déterminante à mon avis, est qu’au moment de l’indépendance, il y a plus de 40 ans, nous n’avions pas les connaissances humaines suffisantes,- même actuellement – pour bâtir un état moderne. Jusqu’aux années 1970, le nombre de titulaires de diplômes supérieurs et même moyen était insignifiant. Or, le rôle de l’élément humain dans le développement des nations et des états est capital. Avec la naissance, chez nous ,d’une élite instruite et cultivée avec tout ce que cela implique au plan cognitif et intellectuel, le passage des régimes d’exception avait alors empêché cette élite de jouer pleinement son rôle naturel dans la conception et la construction de l’avenir. La mise de cette élite à l’écart avait grippé le mécanisme et perturbé le fonctionnement normal du processus de développement. Nul doute qu’aujourd’hui, après quatre décennies d’indépendance, la situation a changé. Le niveau scientifique et intellectuel est nettement meilleur. Des institutions politiques existent et évoluent dans un contexte démocratique. Nous sommes plus à même de participer au façonnement de l’avenir de façon réaliste et dépassionné. C’est la raison pour laquelle nous appelons à la méditation et à la réflexion rationnelle pour faire redémarrer la raison à nouveau.

2 . Engager la réflexion selon une approche positive.

Les idées sont les produits de la réflexion rationnelle Elles nous éclairent le présent, le passé et l’avenir et il faut débarrasser la réflexion de tout sentiment de haine, d’hostilité ; de tels sentiments conduisent à des idées négatives. Les Arabes –anciens- disent "allumer une seule bougie vaut mieux que maudire mille fois les ténèbres". En privilégiant le côté positif de chaque chose, on est porté à l’optimisme. Ce sont là les éléments constructifs de la volonté de progrès à partir d’une réflexion saine, positive. Par contre, si on privilégie le côté négatif des choses on sera gagné par le pessimisme et la déception. Il ne s’agit pas, pour moi, ici, de faire des théories ou de donner des leçons de morale. Ce sont là seulement des réalités psychologiques inhérentes à la nature humaine "Soyez optimiste et le bien sera de votre côté" disent les arabes. On raconte aussi, qu’un américain avait mis toute sa fortune dans l’achat d’une terre pour y élever des vaches. Il découvrit que sa terre était peuplée de vipères et la banque refusait de lui accorder le crédit nécessaire à l’acquisition des vaches. Il était devenu la risée des gens. Après une réflexion (positive) il se décida à s’investir dans l’élevage des vipères en comptant sur ses propres moyens, ses affaires ont marché, les peaux de serpents étaient exportés à Paris pour fabriquer bracelets et sacs des élégantes dames, la chaire en Asie pour être mies en boîtes de conserves et le venin vendu aux industries pharmaceutiques. Et notre fermier très spécial est devenu la quatrième fortune en Amérique. Il avait regardé le côté positif de la chose et agi en conséquence. Histoire vraie, authentique et vérifiable !

La question que nous sommes en droit de se poser est maintenant la suivante : laquelle des deux est meilleure, la réflexion positive ou la réflexion négative.

Nous avons un autre exemple célèbre :"deux hommes ont commis des délits identiques. Ils subissent la même sanction, et furent confiés au même geôlier, dans la même cellule, avec le même régime carcéral. L’un deux baissait la tête, se tournait souvent vers son passé de criminel et se lamentait, l’autre levait les yeux et voyait la lumière du soleil, de la lune et des étoiles à travers une minuscule ouverture au toit de la cellule et réfléchissait. Leur peine purgée, les deux hommes sortirent, le premier avait perdu sa raison et le second était devenu astrologue et poète parce qu’il avait réfléchi positivement.

Regardons autour de nous, est ce que nous mauritaniens, cadres et penseurs de ce pays, procédons à la réflexion positive ou non ? Il nous arrive très souvent de tendre vers le négativisme et c’est très malheureux. C’est la pensée positive qui est à l’origine de la démocratie. Quant à la pensée négative elle ne produit que des régimes dictatoriaux et corrompus. La pensée positive nous pousse à accepter l’autre, la pensée négative à le rejeter.

3 La reconnaissance de notre originalité (authenticité) comme référence culturelle
.

Nous ne chercherons pas à faire l’apologie du passée mais nous mettrons à contribution et de la façon la plus judicieuse, notre patrimoine et notre authenticité, qui représentent une richesse référentielle suffisante pour nous aider à concevoir un modèle de société et les solutions objectives aux problèmes de sous développement sans nous confier à des idées importées, au "copier coller "…

La Mauritanie se distingue par des caractéristiques qui lui sont propres. A première vue, elle apparaît comme un ensemble de contradictions difficile à appréhender. C’est un pays grand par sa superficie, modeste par le chiffre de sa population. La religion –unique- y rassemble des communautés diverses. C’est un pays riche par ses ressources naturelles et sous-développées par le manque de moyens. Nous sommes peuple fortement attaché à son authenticité et possédant un patrimoine culturel et un système de valeurs d’une très grande richesse. Son mode de vie est encore empreint de "bédouinité" et de clanisme. C’est un peuple pacifique, mais qui tarde à assimiler les concepts de l’état centralisé et de l’intérêt national. Ces données qui paraissent à première vue contradictoires, nous obligent à interroger davantage notre patrimoine pour mieux situer ce qui nous distingue vraiment des autres et dégager les solutions à nos problèmes plutôt que d’importer des idées et des modèles qui ne correspondent pas à notre culture et à nos mode de vie et de pensée.

Les réticences du peuple à l’égard de l’expérience de l’état centralisé et des projets de modernisation clé en main est peut être dû au fait qu’il sent que ces modèles et ces idées ne s’inspirent pas de sa propre identité.

Nous insistons sur ce point, non par attachement à l’authenticité -originalité-en soi. De la même façon nous tenons à que nos idées ne soient pas rejetées uniquement parce qu’elles ont caractère original, authentique et spécifique à notre pays. Ces trois propositions préliminaires, que nous avançons comme fondements intellectuels à une approche rationnelle, nous espérons qu’elles seront comprises par tous pour y puiser la force motrice vers une conception de systèmes garantissant un avenir meilleur.

Terminologie et concepts.

Il y a une nomenclature et une terminologie importées qui s’imposent aux gens en fonction de l’évolution historique. Cette terminologie véhicule des contenus et des visions qui ne sont pas forcément ceux adoptés par tous les usagers.

4 Le terme "Opposition".

Nous proposons, par exemple, que le terme opposition soit remplacé par un autre terme plus adéquat pour le cas de la Mauritanie. Au lieu de l’expression "partis de l’opposition" nous pouvons utiliser celle de "partis candidats à l’alternance politique" ou "partis des solutions de rechange" ou tout simplement encore "partis des propositions ou autrement …. Le mot "opposition" a eu comme corollaire, dans nombre de pays africains, la désolation et la ruine. Une compréhension fausse de ce concept a ancré chez beaucoup de gens l’idée de refus absolu de l’autre, consacrant du coup la rupture et l’absence de crédibilité. Cette image que la société se fait de l’opposant le met éternellement à la défensive

Tout cela est une conséquence imparable de ce que nous avons appelé les méfaits de l’attitude mentale négative. La même chose peut être dite au sujet du "parti au pouvoir" ou de ceux qui occupent des postes de responsabilité et restent sourds à tout ce qui émane de l’"opposition", uniquement parce que c’est l’opposition, au point qu’ils ignorent même jusqu’à l’existence d’opposants, de leurs intérêts de leurs droits et bien sûr de leurs idées et propositions.

Par ailleurs, l’"opposant" porte bien souvent son nom. Il se retranche dans un espace qui, aux yeux des gens, réduit sa pensée et son action, au refus absolu de tout ce qui vient de l’autre quel qu’il soit..

Le rejet est souvent réciproque alors que la différence devait être une source d’enrichissement fécond. Les propositions et les formules de substitution aident le peuple et le pouvoir à connaître l’autre face de la participation, même de loin. Voyons ensemble les effets néfastes de cette terminologie, pour la société et pour l’opposant, qui se donne pour rôle le refus pour le refus au plan intellectuel et politique.

D’aucuns peuvent dire que c’est une terminologie usitée dans la majorité des pays du monde. Je leur réponds que cela est valable pour les pays où les "positions et les pratiques démocratiques sont solidement enracinées" et dont les peuples ont atteint un haut niveau de culture démocratique. . Quant aux pays où la démocratie fait ses premiers pas en droit et en fait, il leur est difficile de jongler avec les concepts ou de brûler les étapes pour se faire l’illusion de suivre un système ….

Le terme "opposition" a été compris comme synonyme de refus de l’autre. Et le refus conduit à la rupture, c’est-à-dire à l’absence de communication, donc à la rupture du dialogue qui, à son tour, paralyse la démocratie. Il revient à l’élite politique d’inventer des termes et des concepts nouveaux, mieux adaptés au cas de la Mauritanie plutôt que de continuer à reproduire les mauvaises copies des autres. Serions-nous incapables d’enrichir le vocabulaire politique mondial ?

5 De la "majorité au pouvoir" des partis de la majorité.

Ces termes aussi doivent être remplacés, pour des raisons éthiques, politiques et institutionnelles .Quand on parle de "majorité" on parle implicitement de "minorité" cela est valable et acceptable au moment du vote. Ce qui est moralement inadmissible est la fausse certitude chez cette majorité que tant qu’elle restera aux affaires elle pourra traiter la "minorité" avec dédain et mépris, voire nier tout simplement son existence.

Au plan politique et institutionnel, le parti au pouvoir peut (parce que majoritaire) oublier qu’il exerce le pouvoir de tout le peuple à travers les institutions et non le parti ; il peut oublier que la majorité qui l’a mis au pouvoir fait partie du peuple ; mais qu’elle n’est pas tout le peuple. Nous disons donc que cette terminologie a un impact psychologique négatif, qu’elle marginalise les partis de la "minorité" et qu’elle hypothèque, en conséquence, nombre d’opportunités pour parvenir à la vérité et établir les droits.

A cela s’ajoute qu’elle est complètement étrangère à notre ethnique fondée sur la pudeur, l’humilité et le respect des autres.

Nul n’a le monopole de la vérité, comme, d’ailleurs, l’erreur n’est l’exclusivité de personne. Chaque parti qui détient une portion de la vérité doit la mettre à la disposition de la société à travers les institutions et les mécanismes démocratiques. Sinon que signifieraient multipartisme et pluralisme politiques ? Donc nous proposons que les "partis de la majorité" soit rebaptisés "partis en charge des responsabilité gouvernementales" ou "partis en démonstration " ou … Une telle appellation leur confère le cachet de la responsabilité avec son lot de charges et non le reflet d’un rapport des forces en un moment donné.

6. Deux piliers sont nécessaires au fonctionnement de la démocratie mauritanienne.


Le premier pilier ou le premier axe autour duquel tournent les "dénominateurs communs du consensus ou les « constances stratégiques », sous la forme d’une structure cadre, à laquelle se réfèrent tous les partis ; une sorte de "parti des partis" ou, peut être "parti de la Mauritanie".

Le second axe repose sur le multipartisme, là, apparaissent les différences et les sujets de divergence "ou les variables tactiques". La proposition consiste à créer ce que nous avons appelé "le parti des partis" à côté du multipartisme et ce pour circonscrire les divergences qui mènent à une atomisation et à la multiplication des "partis fictifs" sans aucun apport sinon la consécration de la division et de la fragmentation.

Et comme preuve, il suffit de constater notre incapacité à trouver un terrain d’entente. Les hommes politiques et l’élite intellectuelle qui sont sensés conduire le pays perdent de leur crédibilité auprès des masses, du fait qu’ils s’épuisent à étaler leurs divergences et à s’écraser mutuellement, ce qui aboutit parfois à la perte des uns et des autres. C’est ce sort que je crains fort pour la Mauritanie. La politique est devenue synonyme de mensonges, de fraude, de duplicité, au lieu de guider les gens vers ce qui les unit et préserver leur intérêt général et individuel.

Certains peuvent penser que ces idées nous ramènent au temps du parti unique, avec tout ce qu’il a de réactionnaire et de négatif ; je leur dis qu’il n y a pas d’alternative au choix du pluralisme politique et de multipartisme. Ce à quoi j’appelle est la délimitation d’un terrain d’entente où se trouve l’élite politique mauritanienne afin de servir les intérêts du pays dans un cadre démocratique (cohérent).

L’expérience nous enseigne que, le combat politique s’enflamme pendant les périodes électorales. Si nous partageons le temps entre les périodes électorales et celles plus calmes, ces dernières offrent assez de temps pour se voir, se parler et même coopérer, en laissant la compétition pour les échéances électorales, législatives ou présidentielles.

Je rappelle au lecteur que les idées, ici, avancées sont le fruit d’une approche positive. Ma référence au parti unique n’est qu’à titre d’exemple ; d’un exemple tiré de l’histoire politique de ce pays. Je ne conçois pas qu’un peuple puisse ignorer ou méconnaître son histoire quelque soit le jugement qu’il porte à l’une ou l’autre de ses expériences historiques. Dans ce contexte, nous sommes en droit de nous interroger sur ce qui peut nous unir, sur ce que nous pouvons entreprendre ensemble .Ce à quoi, j’appelle est l’action commune, non la pensée commune. Le point de rencontre est donc l’action commune. Et à ce propos, il est possible d’énumérer une série de pistes qui peuvent servir de plate-forme commune à l’action nationale.

6.1. Contribuer à la promotion de la culture civique des mauritaniens

Il n y a pas de démocratie sans civisme. C’est une condition essentielle pour le développement des sociétés démocratiques. Je donnerais à titre d’exemple ma participation à des opérations électorales où je m’étais trouvé face à de grandes quantités de cartes électorales non retirées par les titulaires ;bien entendu j’avais refusé l’utilisation frauduleuse de ces cartes. Certains collègues n’étaient pas aussi rigoureux que moi et avaient fraudé en les utilisant pour favoriser même ouvertement leur candidat préféré. C’est là un cas qui dénote un réel manque de civisme, La tendance à la fraude découle d’une absence de conscience civique. Eradiquer la fraude est possible seulement par la promotion du civisme et la vulgarisation des droits et des devoirs civiques. Je n’ai jamais adhéré aux structures d’éducation des masses ni au parti unique. Pourtant je me demande si cette expérience des SEM n’était pas utile pour ramener les masses à plus de civisme, à condition toutefois d’éviter l’amalgame avec le travail politique ou policier. Nous proposons ici - au passage – la création d’une station radio et d’une chaîne TV culturelles dédiées à l’éducation civique. Les programmes de ces médias peuvent associer des politiques et des intellectuels, à des fins d’éducation et non pour servir les politiques partisanes.

6.2 La préservation de l’environnement comme domaine d’action commune.

C’est un domaine fécond où tous peuvent se retrouver pour faire face aux problèmes de désertification, de reboisement, de protection des forêts, de pollution. Tous les partis peuvent se mobiliser pour relever ces défis. Je ne propose pas ici la création d’un parti des verts comme il en existe dans plusieurs pays. La proposition est faite à l’ensemble des professionnels de la politique et du service public pour contribuer, ensemble, à la solution des problèmes que rencontrent leurs pays et leur peuple.

6.3 Les situations de crise

Les situations de crise politique qui peuvent menacer l’unité nationale et la démocratie, les crises alimentaires la sécheresse ou toute autre catastrophe doivent être l’occasion d’unité et d’abnégation le temps d’en venir à bout.

6.4 L’alphabétisation, la bonne gouvernance, les orientations du chef de l’état contenues dans le discours de Kiffa.


L’importance de l’alphabétisation, la nécessité de nationaliser, d’assainir l’administration et de concrétiser les principes et les objectifs contenues dans le discours du Président de la République à kiffa font l’unanimité et peuvent faire l’objet de programmes communs, Ces sujets d’actualité sont l’objet d’un accord total entre tous les protagonistes de la scène politique et peuvent être des sujets de concorde nationale.

7. Un comité de sage pour proposer un code d’honneur engageant les partis.

Ce code posera le cadre éthique dans lequel doit s’exercer la démocratie et l’activité des partis en direction de la société.

8. Un comité de sage pour veiller sur le respect du code d’honneur.

Ce comité devra veiller au strict respect du code et empêcher tout débordement, surtout pendant les périodes électorales. Il aura à proposer toute mesure pouvant renforcer la paix intérieure et la réconciliation entre les protagonistes Ce comité devra être composé de dignitaires ayant une expérience politique et entièrement retirés de la vie politique.

9. Enlever aux conseils municipaux tout cachet politique


La politique nationale doit rester au niveau des partis politiques pour permettre aux conseils municipaux de se consacrer aux questions de développement (économique, culturel et social) au niveau local. L’exercice de la politique à l’échelle nationale sera laissé aux partis politiques. Il sera ainsi donné à tous les fils de la commune de choisir leurs conseils municipaux et de participer de façon égale au développement de cette commune, indépendamment de leur appartenance politique et en tenant compte des différences de niveau, de préoccupations de prise de conscience. La démocratie prendra ainsi à chacun ce qu’il peut offrir. Le mélange des genres, qui caractérise actuellement la vie politique, est à l’origine de cette proposition. Certains confondent les questions politiques d’ordre national avec d’autres préoccupations moins avouables de caractère tribal, corporatiste ou local, n’ayant d’autre but que la réalisation des intérêts personnels et étroits. L’observation des faits montre que les cadres et les partis en Mauritanie n’ont pas encore atteint un niveau qualitatif et quantitatif suffisant pour s’occuper en même temps des questions nationales et locales. La situation actuelle coûte très chère à tous et le cumul des postes rend certains incapables de faire face à leurs obligations de maire, de sénateur, de député, Cette démarche est de nature à ouvrir les conseils municipaux aux membres des organisations de la société civile ou des différents partis politiques favorisant du coup les conditions de contacts au sein d’une même instance. Notre seul mobile est le désir de mobiliser toutes les ressources humaines et matérielles pour assurer un meilleur développement au domaine municipal.

10. Instituer des conseils régionaux élus par les communes.


Ces conseils auront pour mission de favoriser le développement économique et social à l’échelle de la région. Ils constitueront une sorte de parlements régionaux dont les membres seront plus sensibles aux problèmes nationaux Les membres appartenant à plusieurs tribus seront dans ces conseils au service de la région et non au service de leur tribu. Tuer le tribalisme par le régionalisme qui est plus proche du patriotisme Par son travail au service de la région, le membre sera mieux préparé pour occuper des responsabilités au niveau national. Le développement du pays dans son ensemble passe par celui des régions et il faut créer le cadre institutionnel pour atteindre cet objectif. Telle est la finalité que nous donnons aux "conseils régionaux" ces parlements régionaux ont la même importance, sinon plus, que le sénat à condition toutefois d’avoir les moyens d’actions et de mouvement en toute indépendance.

11. Affecter les revenus pétroliers aux budgets régionaux.


C’est nécessaire pour permettre aux conseils régionaux de travailler efficacement au développement de leur région. L’intégration des revenus pétroliers directement au budget de l’état accroîtra la pression sur l’administration centrale et réduira inévitablement ses performances. En prenant soin des régions, en les dotant des budgets et en y développant des projets, nous encourageons les habitants à y demeurer et travailler en regardant de près leur évolution. Les populations locales auront la possibilité de suivre l’exécution des programmes dans leur région et d’améliorer leur niveau d’information et de vie au lieu de s’entasser à Nouakchott ou dans d’autres grandes villes. Le transfert des revenus pétroliers pour le développement régional peut être une garantie de saine gestion, loin des cadres de l’administration centrale qui ont acquis une solide expérience de mauvaise gestion des biens publics qu’ils ont l’habitude d’utiliser dans leur propre intérêt. Le raccourcissement des circuits financiers permet un meilleur contrôle de gestion de cette ressource. Un circuit décisionnel et financier court se contrôle plus facilement qu’un circuit financier long ! Bien entendu, l’utilisation de toute ressource nouvelle doit nécessairement faire l’objet d’une préparation préalable. Si on s’orientait vers l’utilisation des ressources pétrolières dans le développement régional, les cadres de chaque région se mettraient à inventorier les besoins de leurs régions et à préparer les plans qui lui conviennent.

12. Un ministère chargé du développement régional et de collectivités locales.
Parallèlement aux conseils régionaux, ce ministère représentera l’état Ce sera la structure organisationnelle chargée des questions de développement régional. Il y a bien sûr le ministère de l’intérieur dont la mission couvre les questions régionales et locales. Mais la création d’un ministère chargé du développement régionale et local permettrait au Ministère de l’intérieur de se consacrer aux problèmes de la sécurité intérieure. Notons que l’épithète "intérieure" ici ne veut rien dire parce que nous proposons la création d’un ministère chargé du développement des régions des collectivités locales, de la poste qui deviendrait la banque des régions. A propos du ministère de "l’intérieur", justement notons au passage que d’autres compétences devraient être transférées au ministère de l’intérieur qui aurait alors une nouvelle appellation "ministère des libertés, de la sécurité et des télécommunications". La relation entre liberté et sécurité serait alors mieux perçue par tous. Nous insistons enfin sur le rôle primordial du ministère chargé du développement régional que nous résumons ainsi.

la tutelle sur les conseils régionaux, les communes (tandis que la tutelle sur les partis sera donnée au ministère des libertés et de la sécurité) ; participation à l’élaboration des projets de développement au niveau régional ; participation à l’étude scientifique de ces projets contrôle de dépenses dans le cadre des programmes de développement régional.

Cette formule serait pour certains contradictoire avec l’existence d’un ministère chargé des affaires économiques et du développement. Mais nous pensons que ce ministère doit se consacrer aux projets à caractère national comme les grands projets d’infrastructure et autres. Nul doute que cette séparation rendra les choses plus claires avec une meilleure répartition des financements entre les projets à caractère national et ceux à caractère régional. Le contrôle et la transparence y gagneraient.

Mohamed Ould Mohamed Hacen, Professeur à l’Université.

NB : Ce recueil de lettres a été adressé par l’auteur, en avril 2005, à l’ancien chef d’Etat Ould Taya, à quelques mois du coup d’Etat du 3 aout 2005, mais qui reste d’actualité.

Mardi 15 Juin 2010
Boolumbal Boolumbal
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