Le conflit ethnique en Mauritanie entre politique de différenciation et société clientéliste



Le conflit ethnique en Mauritanie entre politique de différenciation et société clientéliste
Le conflit ethnique en Mauritanie ne cesse d’interpeller les chercheurs en sciences humaines. L’anthropologue français, Francis De Chassey, fin connaisseur de la société mauritanienne et ses rouages politiques a animé une conférence à l’université de Nancy 2 ( France)sous le thème « Qu’appelle-t-on ethnie ? Pourquoi des conflits ethniques en Afrique ?

Le cas de la Mauritanie ? Au cours de laquelle, il a pris le temps réactualiser ses hypothèses à propos des théories fondées sur l’ethnie et tous leurs corolaires dans les sociétés africaines contemporaines. Le chercheur, aujourd’hui à la retraite, a voulu partager avec le public composé d’enseignants-chercheurs, d’étudiants notamment mauritaniens à Nancy, un certain nombre d’interrogation au tour de cette thématique ainsi que les résultats de ses travaux sur la Mauritanie.

Cultiver le dialogue

L’ouverture de cette conférence a été faite par l’intervention de Bâ Sileye, le secrétaire général de l’association Nancéienne des étudiants Mauritaniens ( ANEM) lequel a fait savoir qu’en organisant cette conférence avec le département de sociologie de l’université de Nancy 2, l’objectif de l’ANEM est « celui de développer une culture de dialogue scientifique entre jeunes mauritaniens et faire découvrir les réalités que cachent l'histoire des conflits interethniques en Afrique, en l’occurrence la Mauritanie ». Monsieur Bâ a précisé que cette conférence vient à point nommé en faisant allusion à la période de turbulence que traverse la Mauritanie. Cette période est caractérisée par la recrudescence des affrontements interethniques à l’université de Nouakchott et de la revendication d’une justice sociale par toute la jeunesse mauritanienne. Il a aussi rappelé que les nouvelles déclarations du ministre des affaires islamiques et de l’enseignement originel sur le recensement des sépultures des victimes civils et militaires depuis l’indépendance à nos jours doivent être intégrées dans le dialogue pour la réconciliation nationale. Et que cette conférence constitue une ébauche d’une réflexion anthropologique des conflits ethniques contemporains visant à traiter, à notre sens, de trois groupes de questions : En ce qui concerne les différents groupes, partie prenante du conflit en question, elle devrait décrire les processus de formation de leur identité ethnique, ainsi que l'évolution de leurs relations avec des groupes voisins, puis, elle devrait décoder la logique ethnique justifiant le recours à la violence ; et enfin, lors des rapports des différents groupes ethniques avec l’État.

L’Etat-nation et la politique de la différenciation

Prenant tout de suite la parole, De Chassey a déclaré, il s’agit d’abord pour comprendre cette thématique de procéder à la définition en premier lieu qu’est qu’une ethnie ? Pourquoi tant de conflits ethniques en Afrique qui sont parfois « interminables, violents et sanglants ». Pour répondre à toutes ces questions, De Chassey a entamé son intervention par justifier l’objet de ses recherches sur la Mauritanie, tout en signalant, qu’il admet la « déconstruction » depuis trente ans de la notion admise des ethnies qu’il avait proposé et que ses « hypothèses » sur des ethnies et leurs conflits sont de nos jours « démenties » par les faits. Car, il déclare avoir vécu en Mauritanie le contraire de ce qu’il pensait pouvoir montrer. Il affirme avoir été le témoin du déclenchement du conflit ethnique en Mauritanie. C’est par une voix grave que l’ancien professeur de philosophie à Nouakchott livre : « Je regardais de ma fenêtre une bagarre, c’était une pure manipulation. Certains élèves negro-mauritaniens ayant éclaté le conflit étaient mes propres élèves. Mes élèves furent transférés à Walata. J’avais de la trouille de voir un conflit à coup de couteau dans une scène où l’on reclamé la peau d’un cuisinier négro-mauritanien que je connaissais pris comme Sénégalais ». A cet époque ajoute-t-il certaines idéologies étaient pourtant fortement répandues. Il évoque la participation de la jeunesse mauritanienne au « dialogue internationale » entre 1965 -1968 contre l’impérialisme. La création du mouvement national démocratique ( MDE) et le mouvement Khadihine, hostiles au régime de Moktar OUld Daddah avant d’être renversé par le premier coup d’Etat le 10 Juillet 1978. Les revendications étaient souligne-t-il entre autres la lutte pour la monnaie nationale et la nationalisation de la MIFERMA.

Pour lui, ce qui s’est passé en Mauritanie constitue un retournement. En se basant des thèses marxistes largement usitées dans les années 60 ans, l’anthropologue pensait que la prédominance des luttes ethniques allait disparaitre avec la naissance de l’Etat-nation en Mauritanie pour donner naissance à la lutte de classes et contre l’impérialisme occidental. Mais c’est le contraire qui s’est produit. Il a vu se développer, lors de son séjour à Nouakchott, dans les années 60 jusqu’au milieu des années 80 :« l’esprit ethnique communautaire ainsi que l’exacerbation des revendications identitaires ». Alors, l’anthropologue fait face d’un coup à la fausseté de ses hypothèses. Il change de fusil d’épaule car l’ hypothèse selon laquelle les ethnies, des réalités sociales « traditionnelles» appelées à disparaitre avec le développement économique et la construction d’un Etat fondé sur des réalités faites de classes de classes, se voit complètement démentie.

De Chassey pense que désormais qu’il est important de s’intéresser à des « diverses périodes historiques du pays avant, pendant, après la colonisation » afin de pouvoir expliquer le conflit ethnique en Mauritanie. Car selon lui « la colonisation invente l’ethnie comme catégorie classificatoire et prépare objectivement par sa politique différentielle les futurs conflits ». Elle établit des frontières arbitraires coupant des populations homogènes et leurs territoires et incluant des populations hétérogènes. Les nouveaux dirigeants de la Mauritanie ont hérité des autorités coloniales la pratique « d’une politique de races » et la gestion « différenciée des ethnies » (ordres et castes). L’anthropologue montre aussi la présence d’un pouvoir despotique et bureaucratique avec une structure sociale hiérarchique, inégalitaire et régie par le clientélisme sous tous les régimes militaires en Mauritanie.

Et pourtant, le conférencier a précisé que la Mauritanie a hérité d’une histoire de très longue durée et de grande ampleur d’échanges entre royaumes, empiriques, émirats où se nouent et se dénouent des processus complexes de sédimentation ethnique d’ordres et de castes hiérarchiques et inégalitaires. Il a appuyé ces propos en donnant l’exemple du Sahara et Sahel occidental qui fût pendant des siècles « un espace géopolitique en forme de couloir où le monde descend » notamment les agriculteurs négro-africains comme les pasteurs nomades maghrébins ainsi que l’islamisation et l’arabisation générale allant de pair, mais la seconde a été selon lui « diversement assimilée ».

Victimes d’une société clientéliste

La décolonisation et l’indépendance ont aboutit selon De Chassey à la lutte pour l’accès aux ressources par la participation au pouvoir dans une « société clientéliste ». Il ressort en effet de l’extension, de la transformation et de l’exacerbation des sentiments ethniques. On constate dés le début de la décolonisation, la compétition des élites traditionnelles scolarisées pour les postes administratifs et politiques. L’émergence des dictatures militaires, l’établissement de l’Etat néo-patrimonial et de la politique du ventre dans une société de plus en plus clientéliste. Et enfin, la généralisation de la compétition ethnique, la simplification ( Arabes versus Négros-Africains conditionnant, l’exacerbation des identités et sentiments ethniques d’où les événements de 1989.

Toutes ces difficultés font qu’il est difficile d’instaurer une véritable démocratie car la réconciliation devient « fragile et périssable ».

Source: ESSIRAGE



Mercredi 25 Mai 2011
Boolumbal Boolumbal
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