J'espère que certains préjugés vont tomber"

Lilian Thuram publie Mes étoiles noires, aux éditions Philippe Rey.



J'espère que certains préjugés vont tomber"
Pourquoi ce livre ?

Comme je le raconte, c'est l'histoire d'une vie. Je suis de la Guadeloupe. J'ai compris en arrivant en région parisienne à l'âge de 9 ans que la couleur de ma peau avait des connotations négatives. J'ai essayé de comprendre le pourquoi. Je relate toujours cette histoire. A l'époque il y avait un dessin animé qui s'appelait la Noireaude : une vache blanche intelligente et l'autre noire un peu dépressive et stupide. En fait ça part de là, ce questionnement. Pourquoi cette couleur est-elle mal vue? Ma famille ne pouvait pas me donner de réponse. A l'école, la première fois qu'on a parlé des Noirs en cours d'histoire, c'était pour évoquer l'esclavage, la confrontation noir et blanc. Je ne suis pas tombé dans la victimisation grâce à ces personnages qui m'ont construit et donné confiance en moi.

Qu'attendez-vous réellement ?

J'espère qu'en le lisant, les préjugés vont tomber, les imaginaires changer grâce à la connaissance. Il faut amener de la compréhension aux gens, leur donner des clés pour faire évoluer leur réflexion. Le plus beau compliment qu'on m'ait fait a été de me dire que le livre devrait être étudié à l'école. 55% des Français pensent encore qu'il existe plusieurs races alors qu'il en existe une seule, l'homo sapiens (sondage réalisé par l'Institut d'étude LH2 pour la Fondation Thuram). Pour 80% d'entre eux, la première fois qu'ils ont entendu parler des Noirs à l'école, c'était à propos de l'esclavage, de la colonisation et de l'apartheid. Dans l'inconscient collectif, on part tout de suite avec des préjugés qui peuvent créer des problèmes. On voit bien qu'on a jamais fait un travail de déconstruction du racisme. Il faut donner de la connaissance pour briser ce mécanisme.

Vous avez choisi une manière originale pour faire passer votre discours grâce à une galerie de portraits, celle de vos héros...
La société véhicule des messages conscients ou inconscients. Petit à petit on finit par penser que l'autre est différent. On s'enferme dans sa couleur de peau. J'ai eu la chance très tôt de comprendre certaines choses qui m'ont vacciné contre le racisme. Tous ces destins dont je parle peuvent faire office de vaccin. Dire les Noirs n'ont pas d'histoire, ça peut marcher si vous ignorez ce qui s'est passé. Si vous ne savez que la couleur de peau ne détermine en rien les choses. Je ne pense pas que ce n'est pas un hasard si on a ces discussions aujourd'hui. La société change, elle se pose de nouvelles questions. Qui sait, peut-être que dans 50 ans, on aura dépassé toutes ces barrières.

L'histoire officielle qui nous est enseignée est toujours héritée de préjugés du XVIIIe et du XIXe siècle ?

Chaque génération a un travail à faire. Les choses sont loin d'être terminées. Aujourd'hui, on n'est pas sorti des débats autour de la couleur. Quand parle de minorité invisible, on désigne par là celui qui n'est pas blanc. Ca signifie que dans la parole ou l'inconscient, on établit une hiérarchisation. Pourquoi il y a eu cet engouement autour de Barack Obama ? Tout simplement parce qu'il est un président noir américain. La question de la couleur de peau reste centrale. Regardez ce qui s'est passé en France avec Harry Roselmack, le présentateur du journal de 20h. On voit bien que cela reste un problème dans nos sociétés.

Vous avez mûri ce projet depuis combien de temps ?

C'est une réflexion qui devient naturelle avec les années. Je ne me suis pas dit un jour, tiens j'ai trouvé la meilleure approche pour faire évoluer notre façon de penser. Les gens que j'ai rencontrés, mes questionnements n'ont conduit à avoir ce raisonnement qui n'est pas terminé. Si vous pensez que l'autre est différent, on vous l'a répété encore et encore, vous finissez par croire que c'est la vérité, la seule. Moi j'invite simplement à voir le monde d'une autre façon grâce à la connaissance. Mais je ne veux pas que les Noirs tombent dans le piège de la victimisation.

Vous vous rendez souvent dans les écoles pour dialoguer avec les enfants ?


Ce qui est intéressant, c'est d'aller à leur rencontre. Où que vous alliez, c'est souvent les mêmes idées reçues qui reviennent même à la Réunion ou à Saint-Martin : les Noirs sont forts physiquement, ils sont doués pour le sport… Cette conception est récente. Elle remonte aux années 30 et aux médailles d'or de Jesse Owens aux Jeux de Berlin. Avant ses exploits, on ne parlait jamais d'une supposée "supériorité" des athlètes de couleur. Je ne cherche pas à faire l'unanimité. On ne peut pas contrôler ce que les gens disent sur vous. L'important pour moi est de savoir ce que j'ai fait ou ce que je n'ai pas fait.

Parmi tous vos héros, y en a-t-il un qui a compté plus que les autres dans votre construction personnelle ?

Non il n'y en a pas un en particulier mais j'aime beaucoup les réflexions de Franck Fanon. Sincèrement; c'est la personne qui explique le mieux à mes yeux les problématiques des couleurs de peaux. Il nous demande de sortir de cette prison, de nous voir comme des hommes et des femmes pour créer une société plus juste. Il place l'homme au centre de tout sans distinction. C'est un psychiatre, ce n'est sans doute pas un hasard.

A quoi consiste votre rôle au sein de la FFF ?
Je vais parfois aux réunions du Conseil Fédéral. Quand j'ai des choses à dire, je donne mon avis pour faire avancer les choses. Ce ne sont pas des décisions qui vont changer la face du football français. Je ne suis pas là pour travailler sur du court terme.

Comment vous voyez votre avenir ? Vous pensez revenir au sport ?

Je n'ai pas de plan d'avenir. Parce ce que je ne fonctionne pas comme ça. Ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est le travail que je fais au sein de la fondation. Ce livre est la première chose qui a été faite pour la fondation. Je suis en train de préparer un outil pédagogique pour les classes de CM1 et CM2. Je prépare aussi une exposition avec le Musée des arts premiers au Quai Branly. Voilà ce qui m'anime et me tient à coeur. A la fédé, ce n'est pas mon rôle aujourd'hui mais j'aimerais essayer de me servir du foot comme d'un moyen pour lutter contre les préjugés. Etre dirigeant, directeur sportif ou entraîneur, ça ne m'attire pas pour l'instant.

Vous parliez de changer les regards. Vous pensez que la victoire des Bleus au Mondial 98 a eu un effet justement ?

Ce n'est pas je pense, c'est sûr. Il y a un avant et un après 98. Les plus jeunes n'ont pas le même regard que ceux qui en ont cinquante ou soixante, c'est normal aussi. La Coupe du monde a participé à ce changement d'imaginaire. Le résultat ne se voit pas sur deux ans. regardez le débat sur l'identité nationale, ça déclenche des discours de racisme latent mais ça réveille aussi de la résistance. Les gens pensent que c'est difficile de parler du racisme. C'est tabou. Non… tout dépend de la façon de l'aborder. Je suis d'avis qu'on peut discuter de tout. Mais il ne faut pas culpabiliser certains, ni se poser en victime.

Source: Metro

Samedi 23 Janvier 2010
Boolumbal Boolumbal
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