Intronisation du 23e Ceerno Barooɓe : « Yo a jogoro jam ! » (Assume ta charge dans la paix) [PhotoReportage]



Intronisation du 23e Ceerno Barooɓe : « Yo a jogoro jam ! » (Assume ta charge dans la paix) [PhotoReportage]
Le dimanche 3 décembre 2017, Alassane Mamadou Daouda Baro a été intronisé Ceerno Barooɓe, devenant ainsi le vingt-troisième porteur du titre. La cérémonie d’intronisation s’est déroulée au lieu-dit « Tulel Barooɓe », sis à proximité du fleuve Sénégal, à quelque quatre kilomètres à l’ouest de Boghé, et à sept kilomètres au sud-est du village de Saré Ndoogu.

Dès le début de l’après-midi, des centaines de personnes, en files ou en groupes, et une armada de voitures convergèrent à Tulel Barooɓe, dans un nuage de poussière.

Si la plupart viennent de Saré Ndoogu, Boghé, Ndormboss, Mboon Jeeri et d’autres villages environnants, un grand nombre est venu de plus loin : de Haare Laaw, de Boumba, de Dakar, de Nouakchott, Nouadhibou, du Mali, du Niger, de la France et des Etats Unis.

La cérémonie de cette après-midi, est le cœur de l’événement, et en constitue ce qu’on pourrait appeler la séquence du pouvoir. Elle a été précédée (à Saré Ndoogu) par deux autres temps : celui du religieux et celui de l’histoire.

Le premier a eu lieu la veille, jusque tard dans la nuit, sous la forme de chants religieux, dans la continuité du Mowloud, célébré l’avant-veille. Pendant un moment, on a pu craindre que les généalogistes et les griots qui avaient squatté les lieux ne finissent par phagocyter le versant religieux cérémonie, mais le délicat équilibre entre islam et tradition fut sauvegardé, à la satisfaction des invités et des fidèles de Saré Ndoogu qui s’étaient déplacés en nombre.

Le second a occupé toute la matinée du dimanche. Une dizaine de chroniqueurs et d’historiens ont fait des présentations du passé ; mini conférences dont les propos se télescopaient, se chevauchaient, se contredisaient pour, en définitive, aboutir aux mêmes vérités : l’ancienneté et le prestige d’un clan, d’une famille, d’un patronyme.

Parmi les nombreuses personnalités qui ont tenu à honorer la cérémonie de leur présence, l’ancien président de la République, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, arrivé de Lemden. Vieil ami de la famille du nouveau Ceerno Barooɓe, il est ici autant en frère en islam qu’en voisin et allié.

Autres invités de marque, Dieng Boubou Farba, ancien président du Senat, Anne Amadou Babaly ancien ministre, Ismaila Wane, Ba Amadou Racine, Kane Souleymane, Kane Mamadou Hadya, Directeur du Musée National ainsi que Sow Moctar Aliou et Dia Hamady Hachemiou, respectivement député et maire de Boghé.

Vaste clairière, il y a encore peu, le site de Tulel Barooɓe est aujourd’hui en grande partie mangé par la nouvelle extension de la plaine de Boghé. L’espace dénudé est surmonté par une petite élévation de terrain. C’est elle qui a donné son nom au lieu.

Au sommet du monticule, une petite stèle posée sur un socle en béton est recouverte d’une bâche noire. Au bas de la butte, une tente aux dimensions généreuses ne peut contenir toute l’assistance.

Hommes et femmes, de tous âges et de toutes conditions, sont en si grand nombre que la moitié d’entre eux s’est installée tout le long de la crête de la digue qui sépare la clairière de la plaine aménagée, et ne voient la cérémonie que de loin. Face à la tente gigantesque, une estrade destinée à l’intronisation et un abri démontable pour protéger les officiants du soleil.

La cérémonie débute à l’heure prévue… enfin, presque. Il n’y eut ni cavalcade couleur poussière, ni troupes bariolées de chanteuses de « yelaa », ni danses effrénées et envolées de boubous et de pagnes.

Ce fut une cérémonie simple et digne, empreinte d’une solennité maîtrisée, avec juste ce zeste de légèreté que les griots et les troubadours, inévitables « importuns utiles », apportent aux rituels, même les plus compassés.

La récitation du Coran ouvre le cérémonial. Puis viennent les discours officiels. C’est ensuite au tour des généalogistes et des maîtres de la parole d’occuper plus que leur part d’espace et de temps. Puis vint le moment du cérémonial du turban, qui consacre l’installation du Ceerno Barooɓe et l’officialisation de son statut de chef spirituel et temporel de sa communauté.

Au sein de l’ethnie Haalpulaar, le terme « Barooɓe » désigne un grand et vieil ensemble social qui regroupe une douzaine, au moins, de patronymes : Baro, Sakho, Sylla, Kébé, Soumaré, Coreira, Gassama, Doukké (ou Doukouré), Caam, Talla, Touré…

Islamisés dès les débuts de la pénétration musulmane en Afrique subsaharienne, ils se sont lancés dans une longue migration qui les conduira des rives du lac Tchad à l’empire du Wagadou (Ghana), puis dans la vallée du fleuve Sénégal, après plusieurs étapes dans les Hodh, l’Assaba et le Tagant actuels.

Dans tous ces lieux, et où qu’ils vécurent par la suite, les familles (et les patronymes) constitutifs des Barooɓe furent d’ardents propagateurs de l’islam, des enseignants réputés et des maîtres spirituels vénérés.

Le titre de Ceerno Barooɓe date de l’époque du Tékrour. Il est probablement l’un des plus anciens titres qualifiant une autorité islamique au sein des Haalpulaar’en. Le titre de Ceerno Barooɓe est réservé à un Bareejo de patronyme Baro, et c’est à un autre Bareejo, de patronyme Kébé, celui-là, que la tradition confie la charge d’enrouler autour de la tête du nouveau Ceerno le « lefol » (turban), symbole du pouvoir.

L’homme auquel la charge est dévolue, aujourd’hui, a pour nom Bocar Babadia Kébé. Il sort du petit abri des officiants, une longue bande de tissu d’un blanc immaculé dans les mains. Sa démarche est raide, comme si un protocole secret l’obligeait à une lenteur hiératique.

Il délaisse l’estrade vide prévue pour le cérémonial, et se dirige vers la tente où le Ceerno Barooɓe est assis au premier rang, entre Abdoulaye Baro, son frère cadet, ancien ministre, et le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Après ce qui semble être une courte prière silencieuse, il entame le rituel, et enroule avec lenteur et délicatesse le long turban autour de la tête de celui qui est désormais le vingt-troisième Ceerno Barooɓe.

Un chœur de chants religieux a accompagné tout le cérémonial du « piilungal » (pose du turban) et, à peine le dernier acte accompli, les griots et autres tisseurs du verbe ont repris leurs déclamations hyperboliques, ponctué cette fois par les formules de vœux entonnés par les participants et les spectateurs : « Yo a jogoro jam ! » (Assume ta charge dans la paix !).

Au bout d’un moment, le Ceeno Barooɓe Alassane Mamadou Daouda se lève, imité aussitôt par l’assistance. Entouré de ses invités et, suivi par une foule compacte, il se dirige vers la stèle dressée au sommet de la butte. Il soulève la bâche qui la recouvrait, dévoilant une plaque portant ces mots (en Arabe, Pulaar et Français) : « Tulel Barooɓe un grand foyer de rayonnement islamique au début du deuxième millénaire ».

En soulevant la bâche, il a levé le voile sur le mystère du choix, en apparence insolite, de ce lieu hors du monde, choisi comme théâtre de son intronisation. Ce qui différencie cette cérémonie-là de toutes les autres tient d’abord au lieu où elle est organisée.

Car, cet endroit, depuis longtemps inhabité, fut l’une des grandes stations de la longue odyssée des Barooɓe.

Lorsque la dernière grande vague de leur migration atteignit le terroir de Mboon, dans l’ouest du pays qui prendra le nom de Fouta, c’est ici que les Barooɓe s’installèrent, et firent de Tulel Barooɓe un foyer ardent de transmission des savoirs islamiques. Á la fois port d’attache et point de départ vers des ailleurs lointains, et souvent définitifs, cet endroit est, pour chacun et chacune des Barooɓe, un passé sublimé et un espace mémoire.

Et ce qui donne à cette vingt-troisième intronisation du Ceerno Barobe un cachet d’exception c’est que Tulel Barooɓe, qui depuis bien longtemps n’était plus hanté que par les lézards et les vents, n’a pas vécu un tel événement depuis l’illustre Ceerno Barooɓe Baaba Demba, à la fin du XVe siècle.

Cinq cents ans. Un demi–millénaire. Une éternité. Ce retour à la « terre-mère » n‘est pourtant pas un retour aux sources. Juste la réparation d’un interminable hiatus.

Comme si l’Histoire, jetant un regard derrière elle, s’était aperçue qu’une déchirure longue de cinq siècles avait abîmé son manteau d’éternité, créant une fracture temporelle que les Barooɓe d’aujourd’hui avaient le devoir de réduire.

Que la personne à l’initiative de ce grand-œuvre soit aussi celle qui vient d’être intronisée vingt-troisième Ceerno Barooɓe ne peut que donner à cet événement une dimension particulière.

Outre la légitimité généalogique et celle de l’âge qui l’ont hissé au statut de Premier des Barooɓe, Alassane Mamadou Daouda BARO réunit en sa personne l’aura spirituelle, les compétences intellectuelles et les qualités humaines indispensables à qui s’est donné mission de restaurer un tissu social abîmé et de bâtir des ponts entre le passé, le présent et l’avenir.

Commission d’information.
sadaaly@gmail.com


Source : Sadaa Ly


Jeudi 14 Décembre 2017
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