Interview de Lo Gourmo. « Il faudrait que nous déterminions nos politiques (…) en fonction de nos propres intérêts »



Interview de Lo Gourmo. « Il faudrait que nous déterminions nos politiques (…) en fonction de nos propres intérêts »
Avocat au barreau de Nouakchott depuis 1988, Professeur d’université en France, LO Gourmo est l’un des rares mauritaniens qui ne changent pas de positions quelque soit les intérêts mis en jeu. Il a éprouvé beaucoup de difficultés pour exercer le métier ...

...d’avocat pour diverses raisons notamment politiquesavec les autorités de l’époque du régime d’Ould Taya. Sa prestation de serment a été reculée à plusieurs reprises alors qu’il avait été accepté par le bâtonnier. Après un long séjour au pays de Sarkozy où ce dirigeant de l’UFP continue ses activités professorales, Pr LO a ouvert un cabinet d’avocat à Nouakchott et un autre en France. LO Gourmo s’occupe des affaires dont certaines sont délicates, notamment politiques. Parmi toutes ces questions sensibles, a-t-il reconnu, celle de l’épouse de l’ancien président Sidi Ould Cheikh Abdallahi Mme Khatou Mint Boukhary qui avait été « doublement mise en accusation » par une commission parlementaire ici à Nouakchott juste avant le coup d’Etat et pendant la période du coup d’Etat qui avait renversé son mari. S’en était suivi un procès « extrêmement difficile » tenu à Dakar contre l’imprimeur sénégalais Baba Tandian qui avait accusé, l’ex-première dame d’être à l’origine du coup d’Etat. En séjour à Nouakchott pour des raisons professionnelles, nous l’avons approché et le Professeur s’est prêté à nos questions. Entretien



Tahalil : La Mauritanie vient de rappeler son ambassadeur au Mali suite à la libération des présumés combattants d’Alqaïda au Maghreb Islamique. Vos impressions?

LO Gourmo :
Je comprends parfaitement la mauvaise humeur du gouvernement mauritanien. Parce que ce n’est pas bien d’agir de manière unilatérale lorsqu’un de vos compatriotes est accusé d’une erreur aussi grave. Et que vous fassiez comme si effectivement il y avait que vos intérêts qui sont mis en cause. Puisque les Maliens ont vu que leurs intérêts avaient trait avec ceux des Français. Ils ont agi en sous-traitant les intérêts français. Ce n’est pas bien. Nous aurions du avec les Algériens et les Maliens traiter l’affaire en voisins puisque nous sommes des frères. Et quand on est frères, on est en famille. Et quand on est en famille on ne peut pas traiter les choses comme si les autres n’existent pas. Il fallait avoir une attitude commune face à ce problème. Kouchner a fait des pressions sur le Mali pour récupérer leur citoyen et il a eu gain de cause. C’est grave parce que la France ne voit que les intérêts de ses ressortissants. Et ça quelque soit les conséquences qui en découleront Regardez ce qui s’est passé au Tchad avec l’affaire des enfants volés par l’Arche de Zoé. La France a fini par ramener ses compatriotes qui pourtant ont commis des actes condamnables. Nous ne pouvons pas être au service de la diplomatie française. Voilà pourquoi et je comprends bien, pourquoi l’Algérie et la Mauritanie ont eu une sorte d’humeur. Moi, si j’étais à la place, je ne rappellerai pas l’ambassadeur, ce n’est pas bien. Parce que quand un frère commet une erreur comme ça, on envoie un émissaire pour le lui dire. On le sermonne. Maintenant que c’est fait, il faut essayer de ne pas donner à cette affaire une tournure diplomate tragique. Je crois que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Les peuples sont gênés et cela peut susciter autre chose. Je comprends les mauritaniens et les algériens. La France n’aurait pas du nous mettre dans une telle situation.

T : Vous étiez parmi les avocats conseils de l’ex-première dame de Mauritanie, Mme Khatou Mint Boukhary. Une commission parlementaire était désignée pour enquêter sur sa fondation. Vous avez porté plainte contre l’imprimeur sénégalais Baba Tandian.

LG :
C’est un dossier pourtant simple mais qui, pour des raisons politiques, avait été un dossier extraordinairement complexe. Puisque des accusations qui avaient été portées contre Mme Khatou Mint Boukhary, étaient en vérité des accusations qui entouraient un peu l’ambiance qui avait précédé le coup d’Etat. On voulait la diaboliser, donner à l’administration son cas comme étant un cas de gabegie ou de détournement de pouvoir. Mme Khattou avait également fait l’objet d’une campagne de diffamation qui nous avait amené à aller en procès au Sénégal contre M. Baba Tandian, Président du Groupe Tandian multimédia, éditeur du journal « Le Matin » avec un de mes collègues, Me Moulaye El Ghaly et Me Aïssata Tall Sall du barreau sénégalais. J’avoue que c’était un procès extrêmement difficile même si nous l’avions gagné.

T : Donc cela nous amène à dire que la justice mauritanienne n’est pas indépendante?

LG :
Disons qu’à l’époque c’était surtout le parlement qui est concerné. La justice mauritanienne n’avait pas été touchée pour son cas ici même si à l’époque nous apprêtions à le faire. Mais c’est au Sénégal qu’il y avait un procès que nous avons gagné contre Baba Tandian qui, à la veille du coup d’Etat, avait porté des accusations contre Mme la Présidente. Ceci étant dit, en ce qui concerne la justice en Mauritanie comme beaucoup d’institutions judiciaires en Afrique, c’est une justice qui a beaucoup de difficultés à s’affirmer par rapport à l’exécutif et au parlement mais surtout par rapport à l’exécutif. Puisque notre justice est un long héritage d’un système de parti unique et de régime militaire où les juges avaient été formés non pas seulement sur le plan universitaire mais sur le plan politique et pratique pour obéir aux ordres de ceux qui dirigent le pays. Donc de l’exécutif. Et cela a créé une tradition, une mentalité, un système de fonctionnement où l’indépendance de la justice est extrêmement difficile à identifier. Evidemment il y a des juges qui essayaient de s’imposer, de s’affirmer etc. Il y a un combat par beaucoup de juges à l’intérieur de l’institution pour affirmer leur indépendance. C’est un combat qui mène au même titre que d’autres secteurs de la vie nationale où des gens essaient de rendre pratique des idées démocratiques qui sont affirmées. Mais je dois dire que de tous les secteurs, le plus difficile à faire respecter la séparation des pouvoirs c’est le secteur de la justice.

T : Apportez-vous assistance aux victimes de la justice et/ou de l’injustice?

LG :
Evidement. Dans toute la mesure du possible et autant que faire se peut. Mon cabinet essaie de mettre en œuvre toutes les ressources du droit que la loi permette pour empêcher que la justice ne soit pas mise en défaut. Donc pour imposer le respect du droit. Ce n’est pas facile. C’est un combat quotidien. Notre barreau en Mauritanie est confronté à des difficultés quotidiennes dont certaines difficultés emblématiques liées à ce que le pouvoir politique veut coûte que coûte imposer ses juges et leur système judiciaire. Et parfois il peut même réussir. On a le cas emblématique de votre confrère journaliste Hanafi dont la situation est très caractéristique de ce que je suis en train de vous dire. Pour ceux qui exercent le pouvoir, il leur est difficile d’accepter que leur volonté n’est pas suffisante pour imposer la loi. Que la loi est au-dessus de leur volonté une fois qu’elle a été votée. Que le droit est pour tout le monde et protège tout le monde y compris leurs adversaires. Que le droit n’est pas quelque chose ou une ressource que l’on utilise comme on veut, mais que c’est un bien commun. Ceux qui dirigent peuvent être des victimes de demain. Et ceux qui sont les victimes d’aujourd’hui, peuvent être ceux qui dirigent demain. Donc on a tous intérêt les uns et les autres, pouvoir comme opposition et en tant qu’individu on a intérêt à ce que la règle de droit soit respectée. Que le système fonctionne de manière anonyme c’est-à-dire indépendamment des personnes concernées. Tout ça pour vous dire le combat que nous menons au barreau mauritanien à travers les avocats mais aussi que les magistrats mènent eux-mêmes. Ce combat-là est un combat de sécurité pour tout le monde qui dépasse même les clivages politiques ou qui devrait les dépasser. Mais il y a des enjeux considérables sur les plans politique, économique et financier. Tout le monde n’est pas dans la bonne disposition d’une justice indépendante. C’est le moins qu’on puisse dire.

T : Quels sont les cas fréquents que vous défendez ?

LG :
Ce sont les cas types de pauvres gens qui sont sans ressources, qui sont les oubliés de la société pour des raisons les plus diverses et le plus souvent les plus injustes. Et qui font face aux gens puissants et parce qu’ils sont puissants, ils peuvent se permettre de les mettre dans cette situation. Donc ce sont des cas d’injustice fragrants dont les étrangers sont souvent victimes parce qu’ils ne sont pas protégés.
En nombre d’affaires et en blessures morales, ce sont ces cas pour moi les plus importants. Ce sont les cas de petits gens dont on ne parle jamais ou dont on ne parle pas et qui sont les plus caractéristiques de cette situation. Si vous allez dans les prisons de Nouakchott par exemple la prison des femmes ou si vous allez dans n’importe quel commissariat de police, la chose qui vous frappe le plus c’est cette immense détresse qui frappe les petits gens, les gens sans importance comme on dit. Des gens arrêtés pour des raisons difficiles à expliquer et qui sont sans avocats. Mais aussi il y a les cas plus spectaculaires. Ce sont les cas d’injustice politique. On a donné le cas de Hanafi mais presque tous les régimes politiques mauritaniens, l’ennemi politique est l’ennemi judiciaire.

T : Selon vous, est-ce que cela ne mérite pas une campagne de sensibilisation pour conscientiser les autorités politiques au pouvoir ?

LG : Normalement c’est ce à quoi on aurait dû s’attendre. Mais en principe il doit y avoir plus d’une sensibilisation que d’en avoir une véritable éducation des gens à tous les niveaux. L’Etat ne peut pas être crédible sur le terrain de la défense des valeurs et de notre civilisation et sur le terrain de la modernisation de cette vie, s’il n’intègre pas ce volet dans l’éducation courante quotidienne. Pour faire comprendre aux uns et aux autres que la justice est aussi importante que l’aliment que vous mangez et que le droit de protester lorsqu’il y a injustice est le premier des droits civiques. Tant que quelqu’un ne se rend pas compte que protester quand il fait l’objet d’une injustice est un droit fondamental, il n’aura rien. Même si l’Etat ne fait pas exprès de violer les droits des individus, la machine elle, continuera de violer parce que le petit gendarme ou le petit policier du coin, n’agit pas parce qu’il a reçu un ordre de l’Etat mais parce qu’il croit que sa tenue lui donne des droits d’agir de cette façon. Donc le jour où on aura instauré l’idée que la révolte contre une injustice est un droit élémentaire et que cela sera dans l’éducation de tout un chacun, puis pris en charge par chacun en ce moment là on aura créé l’environnement nécessaire à l’instauration d’une véritable démocratie citoyenne.

T : Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans votre carrière professionnelle ?

LG : La principale difficulté, comme je vous l’avais dit, c’est les difficultés de reconnaissance. J’ai trop souvent pensé que les choses se passent ailleurs que dans les prétoires. Que les décisions sont prises en dehors des plaidoiries. Que le sort de chacun est scellé en dehors des cabinets. Et donc en dehors des juges. C’est la principale difficulté et concerne donc en vérité des idées mêmes que l’on se fait de la justice. Soit comme produit national partagé soit accessoire de mode ; voilà l’enjeu. On se bagarre pour des choses nouvelles en fonction des choix nouveaux. Et c’est ça dans ce pays comme beaucoup de pays en Afrique et par rapport à la question de la justice. Il y a un déphasage historique entre le système juridique tel qu’il fonctionne et le système tel qu’il devrait fonctionner. Si nous ne parvenons pas à briser les chaînes du passé pour pouvoir être réellement dans le présent, on ne pourrait pas s’appliquer. Voilà la question à méditer.

T : Quelles sont les qualités d’un bon avocat ?


LG : Je crois que c’est l’honnêteté. C’est réellement les qualités de tout un chacun. Je ne pense pas que les êtres humains vont être découpés en terme de valeur morale. Quelque soit le métier que vous faites, avocat, vendeur de charbon, ministre … les qualités morales sont absolument les mêmes. On exige de vous que vous soyez honnête. Par contre dans le cadre professionnel, il y a des choses qui sont liées au professionnalisme. C’est-à-dire que l’avocat doit connaître son dossier, préparer son dossier. Et ça c’est l’expression de son honnêteté. Parce que comment vous allez être honnête alors que vous ne connaissez pas votre dossier. Il faut avoir le cœur accroché.

T : La situation politique en Mauritanie ?


LG : La situation politique du pays est très compliquée par le fait que tout le monde est dérouté. On est à la fois dans une situation de normalisation en même temps d’exception. Une situation dans laquelle on sent que l’on sort d’un coup d’Etat mais sans réellement en sortir. Puisque la mentalité qui s’est installée, est une mentalité que désormais tout est possible si on a les moyens et les forces de s’installer. On a ouvert les choses qui peuvent, du jour au lendemain encore toujours produire ses effets dans les mêmes conditions. Regardez ce qui se passer au Niger. Les conditions ne sont pas tout à fait les mêmes entre le Niger et la Mauritanie. Et l’acte de coup d’Etat est un acte qui produit toujours une progéniture, des enfants qui ne sont pas toujours les enfants de la démocratie en ce qui concerne en tout cas les règles et les pratiques. Donc nous vivons dans cette situation. Il revient donc au Président Aziz actuellement au pouvoir de nous crever cet abcès. C’est lui qui a mis le pays dans cette situation. C’est lui seul et non l’opposition qui a une responsabilité historique par rapport à ce qui se fait comme toute opposition dans le monde. Elle a dit après le coup d’Etat que nous voulons négocier. Elle aurait pu refuser de signer les accords de Dakar et laisser pourrir la situation. Mais nous avons voulu signer parce que nous voulons sortir le pays dans cette situation d’impasse. Nous avons accepté qu’Aziz puisse se présenter et c’est la principale concession qu’on a fait. Mais aujourd’hui, celui qui est au pouvoir croit que les rapports de forces sont absolument en sa faveur. Il se trompe. Les rapports de forces sont dans l’apparence. D’ailleurs, je me demande les rapports de forces sont en faveur de qui que ce soit en Mauritanie. Nous sommes donc dans une situation d’incertitude profonde. Chacun a intérêt à une normalisation entre pouvoir et opposition et à une démilitarisation des idées.

T : La situation de la communeauté internationale face au terrorisme en Mauritanie?

LG : Je dirais à la communauté internationale ceci. Ne faites pas de l’égoïsme dans le règlement de la question du terrorisme. Parce que quand on parle de la communauté internationale, on parle des pays européens, soyons claire, on parle de la France pour être précis, de l’Italie, de l’Espagne, de l’Allemagne dans la sous région. Et l’expérience de 50 ans de relations avec ces pays montre que les classes dirigeantes de ces pays sont d’abord fondamentalement guidées par la recherche de leurs intérêts. Et que ça va jusqu’à l’obsession criminelle. C’est dangereux concernant la question du terrorisme de venir avec une telle préoccupation de l’intérêt exclusif. Nous sommes un pays très fragile où les dissensions sociales et autres sont extrêmement fortes. Et où diriger avec une manière de ce qu’on appelle le terrorisme peut en vérité déboucher sur la somalisation. Souvenez-vous que lorsque la Somalie a dégénéré, a basculé, les occidentaux ont voulu unilatéralement intervenir sans précaution et en avant n’ayant que leurs intérêts puisque leur objectif c’était de mettre les bases militaires. La conséquence, ils ont créé une unanimité contre eux, et ils ont donné à des mouvements que je considère comme des mouvements irrédentistes une possibilité d’expansion extraordinaire.
Autrement dit il ne faut pas violer notre souveraineté, notre unité nationale et notre démocratie au nom de la lutte contre le terrorisme. Il faut faire en sorte que la lutte contre le terrorisme soit une lutte collégiale. Entreprise d’abord et avant tout au service de ceux qui sont immédiatement victimes, les Mauritaniens. Bien que les terroristes en voyage soient kidnappés et je sais que ce sont des êtres humains qui méritent d’être défendus. Mais on ne peut pas mettre leurs intérêts au-dessus de ceux de notre pays. Il ne faut pas qu’une prise d’otages soit transformée en marché.
Il faudrait que nous-mêmes mauritaniens, maliens et sénégalais définissions nos objectifs et nos conditions d’existence, déterminions nous-mêmes nos politiques en fonction de nos propres intérêts. C’est seulement en ce moment là, que nous pourrons déterminer quel partenariat noué avec les autres. C’est valable pour l’ensemble de notre coopération avec les autres particulièrement en terme de sécurité. Il ne faut pas que les autres nous disent quelles sont nos priorités en terme de sécurité. Il ne faut pas que la Mauritanie soit considérée comme une muraille de Chine. Il faut donc partir de nos propres intérêts pour faire face à ces impératifs.
Propos recueillis par Sada Mbodj et Ibou Badiane


Source: Jounal Tahalil

Jeudi 25 Février 2010
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