Document rare : Compte rendu du S/Lieutenant FALL Mahfoud co pilote accompagnant le pilote Kader lorsque leur avion a été abattu le 16 juillet 1977



Nouakchott, le 22/07/1977

République Islamique de Mauritanie
Ministère de la Défense Nationale
Etat Major National
- GARIM –

Le S/Lieutenant FALL Mahfoud, Matricule 71.091
En service au GARIM

A
Monsieur le Colonel Ministre de la Défense,
Chef d’Etat Major National – Nouakchott.
(Voie Hiérarchique)

Objet : compte rendu

J’ai l’honneur de vous rendre compte de ce qui suit :
Tout a commencé dans la matinée du 16 juillet 1977, j’étais à ma base d’Atar quand nous avons appris l’attaque contre la ville de Zouerate. Nous étions en alerte et le Commandant avait pris toutes les mesures en vue d’un appui aérien aux troupes amies en accrochage avec l’ennemi. Le Commandant Kader venant de Nouakchott à bord d’un SKYVA N s’est posé à Atar à 11 h 10.
Le capitaine N’Diaye a redécollé avec le SKYVAN à destination de Zouerate où il devait assurer une évacuation. Nous avons également décollé le Commandant et moi après avoir pris contact avec les unités en accrochage.

Vers 13 h 00 nous avons survolé les unités amies au Sud Est de Zouerate sur les traces de l’ennemi. Par contact radio les amis nous ont dit qu’ils ont perdu contact physique. Avec les conditions météorologiques très défavorables, nous avons cherché les traces de l’ennemie pendant au moins deux heures et nous arrivions à la limite de notre autonomie ; nous avons redécollé vers 16 h 30. Les conditions météo mauvaises ; après une demi-heure de recherche nous avons pu détecter les traces ennemies qui se dirigeaient vers Tourine.

Le temps nous obligeait à voler bas si nous voulions rester sur les traces de l’ennemi. Une heure de temps après notre décollage, c’est-à-dire vers 17h 30, nous sommes tombés sur l’ennemi en embuscade dans un Oued. De ma place, j’ai crié au Commandant : « Attention ! Ils sont dans l’Oued » Et avant qu’on ait pu réaliser quoi que ce soit, l’avion était secoué par les rafales 18-8. Nous avons pu gagner un peu d’altitude ; le Commandant est rentré en contact avec les unités amies et leur a dit : « Nous sommes à la verticale de l’ennemi et nous vous donnons sa position dans un moment ». Position que nous n’avons jamais donnée bien sûr. Pendant que le Commandant transmettait ce message, j’ai pris ma carte et cherchons notre position quand tout à coup une explosion assourdissante, une secousse extraordinaire et l’avion en pique.
Très rapidement nous nous sommes ressaisis pour contrôler l’avion. La cabine arrière était envahie par le feu qui progressait rapidement vers la cabine de pilotage. Nous avions un gros trou juste derrière mon siège. Le moteur droit arraché, tout le coté gauche dans le vide et notre observateur le 2ème classe Ahmed Ould Mohamed Abdallahi n’était plus dans l’avion. C’est-à-dire que la fusée est entrée par le coté droit et est sortie par le coté gauche emportant avec elle le valeureux soldat qui était assis derrière nous. Nous avions juste le moteur gauche qui tournait seul comme s’il n’était plus attaché au reste de l’avion. Le feu gagnait maintenant la cabine et l’ensemble de l’appareil qui n’était qu’un brasier volant. Alors commençait pour nous une double lutte ; d’une part contre le feu qui tenait à nous dévorer d’autre part contre l’avion qui piquait le nez vers le sol.

Enfin le contact avec le sol, l’avion part en girouette, roule quelques secondes, s’immobilise. La porte de la cabine s’est déverrouillée sous le choc. Je tente vainement de prendre une bouteille d’eau derrière moi, le feu m’en empêche. Nous évacuons rapidement l’avion, quelques secondes plus tard l’avion explose. Il était temps. Alors dans un sprint digne des grands champions olympiques, nous nous sommes éloignés de l’épave. Nous nous sommes retournés et avons vu un véhicule ennemi descendre de la crête vers l’avion. Le commandant me cria : « Couchez vous et ne bougez plus ». Le véhicule a tourné autour de l’avion et on vit les autres véhicules descendre vers l’avion. La flamme devenait de plus en plus grande et grand nombre d’ennemis tournait à la méthode indienne autour de l’avion.

Alors commença pour nous la quatrième étape de cette extraordinaire aventure : celle du chasseur et de la bête blessée à mort. L’ennemi se mit en dispositif aligné et progressait dans notre direction. On vécut des minutes dramatiques, lentes ; les véhicules s’approchaient ; il n’y avait rien à faire ; il fallait attendre, mais attendre quoi ? Alors ce qu’on attendait se produisit.

Le miracle ! Ils étaient au moins à 300 mètres, sur un terrain dégagé, notre sauveteur arrivait à temps ; le vent de sable qui n’était pas de la partie se leva imposant, implacable et nous enveloppa. Une minute plus tard, l’ennemi nous tourna le dos et le vent salutaire, le sable bienfaisant continuait à faire écran entre l’ennemi et nous. Je sortis ma montre et regardais l’heure. Il était 18 h 15. Encore deux heures avant la nuit. Deux heures qui nous ont paru deux siècles. A la tombée de la nuit, j’ai rejoint le Commandant en rampant, il était à 5 mètres de moi, il me prit dans ses bras, m’embrassa très fort et me dit : « Du courage mon petit, on s’en sortira ». J’avais entièrement confiance en moi et en mon Chef que je savais un homme valeureux. Nous nous sommes éloignés de l’épave d’au moins 3 Km. Dans l’obscurité, nous avons commencé à tâtonner, nous sommes tombés sur une plante que le Commandant connaissait. Nous sucions les feuilles dans l’espoir d’avoir un peu de liquide. Le Commandant me dit : « Ecoute moi mon petit, nous avons échappé à tous les obstacles qui se sont dressés devant nous jusqu’à présent, y’a pas de raison qu’on ne s’en sorte pas. C’est sur que nos amis ont déjà déclenché l’alerte et mettrons tous les moyens en œuvre pour savoir ce qui nous est arrivé ». Il me fit comprendre que notre seul moyen de survie était notre avion.
Après ce conseil, nous nous sommes couchés sans dormir bien sur. Dès les premières heures de l’aube, on s’est levé. On apercevait la dérive de l’avion. Après le petit-déjeuner (un morceau de sucre qu’on a cassé en deux), on prit la direction de l’avion.

C’était une carte à jouer car l’ennemi pouvait encore y être en embuscade. Nous avons décidé quand même de jouer cette carte. Alors commença la fameuse progression vers l’incertain vers ce qu’on appelle « la vie ou la mort ». Vers 08 h 00, nous avons atteint l’épave ; les lieux étaient vides pas une trace de vie, le vent sifflait sinistrement et au milieu de cette nature hostile gisait le maître des cieux dévoré par le feu. Nous avons tourné autour de l’épave dans l’espoir de ramasser un bidon d’eau mais au lieu de l’eau, c’est les mines qui nous attendaient. Nous les avons détectées et localisées. L’épave était amputée de certaines parties que l’ennemi a amenées avec lui. Des slogans étaient inscrits sur l’avion tels que « Pas de paix, pas de tranquillité ».

Après une reconnaissance dans les environs immédiats de l’avion, nous avons découvert le corps d’un ennemi, plus loin la rampe de roquettes gauche de l’avion. Nous avons essayé de faire du feu dans l’espoir que les amis qu’on savait à notre recherche puissent être attirés par la fumée. Nous avons fait du feu avec les pneus droits qui étaient par ailleurs la seule partie de l’avion épargnée par le feu. Mais déjà un vent très fort soufflait à ras du sol, ce qui faisait que la fumée ne s’élevait pas plus de 2 mètres et restait parallèle au sol. Nous étions dans une plaine ; des mouvements de terrain et de crête se profilaient au loin devant nous ; le soleil n’était pas encore chaud, le vent malgré sa force nous apportait un peu de fraîcheur. Nous avions encore l’espoir, ce qui nous faisait oublier la soif qui se faisait sentir quand même.

Il était 09 heures du matin, nous nous sommes dirigés donc vers une de ces hauteurs d’où pensions nous, qu’on pourrait avoir une vue générale sur toute la région. Après une longue marche qui nous a fatiguée, car nous avions mal estimé la distance qui nous séparait de ces hauteurs, nous sommes arrivés sur la première crête pour observer, moi je suis descendu dans l’Oued pour le reconnaître à cet endroit même où hier devrait commencer pour nous cette extraordinaire aventure. J’avais espéré que l’ennemi dans sa précipitation de rejoindre l’avion qu’il voyait piquer au sol aurait laissé derrière lui un bidon d’eau ou qu’il y aurait un puit à cet endroit. Déception total bien sur. Je ne voyais plus le Commandant. Il devait être sur l’autre flanc de la crête. Je me suis couché sous un arbuste pratiquement sans ombre. J’ai été rejoint par le Commandant un moment plus tard. Sans rien nous demander l’un ni l’autre ce n’était pas nécessaire, ça se lisait sur nos visages, il me dit qu’on rejoignait l’avion.
Un regard furtif sur ma montre qui indiquait 10 h 30. Alors commençait pour nous la marche la plus dure, plus longue de ce périple infernal. Le soleil avait déjà parcouru les 40% de sa course journalière, nous, nous avions consommé les 80% de notre énergie.

Nous avions l’impression que plus on marche en direction de l’épave, plus celle-ci s’éloignait davantage. Nous sommes arrivés quand même à l’atteindre pour nous écrouler à coté. A la recherche de l’ombre, nous nous sommes mis chacun sous une aile. Le soleil était maintenant à la verticale et avait redoublé d’intensité. La soif, plus que jamais se faisait sentir, la fatigue paralysait les membres. Mais nous gardions espoir encore. On s’attendait à quelque chose. Il fallait que cela se produise. D’où ? Comment ? Quand ? On ne pouvait le dire, mais on s’attendait à quelque chose quand même, il était 13 h 45. Tout à coup un cri : « Fall, ils sont là ! Les amis sont là ». Je ne savais pas d’où sortaient ces cris. Je fus animé momentanément d’une force hors du commun qui m’a propulsé à l’extérieur. C’était un rêve ! Le miracle s’est produit ! Je n’osais pas en croire ! Et pourtant les avions étaient là, à notre verticale ! Nous sommes sortis en courant et remuant les torchons que nous avions et qu’on utilisait pour nous protéger du vent de sable qui nous pénétrait par tout « ils nous ont vus ? Ils ne nous ont pas vus ? » Telles sont les questions qui traversaient machinalement mon esprit. On les voyait s’éloigner, s’éloigner. Ils deviennent petits, petits infiniment microscopiques, alors seulement à ce moment là, j’ai su que nos chances avaient pris les mêmes proportions. Sans rien nous dire, nous nous sommes retournés chacun à son gîte, vaincus, désespérés, impossible de rester dans telle ou telle position, j’avais le feu au corps ; la gorge entièrement desséchée et remplie de sable, les narines bouchées. Ce vent qui hier nous avait miraculeusement sauvés en nous enveloppant était entrain de nous donner le coup de grâce.

Je me fis une raison. Plutôt mourir que de tomber entre les mains de nos ennemis. Il fallait une fin à tout. Nous avons lutté jusqu’au bout et le bout était atteint, nous nous sommes honorablement comportés envers la cause que nous défendons, envers nous. Pour nous la lutte était finie, nous n’en pouvions plus. Sachant la fin s’approcher, j’ai sorti mon passeport et utilisant mes dernières forces physiques et mentales et j’ai adressé le message qui suit à mon peuple :
« Comme tant de nos compagnons, nous sommes tombés au champ d’honneur pour la sauvegarde de la dignité du peuple mauritanien, pour l’intérêt du peuple, pour l’unité nationale. Que notre sacrifice soit un exemple pour tous les hommes épris de justice et de paix. Nous perdons une bataille, mais notre peuple gagnera la guerre ». J’étais fier de moi et peu m’importait que ce soit l’ennemi ou nos amis qui retrouvent nos corps. Je me disais : quelle volonté animait les fils de la Mauritanie et jusqu’où ils sont prêts à aller. Si c’était nos amis, notre peuple saurait que ses enfants sont tombés honorablement.

Après ces dernières pensées, je sombrais dans le néant. Je ne sentais plus aucune douleur, aucune soif, aucune fatigue. Le temps que cet état a duré je ne saurais le dire. Je baignais dans cet état comatique quand je perçus un bruit infiniment lointain, qui semblait me parvenir des entrailles de la terre. Je sentis une force surnaturelle me projeter à l’extérieur. Ce n’était pas possible, ils étaient là, plantés devant moi ! Des hommes ! Nos amis ! Et je n’entendais que les hommes crier « Ils sont vivants ! Ils sont vivants ».

Il était temps, on n’aurait pas pu tenir une heure de plus.
C’était la fin de notre cauchemar.

Source: http://www.colonelkader.net

Jeudi 17 Mars 2016
Boolumbal Boolumbal
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