
Je m’appelle Djenaba, et je suis apprentie metteur en scène. Je dis bien apprentie, car je n’ai signé pour le moment qu’une seule mise en scène. Je suis née à Paris en 1983, de parents originaires de Mauritanie. Mon grand-père était en France bien avant moi et mon père. Il a combattu pour cette nation, non par conviction, mais parce que la Mauritanie était alors une colonie française.
Mon père a débarqué en France à seize ans. Il m’a raconté que, lorsqu’il a exprimé à mon grand-père son désir d’immigrer, ce dernier le lui a interdit, lui demandant ce que diable il ferait dans ce pays trop froid. Ce fut alors qu’il prit secrètement le bateau d’Algérie vers Marseille. Il fit venir ma mère peu après, ayant trouvé une bonne situation. C’était, selon mon père, la belle époque.
Ma passion de la scène me mena au lycée Molière qui a la meilleure option théâtre de Paris, cent pour cent de réussite au baccalauréat et un partenariat précieux avec la Comédie-Française. C’est là que je fis mes premier pas de comédienne et de metteur en scène.
Il y a là bas un professeur nommé Yves Steinmetz, et je souhaite à tous les jeunes apprentis théâtreux de tomber sur un tel professeur. Il m’a tout appris, et fait partie de cette infime race d’enseignants qui exercent par passion, et non pour le confort du fonctionnariat français.
Je sors du lycée Molière major de ma promotion (uniquement en pratique théâtrale, évidemment). Je passe ensuite le concours d’entrée à l’école du Studio d’Asnières avec succès. J’y reste cinq mois.
Un événement survenu dans ma vie me pousse à m’exiler à New York pour intégrer le célèbre Actor’s Studio de New-York. Je devais partir parce que j’étouffais dans ce milieu artistique français, élitiste et bourgeois.
J’avais besoin de savoir qu’autre chose existait. Paris m’aurait peut-être fait perdre ma passion pour le théâtre. L’Amérique m’a fait comprendre que Charles Bronson pouvait réciter Racine.
J’y suis restée deux ans, et j’eus la chance de pouvoir interpréter Viola dans La Nuit des Rois de William Shakespeare.
Je rentre ensuite en France, nous sommes alors en 2006 ; je passe le concours d’entrée au conservatoire du onzième arrondissement de Paris. J’y reste deux années scolaires.
Il fut très difficile pour moi de reprendre le chemin artistique français après avoir connue la diversité américaine. J’ai failli raccrocher à la fin de ma première année, mais ce conservatoire est le seul de Paris qui, en deuxième année, offre la possibilité de pouvoir monter une pièce. Une carte blanche qui permet aux élèves d’éprouver le métier de metteur en scène sans intervention directe des professeurs sur leur travail. Je décidai alors d’y rester une année de plus, et ce, grâce à Mr Victor Hugo. C’est ainsi que je signai ma première mise en scène, Cromwell ou Les Conjurés, qui est l’adaptation du Cromwell de Hugo.
Cromwell
Victor Hugo commença sa carrière par ces mots « Je veux être Châteaubriant ou rien ». Je commencerais bien la mienne en disant « je veux être Antoine Vitez, Peter Brook ou rien ». Ce fut à l’âge de dix-huit ans que je lus pour la première fois Cromwell. Il se passa alors quelque chose de magique.
J’ai toujours eu une passion pour la mise en scène et la direction d’acteurs, choses que j’ai approfondies chez Lee Strasberg ; mais je me souviens que je trouvais un grand plaisir à diriger les petites scénettes que nous travaillions à Molière. Nicolas Lormeau, pensionnaire au Français, qui était alors notre intervenant, appelait, (pour rigoler) mes scènes « les superproductions de Djenaba ».
La passion que j’ai éprouvée à l’étude de « la Préface » de Cromwell avec Mr Steinmetz à Molière m’a amenée à lire la pièce. J’avais alors dix-sept ans. Et là… au fur et à mesure de la lecture, des images se formèrent dans ma tête ; mon esprit donnait vie aux cavaliers, aux chevaliers royalistes, aux puritains et au Lord protecteur d’Angleterre Olivier Cromwell. Il se passa alors quelque chose que je n’explique toujours pas aujourd’hui : la magie créatrice ? Je vais citer encore une fois l’écrivain Croate Mirko Kovac : « Lorsqu’on est amoureux, on veut que tout le monde le sache ».
Cette pièce n’a cessé de me hanter depuis cette première lecture. Alors évidemment, lorsqu’à 24 ans, j’eus, à travers le conservatoire, l’opportunité de monter ce que je voulais (à condition d’être validé par un jury composé de professeurs), je sautais sur l’occasion, et passai quatre mois à adapter l’œuvre gigantesque de monsieur Hugo.
Pourquoi avant moi personne ne s’est-il risqué à cette aventure ? Je n’ai pas de réponses, mais Victor Hugo dit dans sa préface : « Je ne désespère pas qu’un jour, quelqu’un puisse extraire de cette pièce une autre pièce qui se hasardera alors sur scène »… Fus-je Ai-je été cette personne ?
Arriva septembre, mes professeurs validèrent la pièce, et je commençai avec huit acteurs cette aventure qui allait durer deux ans ; nous sortîmes la pièce à la fin de la première année scolaire, au conservatoire. Le succès inattendu ( ?) de la pièce nous amena à la reprendre seuls à la rentrée suivante, hors conservatoire, tels d’apprentis théâtreux, désireux de devenir spécialistes. Nous la sortîmes professionnellement en avril dernier au théâtre Adyar.
Cette pièce a déterminé mon choix définitif d’être metteur en scène.
Au centre André Malraux
Mon histoire avec la Bosnie a démarré au centre André Malraux. C’est la confiance que Francis m’a témoigné dès le départ qui m’a poussée à me dépasser dans ma création artistique. Ce défi de monter une pièce bosnienne, en Bosnie et en bosniaque a été relevé et rendu possible grâce à la générosité des gens du Centre André Malraux, et la réelle rencontre que j’ai eue avec Francis Bueb.
Etre résidente artistique au Centre André Malraux est la meilleure carte de visite que je peux avoir en Bosnie.
Tous ces gens ont un immense respect pour Francis Bueb ; il est considéré comme un des leurs. D‘abord par sa résistance à travers la culture, mais aussi et surtout par le fait qu’il est l’un des seuls à avoir prolongé ce geste en restant dans ce pays pour la part la plus difficile : la reconstruction.
Je vais citer une nouvelle fois, pour conclure, la phrase de l’écrivain irlandais Column McCann qui synthétise à la perfection ce que j’essaie de vous dire : « Les histoires doivent toujours continuer. Imaginez ce que serait Sarajevo sans le centre André Malraux(…) ou sans l’histoire elle-même. L’idée de ne pas témoigner est presque insupportable. Quelle direction prend une route sans témoins ? »
Source : La Règle du Jeu.org
Mon père a débarqué en France à seize ans. Il m’a raconté que, lorsqu’il a exprimé à mon grand-père son désir d’immigrer, ce dernier le lui a interdit, lui demandant ce que diable il ferait dans ce pays trop froid. Ce fut alors qu’il prit secrètement le bateau d’Algérie vers Marseille. Il fit venir ma mère peu après, ayant trouvé une bonne situation. C’était, selon mon père, la belle époque.
Ma passion de la scène me mena au lycée Molière qui a la meilleure option théâtre de Paris, cent pour cent de réussite au baccalauréat et un partenariat précieux avec la Comédie-Française. C’est là que je fis mes premier pas de comédienne et de metteur en scène.
Il y a là bas un professeur nommé Yves Steinmetz, et je souhaite à tous les jeunes apprentis théâtreux de tomber sur un tel professeur. Il m’a tout appris, et fait partie de cette infime race d’enseignants qui exercent par passion, et non pour le confort du fonctionnariat français.
Je sors du lycée Molière major de ma promotion (uniquement en pratique théâtrale, évidemment). Je passe ensuite le concours d’entrée à l’école du Studio d’Asnières avec succès. J’y reste cinq mois.
Un événement survenu dans ma vie me pousse à m’exiler à New York pour intégrer le célèbre Actor’s Studio de New-York. Je devais partir parce que j’étouffais dans ce milieu artistique français, élitiste et bourgeois.
J’avais besoin de savoir qu’autre chose existait. Paris m’aurait peut-être fait perdre ma passion pour le théâtre. L’Amérique m’a fait comprendre que Charles Bronson pouvait réciter Racine.
J’y suis restée deux ans, et j’eus la chance de pouvoir interpréter Viola dans La Nuit des Rois de William Shakespeare.
Je rentre ensuite en France, nous sommes alors en 2006 ; je passe le concours d’entrée au conservatoire du onzième arrondissement de Paris. J’y reste deux années scolaires.
Il fut très difficile pour moi de reprendre le chemin artistique français après avoir connue la diversité américaine. J’ai failli raccrocher à la fin de ma première année, mais ce conservatoire est le seul de Paris qui, en deuxième année, offre la possibilité de pouvoir monter une pièce. Une carte blanche qui permet aux élèves d’éprouver le métier de metteur en scène sans intervention directe des professeurs sur leur travail. Je décidai alors d’y rester une année de plus, et ce, grâce à Mr Victor Hugo. C’est ainsi que je signai ma première mise en scène, Cromwell ou Les Conjurés, qui est l’adaptation du Cromwell de Hugo.
Cromwell
Victor Hugo commença sa carrière par ces mots « Je veux être Châteaubriant ou rien ». Je commencerais bien la mienne en disant « je veux être Antoine Vitez, Peter Brook ou rien ». Ce fut à l’âge de dix-huit ans que je lus pour la première fois Cromwell. Il se passa alors quelque chose de magique.
J’ai toujours eu une passion pour la mise en scène et la direction d’acteurs, choses que j’ai approfondies chez Lee Strasberg ; mais je me souviens que je trouvais un grand plaisir à diriger les petites scénettes que nous travaillions à Molière. Nicolas Lormeau, pensionnaire au Français, qui était alors notre intervenant, appelait, (pour rigoler) mes scènes « les superproductions de Djenaba ».
La passion que j’ai éprouvée à l’étude de « la Préface » de Cromwell avec Mr Steinmetz à Molière m’a amenée à lire la pièce. J’avais alors dix-sept ans. Et là… au fur et à mesure de la lecture, des images se formèrent dans ma tête ; mon esprit donnait vie aux cavaliers, aux chevaliers royalistes, aux puritains et au Lord protecteur d’Angleterre Olivier Cromwell. Il se passa alors quelque chose que je n’explique toujours pas aujourd’hui : la magie créatrice ? Je vais citer encore une fois l’écrivain Croate Mirko Kovac : « Lorsqu’on est amoureux, on veut que tout le monde le sache ».
Cette pièce n’a cessé de me hanter depuis cette première lecture. Alors évidemment, lorsqu’à 24 ans, j’eus, à travers le conservatoire, l’opportunité de monter ce que je voulais (à condition d’être validé par un jury composé de professeurs), je sautais sur l’occasion, et passai quatre mois à adapter l’œuvre gigantesque de monsieur Hugo.
Pourquoi avant moi personne ne s’est-il risqué à cette aventure ? Je n’ai pas de réponses, mais Victor Hugo dit dans sa préface : « Je ne désespère pas qu’un jour, quelqu’un puisse extraire de cette pièce une autre pièce qui se hasardera alors sur scène »… Fus-je Ai-je été cette personne ?
Arriva septembre, mes professeurs validèrent la pièce, et je commençai avec huit acteurs cette aventure qui allait durer deux ans ; nous sortîmes la pièce à la fin de la première année scolaire, au conservatoire. Le succès inattendu ( ?) de la pièce nous amena à la reprendre seuls à la rentrée suivante, hors conservatoire, tels d’apprentis théâtreux, désireux de devenir spécialistes. Nous la sortîmes professionnellement en avril dernier au théâtre Adyar.
Cette pièce a déterminé mon choix définitif d’être metteur en scène.
Au centre André Malraux
Mon histoire avec la Bosnie a démarré au centre André Malraux. C’est la confiance que Francis m’a témoigné dès le départ qui m’a poussée à me dépasser dans ma création artistique. Ce défi de monter une pièce bosnienne, en Bosnie et en bosniaque a été relevé et rendu possible grâce à la générosité des gens du Centre André Malraux, et la réelle rencontre que j’ai eue avec Francis Bueb.
Etre résidente artistique au Centre André Malraux est la meilleure carte de visite que je peux avoir en Bosnie.
Tous ces gens ont un immense respect pour Francis Bueb ; il est considéré comme un des leurs. D‘abord par sa résistance à travers la culture, mais aussi et surtout par le fait qu’il est l’un des seuls à avoir prolongé ce geste en restant dans ce pays pour la part la plus difficile : la reconstruction.
Je vais citer une nouvelle fois, pour conclure, la phrase de l’écrivain irlandais Column McCann qui synthétise à la perfection ce que j’essaie de vous dire : « Les histoires doivent toujours continuer. Imaginez ce que serait Sarajevo sans le centre André Malraux(…) ou sans l’histoire elle-même. L’idée de ne pas témoigner est presque insupportable. Quelle direction prend une route sans témoins ? »
Source : La Règle du Jeu.org