Discours de Néma : dits et non-dits



Le discours « historique » du président Mohamed Ould Abdel Aziz à Néma a porté sur des questions attendues mais aussi, en filigrane, sur d’autres qu’il faut mettre sur le compte des non-dits. Mais ce qui a été dit suffit largement pour comprendre ce qui ne l’a pas été à propos des adversaires politiques du rais et de son propre avenir politique.
Il ressort de ce discours que le président était résolu à faire face à ses adversaires politiques et à répondre, coup pour coup, à leurs critiques. Il ne s’est pas suffit seulement de cela, mais ses flèches empoisonnées ont pratiquement touché tout le monde.
Nonobstant les chiffres et ce que le président a présenté comme une bonne santé économique du pays, la portée trilogique du développement, de la politique et de la sécurité sera au centre de la polémique, notamment en ce qui concerne l’or, le diamant et les milliards de la BCM. Ce que le président a dit reste dans le domaine des chiffres astronomiques et n’a aucune emprise sur le vécu du citoyen ordinaire qui trouve de la peine à manger quotidiennement. Et si l’on accepte que ce que le président a dit est vrai, on sera alors obligé de donner raison au dicton « des citoyens pauvres dans un pays riche. »
Concernant la sécurité, le président Aziz a nié catégoriquement l’existence de pacte secret avec Al qaeda affirmant que son pays n’a donné aucun dollar à cette organisation terroriste, malgré que la source de cette information soit les forces spéciales américaines et les documents qu’elles ont saisi lors du raid contre le domicile d’Ossama Ben Laden, en 2011, au Pakistan.
Ce que le président a dit sur cette affaire n’est cependant pas le premier démenti de la Mauritanie de ce que ces documents sont censés avoir révélé mais le style adopté par lui était plus ferme, et plus téméraire, quand il a déclaré que ces « sources » sont jalouses du succès de la Mauritanie dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, dont le dernier en date était la destruction d’un véhicule appartenant à des trafiquants de drogue au nord du pays.
Au moment où les forces armées et de sécurité réalisent ces exploits, l’opposition est occupée par sa « guerre » avec les réalisations du pouvoir, en évoquant le vol du sac à main d’une femme dans la rue, ajoute le président.
Il est vrai que la sécurisation du territoire national est un acquis mais la protection des citoyens ordinaires à l’intérieur est aussi un devoir moral.
Le président a parlé d’acquis réel, comme l’établissement d’un état-civil fiable, souvent critiqué par l’opposition, mais l’Agence se doit de prêter plus d’attention aux citoyens ordinaires pour leur délivrer les documents.
Le président n’a pas utilisé le « langage des gens de Néma », quand il a abordé la question de la constitution, et de la possibilité d’un troisième mandat, qui bute encore contre le serment prêté lors de l’investiture ; il a préféré plutôt utilisé « le langage des gens de Nouakchott » pour répondre à l’opposition qui, dans certains cas, emploie le lexique de l’Iguidi. Je ne vous dirai pas beaucoup de chose sur l’avenir mais je peux vous affirmer qu’on procédera à la suppression du sénat et à la création de conseils régionaux pour s’occuper de la gestion des affaires locales. Ce propos a laissé comprendre qu’il y aura bel et bien un amendement constitutionnel imminent mais ce qui n’a pas été dit, c’est que ces changements seront le fait de la majorité du président et de ses partisans. Parce que l’opposition est composée, selon ses dires, « d’ennemis de la nation » qu’il empêchera, par tous les moyens, d’arriver au pouvoir. S’agit-il de perceptions basées sur des données statistiques réelles ou d’informations erronées livrées par des officines de renseignement.
Nonobstant les sources du président, de telles déclarations, avant le verdict du peuple, peut être considéré comme un vrai coup de force, de même nature que la modification de l’article 99 de la constitution.
Les amendements constitutionnels annoncés vont provoquer de vrais changements dans le système de gouvernement, répondant, dans certains cas, aux demandes de renforcement de la décentralisation, mais les lois la réglementant vont appeler à plus de prudence dans un pays aussi vaste que la Mauritanie et où vivent diverses communautés nationales et où se trouvent deux « langues officielles », sans pour autant que ses citoyens puissent communiquer avec une seule d’entre elles à cause de politiques éducatives désastreuses !
Le président a raison effectivement de prononcer la dissolution de cette appendicite qu’est le sénat, l’une des images de la bureaucratie ayant contribué à vider l’action parlementaire de son sens et épuiser inutilement les ressources de l’Etat.
Quand Aziz parle de la France en termes de « ancienne puissance colonisatrice » et d’amie de l’opposition qui écoute ses conseils, cela voudrait-il dire qu’il y a un relâchement dans les relations entre Nouakchott et Paris ? Surtout qu’Aziz a déclaré qu’il n’avait pas accepté de suivre la France dans son aventure militaire malienne « parce que les objectifs visés n’allaient pas dans l’intérêt de la Mauritanie ». Cela signifie-t-il que la France a exercé des pressions sur le pouvoir pour répondre à certaines exigences de l’opposition, ou bien l’Elysée a-t-il mis en garde le régime contre l’atteinte à la constitution ? Il y a sans nul doute, ce qui a provoqué le courroux du rais et l’a poussé à faire comme Taya, quand il avait dit « non » à la France et à sa justice et donné un ultimatum à ses soldats pour quitter le pays, mais quoi au juste ?
Les présidents qui se rebellent contre la métropole peuvent-ils rester longtemps au pouvoir ? Beaucoup, dont Ould Taya lui-même, peuvent répondre à cette question.
Disons, pour finir, que la Mauritanie s’apprête à vivre dans les prochains mois, des changements radicaux, à l’intérieur et à l’extérieur : le dialogue avec ceux qui le veulent, l’organisation d’élections anticipées, renforcement des prérogatives du parlement et au Premier ministre, l’orientation outre atlantique, suite à un probable froid entre Paris et Nouakchott, parce que les Américains sont plus compréhensibles, quand il s’agit de répondre à la question : que faut-il faire prévaloir ? La « sacralité » de la démocratie ou les intérêts ? La célèbre réplique de l’artisan de sa diplomatie, Henri Kissinger, reste d’actualité : « il n’a pas des amitiés durables, mais des intérêts durables ». Et c’est cela la boussole qui oriente aujourd’hui la Maison Blanche.
Mohamed Néma Omar


Source: http://elhourriya.net

Dimanche 8 Mai 2016
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