Chronique Politique de Mauritanie 2014 (Partie 2)

CHRONIQUE POLITIQUE DE MAURITANIE

RÉÉLECTION DU PRÉSIDENT MOHAMED OULD ABDEL AZIZ, AVANCÉE DE L’ISLAMISME RADICAL ET MOUVEMENTS SOCIAUX CONTRE L’ESCLAVAGE INTERNE ET POUR LES DROITS CIVIQUES DES MINORITÉS NOIRES.



Chronique Politique de Mauritanie 2014 (Partie 2)
Élections présidentielles : un résultat attendu


Les préparatifs des élections ont commencé tardivement et sans beaucoup d’enthousiasme. Après l’annonce de la non participation des partis de l’opposition, et les quelques candidatures indépendantes issues des élections législatives de 2013, on savait que les dés étaient jetés et on s’attendait à une réélection sans problèmes du président Aziz.
Au mois de mai, Ahmed ould Daddah, l’un des dirigeants du Forum national pour la démocratie (FNDU), déclare que son groupe ne participera pas aux élections présidentielles4. Deux thèmes ont été soulevés comme causes de cette décision : les listes électorales qui n’ont pas été correctement établies, et le contrôle exclusif des bureaux de vote par l’administration. En effet, lors des élections législatives seulement 600 mille personnes ont pu voter, alors que le pays aurait 2 millions d’électeurs, et, d’autre part les Mauritaniens à l’étranger, environ 500 mille personnes, n’ont pas tous des cartes électorales. Quant aux bureaux de vote, les représentants des partis de l’opposition n’ont jamais été associés aux opérations électorales. Après une tentative de dialogue avec les représentants du gouvernement, la COD a décidé de boycotter les élections, en dénonçant « un agenda unilatéral », et un recensement qui exclue des citoyens des listes électorales. Ce sont les mêmes raisons qui avaient été invoquées lors des élections législatives de novembre 2013.

Finalement, cinq candidats indépendants se sont présentés aux élections : Ibrahim Moctar Sarr, député et président de l’Alliance pour la justice et la démocratie ; Lalla Mariem mint Moulaye Idriss, Biram ould Dah ould Abeid, président de l’IRA, dont la candidature a été finalement acceptée par le Conseil constitutionnel ; Ahmed Salem ould Bouhoubeini, bâtonnier de l’ordre national des avocats de Mauritanie ; Boydiel ould Humeid, leader du parti El Wiam ; et le président Aziz, chef de file du parti Union pour la république. Dans sa campagne électorale, qui aurait reçu le soutien financier de l’Algérie [Mondafrique du 5 juin], Aziz a répété ad nauseam les prétendus acquis de son gouvernement depuis 2008, en particulier un taux de croissance de 6,7% dû à la lutte contre la corruption et la gestion des ressources publiques, la maîtrise de l’inflation, et les améliorations des infrastructures hospitalières. De plus, le taux de chômage aurait été ramené de 31% à moins 10%, le pays aurait un excédent en énergie qui lui permettrait de l’exporter vers les pays voisins. Enfin, des étapes importantes auraient été franchies pour instaurer la sécurité dans l’ensemble du territoire, l’éradication du terrorisme, la maîtrise des frontières et le renforcement des forces armées.

Aziz a promis de renforcer ces acquis, de rehausser l’image de la Mauritanie et d’accorder priorité aux couches déshéritées, notamment les jeunes. Il a critiqué directement les partis de l’opposition qui ont appelé au boycott des élections, affirmant qu’il s’agissait « d’une vaine tentative de plonger le pays dans une situation non constitutionnelle. » [Kassataya, NoorInfo du 16 juin]. On ne peut pas savoir à qui pouvait s’adresser ce type de discours assez éloigné de la réalité sociale mauritanienne, et qui est facilement démontable pour peu qu’on consulte les sites des nouvelles fiables dans les réseaux sociaux. Il est donc probable que le président Aziz n’ait pas encore pris la mesure des changements de taille qui caractérisent la situation politique dans le monde entier, et aussi, même si cela peut sembler étonnant, en Mauritanie, qui s’est connectée massivement sur Internet depuis environ une dizaine d’années. Depuis lors, les hommes politiques ne peuvent plus mentir de manière ouverte, il faudrait que le président et ses fonctionnaires prennent compte de cela.

Chronique Politique de Mauritanie 2014 (Partie 2)
Les résultats des élections du 21 juin reflètent la situation de démocratie de façade qui caractérise la Mauritanie depuis 1992, date des premières élections présidentielles au suffrage universel. Selon le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Abdallahi ould Soueid Ahmed, Mohamed ould Abdel Aziz fut crédité de 577 995 voix, soit 81,89% des suffrages valables ; et le taux de participation fut de 56,46%, sur environ 1,3 millions d’électeurs en Mauritanie. Le second poste fut occupé par Biram ould Dah ould Abeid, président de l’IRA, qui reçut 61 218 suffrages, soit 8,67%. Bodiel ould Houmeid, du parti El-Wiam se classe troisième avec 31 773 suffrages, soit 4,50% des voix. Ibrahima Moctar Sall, représentant de la communauté noire, a obtenu 31 368 suffrages, soit 4,44% des voix ; et la seule femme, Lalla Mariem mint Moulay Idriss a obtenu 3 434 suffrages, soit 0,49% des voix.

Les discours de la campagne ont été plus radicaux que dans les années précédentes, Aziz s’est attaqué aux partis de l’opposition, alors que le candidat des groupes serviles s’en prenait au « système bidân », aux partis de l’opposition, aux hommes d’affaires et autres riches personnages de la place. L’enjeu des élections était le taux de participation, et il est vrai que les Mauritaniens ne se sont pas déplacés en masse pour voter dans un scrutin surveillé par environ 700 observateurs, dont 200 étrangers, qui n’ont pas observé d’anomalies [AFP, NoorInfo du 23 juin]. Cependant, des observateurs indépendants ont signalé la mise en place d’une vaste fraude électorale ; ainsi le journaliste Mohamed Mahmoud ould Bakar considère que cette élection replonge la Mauritanie dans les « légalités croupissantes » gérées par l’armée, comme en Algérie, en Égypte et en Libye.

Les listes électorales utilisées dateraient de celles mises en place par les militaires en 2006 pour gérer la « transition » ; la majorité des jeunes en âge de voter n’a pas été enregistrée. En outre, la campagne de Mohamed ould Abdel Aziz a instrumentalisé, comme il est habituel dans le pays, les institutions étatiques, les notabilités tribales et religieuses, et les hommes d’affaires [El Emel El-Jedid, NoorInfo du 9 juillet]. Il faut ajouter que la propagande des partis s’est accompagnée par les représentations habituelles, depuis 1992, de concerts de musique bidân et noire- mauritanienne, au grand bénéfice des artistes, des musiciens et du peuple qui profite pendant quelques jours des joies culturelles agrémentées, parfois, de banquets d’autrefois. Du pain et du cirque pour le peuple, pour lui faire oublier le temps d’une soirée les difficultés de la vie quotidienne, que ne connaissent pas les (petites) élites de la Mauritanie.
Le président réélu a choisi, encore une fois, d’accorder son premier entretien à un média étranger, en l’occurrence Jeune Afrique, ce qui a été remarqué et critiqué par la presse nationale, dont le CRIDEM qui n’apprécie pas, à juste titre, les positions ambiguës de cette revue qui accorde son intérêt plutôt à l’événementiel qu’aux problèmes de fond du continent.

Le 5 juillet, Mohamed ould Abdel Aziz déclarait, à Akjoujt, encore une fois que grâce à lui « on a stoppé la menace jihâdiste du pays », ce véritable slogan de campagne électorale est devenu un slogan qui prétend résumer son programme de gouvernement. Le plus surprenant de cet entretien est que la journaliste Justine Spiegel n’a posé aucune question sur les problèmes mauritaniens; ainsi, ni le «passif humanitaire », ni les mouvements sociaux, ni le programme du gouvernement du président n’ont été évoqués. Elle s’est contentée de questions très générales, en particulier sur les conflits dans les pays voisins (Mali, Centrafrique) et en Syrie, et le président a apporté les réponses convenues habituelles [JA du 8 juillet5].

Chronique Politique de Mauritanie 2014 (Partie 2)
Les positions de l’opposition : le gouvernement n’affronte pas les graves problèmes du pays

Le 9 juillet, l’un des plus populaires chefs des partis d’opposition, Mohamed ould Mouloud [Union des forces du progrès, UFP], a déclaré au journal Al-Akhbar que le résultat de cette réélection était « assimilable à un nouveau coup d’État après celui de 2008 mené par ce même Ould Abdel Aziz ».

L’opposant considère que ce dernier a empêché la tenue d’élections transparentes, libres et consensuelles. En conséquence, le large front des forces démocratiques, réuni autour du Forum national pour la démocratie (FNDU), travaille sur une nouvelle stratégie qui cherchera un « changement démocratique, authentique et pacifique ». Mohamed ould Mouloud considère également que « le pays traverse une véritable impasse politique », alimenté par le gouvernement lui-même, ce qui expose la Mauritanie à l’instabilité car l’impasse peut dégénérer et aboutir à une situation non souhaitable ».

Cela d’autant plus que « le pays connaît une crise multiforme qui s’ajoute aux tensions ethniques. Ainsi, « on peut comparer la situation à une marmite qui bouillonne et dont le couvercle peut sauter à tout instant ! ». Plus précisément encore : « la Mauritanie est dans une situation telle que s’il n’y a pas de vraies solutions aux problèmes confrontés, le risque sera l’effondrement du pays et de l’État. »
Dans un autre entretien accordé le 16 octobre au Calame6, Mohamed ould Mouloud a déclaré que le gouvernement refuse le dialogue avec le FNUD, et qu’il montre bien ne pas être disposé à faire la moindre concession à l’opposition. Pourtant, d’après lui, un changement est inéluctable ; « un changement brutal, violent, peut avoir un coût trop lourd, et peut être suicidaire pour le pays... Au vu de ce qui se passe ailleurs en Afrique et dans le monde, le plus souhaitable est sans doute un changement maîtrisé qui passe par un dialogue véritable... ». Face au faux dilemme devant lequel le président Aziz semble avoir placé le pays : « c’est moi ou le chaos », ould Mouloud considère que le vrai chaos, dans tous les domaines de l’administration, dérive directement de la « gestion erratique et égocentrique » du président Aziz. Raison pour laquelle il avance que la seule issue est « une large entente nationale patriotique pour sauver le pays ». Ce dialogue devra être centré sur les graves problèmes du pays : la crise politique, les menaces sécuritaires, la crise sociale, le «passif humanitaire, les contentieux identitaires, les problèmes de l’esclavage et la corruption. Autant de questions ignorées par le gouvernement actuel qui, d’après ould Mouloud, se livre plutôt à des jeux de politique politicienne qui ne conduisent nulle part.

Ces analyses reflètent la grande fracture existante entre la classe politique loyale au pouvoir en place, qui compte avec le soutien indéfectible des forces armées, mais qui reste aveugle et sourde face aux graves problèmes du pays, et de la classe politique, réduite il est vrai, qui tente un changement en gérant de front ces problèmes. Cela étant posé, il est aussi évident que la position du Forum national pour la démocratie (FNDU), qui a succédé à la Coordination de l’opposition démocratique (COD) créée en 2013, reste affaiblie au moins pour deux raisons. D’abord, parce que les forces politiques, de n’importe quel mouvement, doivent participer aux élections si elles veulent introduire leurs agendas et leurs revendications sur la scène nationale ; autrement elles restent marginales et marginalisées, sans aucune base réelle ni au parlement, ni sur la place publique. La non-participation du FNUD aux élections de juin 2014 fut donc, à mon sens, une erreur politique qui a anéanti le rôle de contre-pouvoir qu’ils auraient pu jouer en Mauritanie pour les cinq années à venir. Deuxièmement, toutes les tentatives déployées par les partis d’opposition pour se rallier derrière un candidat aux élections présidentielles se sont soldées par un échec, et c’est là que se situe probablement l’impasse structurelle de ces formations depuis les années 1992, lors des premières élections présidentielles au suffrage universel.
On aborde ici une question intéressante du point de vue de l’anthropologie politique qui concerne le conflit entre le mode ancien du politique et celui qui peut être nommé moderne suivant les nuances mauritaniennes. Dans le monde de jadis, encore présent dans les zones rurales, les anciens avaient/ont la préséance dans les affaires politiques des unités sociales. Mais dans le monde moderne, ce sont les jeunes éduqués qui sont appréciés et choisis pour représenter les groupes sociaux. Or, l’opposition des hommes politiques selon leur âge et leur éducation n’est pas encore bien réglée dans le cadre de la politique régionale et nationale.

Ainsi, des vétérans des partis politiques ont beaucoup de mal à s’en éloigner pour laisser la place aux jeunes, comme dans certains pays développés, et les jeunes n’acceptent plus de rester aux marges. D’où une double source de conflit, entre les jeunes et vis-à-vis des anciens, et entre les anciens, comme l’illustre la rivalité constante entre Ahmed ould Daddah (candidat à la présidentielle de 1992 et de 2007), et Messaoud ould Boulkheyr [chef historique du mouvement de libération des groupes serviles El-Hor, ancien président de l’Assemblée nationale]. Bref, on peut avancer que les partis de l’opposition devront apprendre à dépasser les « coutumes d’autrefois » et les rivalités tout à fait actuelles s’ils veulent devenir un pôle politique alternatif digne de ce nom en Mauritanie.

A Suivre...
Lire aussi: Chronique Politique de Mauritanie 2014 (Partie 1)

Dr Mariella Villasante Cervello
Institut de démocratie et droits humains (IDEHPUCP, Lima, Pérou)



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4 Voir l’entretien qu’il a accordé à Mondafrique le 3 mai 2014 : http://www.noorinfo.com/Presidentielles- mauritaniennes-la-braise-couve-sous-la-cendre_a13261.html
5 Voir : http://www.noorinfo.com/Mohamed-Ould-Abdelaziz-Nous-avons-elimine-la-menace-jihadiste-en- Mauritanie_a13862.html
6 Voir : http://www.lecalame.info/?q=node/842..


Source: http://www.noorinfo.com

Mardi 30 Décembre 2014
Boolumbal Boolumbal
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