28 novembre : 'Un jour pour regarder l’avenir' par Bios Diallo*.



28 novembre : 'Un jour pour regarder l’avenir' par Bios Diallo*.
Nous y voilà : 28 novembre 2010 ! Un jour dans le calendrier. Et, sans surprise, il est des dates qui imposent des arrêts. Afin de mieux fixer l’avenir. Et un peuple qui regarde son histoire, est un peuple fier.

L’acte peut-être posé à tous les âges. Mais il n’y a pas meilleur symbole que l’âge de la maturité. Et 50 ans, c’est bien un seuil de mi-parcours dans toute existence. Des passerelles de vie ponctuées : trois ans de plus de vie, par-ci. Cinq ans de douleurs, par-là. Des haies toujours déséquilibrées.

Le 28 novembre, la Mauritanie souffle ses 50 bougies d’Etat souverain. Partie de rien, la Mauritanie n’avait qu’un viatique : l’ambition de ses premiers leaders, l’âme solidaire de ses peuples et amis.


Ses peuples, ce sont ses différentes nationalités ; maure, peule, soninké, wolof et… bambara. Les amis, ce sont les pays voisins : Sénégal, Mali, Maroc. Sans oublier des nationalités plus lointaines.

L’on peut citer des Tunisiens, Béninois, Togolais, Congolais, Tchadiens, Guinéens qui, à cause de leurs implications dans les rouages de l’administration coloniale et la main-d’œuvre spécialisée, seront parmi nos premiers pourvoyeurs d’agents administratifs et autres.

Pour l’Etat qui sortait des dunes, c’était salutaire. Puis, grâce à la clairvoyance et la détermination d’un jeune avocat, la Mauritanie s’invente ses propres leaders politiques et entrepreneurs. Devenu le premier président de la République indépendante, Me Moktar Ould Daddah façonne les contours du nouvel espace.

Le pays, qui était retissant à l’école française, autant du côté des tribus maures que de certaines chefferies soninkés et halpulaar’en, commence à envoyer massivement ses enfants dans les classes du Blanc.

Loin de se soucier si ce que ses progénitures apprendraient vaudrait ce qu’elles oublieraient, pour paraphraser les propos de la Grande Royale de L’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane [Julliard, 1961]. Le but visé était de « savoir lier le bois au bois […], l’art de vaincre sans avoir raison », dixit la même œuvre.

Après avoir su lier le bois au bois, la Mauritanie, dans l’esprit de son président, se construira sur des décennies d’équilibre. Au plan continental, elle rayonne (Je reviendrai là-dessus, plus loin). Puis arrive le désastreux adage : la vie n’est toujours pas un fleuve tranquille ! Bien sûr, nous aurions souhaité nous passer de cette expérience.

Sauf qu’à l’intermède, 1980-1990, l’art d’exclure sans avoir raison nous heurte en plein élan. Le vaincre se fait à travers la force, la violence, le deuil souvent. L’image du pays en pâtît : c’est la triste nuit des événements de 1989 et leurs corollaires. Et, qu’on m’excuse d’une traduction littérale d’un proverbe de chez nous : « tout ce que gatte une main, une main peut le réparer ».

Autrement dit, un acte d’injustice commis par une main est toujours réparable par une autre. Voilà pourquoi la Mauritanie de 2010 est bien aux antipodes de la décennie 80-90. Aujourd’hui, de nouvelles ambitions se dessinent. Et comme les grandes tragédies exacerbent les émotions, il faudra bien trouver les moyens de passer les deuils. Pour un projet de société digne, en vue de tourner toute page noire de notre histoire.

A nous de briser les gaines. Depuis 2005 tous les pouvoirs qui se sont succédé œuvrent à cela. Le retour des victimes des événements de 1989 chez eux, l’instauration de la démocratie, du dialogue national et l’exhortation à une culture du pardon, sont un ensemble de volontés à saluer. Et à soutenir. Puisque, après les crachins de l’histoire, il faut un remède de cheval pour remettre un pays dans sa droite posture.

Ici la parole, ou l’acte, qui amadoue. Telle cette prière à l’absent, présidée le 25 mars 2009 à Kaédi par le président Mohamed Ould Abdel Aziz. L’humilité retiendra simplement qu’il s’agit là d’éviter à notre pays de se faire surprendre par quelque autre malencontreux événement de nature à saper une énième fois notre foi.

Inassouvies, nos ambitions ? Peut-être. Mais c’est le moment de repartir du bon pied. Appelons 2010 l’an zéro, pour un nouveau départ. Les cinquante années écoulées étant logées, quelque part, sous la toile de notre passé. Bâtissons les cinquante prochaines années dans l’amour de la paix, avec le moins d’épineux possible.

L’avenir ensemble.

La Mauritanie appartient à tous les Mauritaniens. Qu’ils soient aux commandes ou à la périphérie du pouvoir. Pauvres, riches ou hauts perchés, tous doivent prendre part aux festivités de l’indépendance. L’instant, du 28 novembre, est magique. Il est celui de la mémoire d’un peuple qui a gagné son autonomie, hissé haut son drapeau dans le concert des nations libres.

Le président du Comité d’organisation du Cinquantenaire, le ministre secrétaire général de la présidence, Mr Sy Adama, ne cesse de marteler : « L’indépendance de la Mauritanie appartient à tous les Mauritaniens. Nous invitons, par conséquent, tout le monde à y prendre part. A quelque niveau que ce soit. […] Nous avons écrit officiellement à des gens. Nous avons discuté avec certains, et sollicité d’autres en aparté. Mais bon… ».

En clair, une invite à l’adresse de ceux qui voudraient bouder les festivités : partis politiques d’opposition, ou simples irréductibles opposants. Le 28 novembre est sacré. Celui de 2010 sera pour le bilan de nos 50 ans. Le tumulte et ses sédiments. Si nous avions connu des errements dramatiques, par le passé, c’était le fruit de nos écuelles politiques. Aujourd’hui, nous devons pouvoir nous nous surpasser. Cheminer vers des horizons meilleurs.

Afin de donner corps aux nouvelles volontés résolument tournées vers le bien-être de tous. Et nulle blessure de se reconnaître dans le règne d’un fils. Le tout étant de pouvoir composer en bonne intelligence. Pour la Nation, la Patrie.

La Mauritanie, une gomme arabique pour le continent.

Il se dessine que les festivités du 28 novembre seront « modestes, sobres ». Plus culturelles, peut-être. Mais les symboles seront là : des délégations africaines et maghrébines. Ce n’est pas rien, puisqu’il s’agit de notre rôle d’antan.

L’ancien, et premier président de la Mauritanie, Me Moktar Ould Daddah, est, après Sékou Touré, celui qui a dit NON à plusieurs projets français. Il quitte la Zone franc, pour créer sa propre monnaie, l’Ouguiya. Dans la foulée, il renonce à la Subvention de l’équilibre financier que la France proposait à tous les Etats francophones. Il nationalise la société des mines de fer (la Miferma). Révise, enfin, tous les accords de coopération. Bien entendu, en le faisant, il s’aliène la sympathie du gouvernement français.

On tente de « l’affamer ». Mais, déterminé, il exhorte son peuple à supporter la pègre, le temps de la soudure puisqu’il avait en mémoire ce qu’on avait fait subir à Sékou Touré au lendemain de son historique NON à De Gaulle. Par ses gestes, Ould Daddah gagne l’estime de l’Afrique. Et fait de son pays une plaque tournante, entre l’Afrique au sud du Sahara et celle du nord.

Invité, en mai dernier à Dakar, aux festivités du centenaire de la naissance de l’écrivain sénégalais Alioune Diop, je disais que le choix de ma personne dans ce concert des hommages n’était pas fortuit. Il en allait de même pour le choix de ma contribution : « Le panafricanisme vu sous le prisme d’un regard mauritanien » !

Il y avait là l’ombre d’une drague suspecte : dire la Mauritanie ! Le pays qui se situe sur une corde tenue par l’Afrique noire d’un côté, l’Afrique maghrébine arabe de l’autre. Les nations forestières, ornées de fleuves d’un côté, et le sable du Sahara hospitalier de l’autre. Autant dire une terre bénite, ceinte de contours pluriels. Ses peuples, blancs et noirs, symboles d’un arc-en-ciel à piquer des jalousies! Le tout sous le parvis d’une foi commune, l’islam. La religion unie, même s’il faut se méfier des causes collectives.

Me Moktar Ould Daddah, de 1960 au 10 juillet 1978, n’a jamais raté un seul Sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). Il affichait son panafricaniste, pour le bonheur de tous ses admirateurs. Elu à Kinshasa, le 21 juin 1971, il sera président de la haute institution africaine pendant une année. Et comme l’on doit taire l’humilité devant celui qui a pris le soin de laisser son propre témoignage, voilà ce qu’il écrit dans ses mémoires, La Mauritanie Contre vents et marées [Ed. Karthala, 2003] :

« Durant ma présidence, j’ai essayé d’accomplir la mission que mes pairs m’avaient confiée […] J’ai animé deux commissions, celle des Dix sur le Moyen-Orient et celle de la réconciliation sénégalo-guinéenne. J’ai surtout essayé, à travers le monde entier, de faire entendre la voix et les plaintes de l’Afrique dont toute la partie méridionale gémissait alors sous le joug du colonialisme portugais et le système inhumain de l’apartheid en Afrique du Sud, en Namibie et en Rhodésie du sud » (p441).

Pour accomplir la dernière tache, Ould Daddah fera, en trois phases, le périple le plus long d’un président en exercice. Il met dans sa délégation les ministres des Affaires Etrangères d’Algérie, du Cameroun, du Kenya, du Mali, de la Zambie en plus du Secrétaire général de l’OUA, et son adjoint, et enfin son propre gouvernement.

Ils visitent tous ensemble treize pays à travers trois continents : l’Amérique, l’Europe et l’Asie. Ils feront les Etats-Unis, le Canada, l’Islande, la Suède, la Norvège, la Finlande, le Danemark, la Hollande, la Belgique, la Grèce, la Suisse, la Turquie et le Japon. Et sous son égide, l’OUA tient pour la première fois un Conseil de sécurité à Addis-Abeba.

Voilà comment Ould Daddah se forge une diplomatie très panafricaine dans son pays. Son ministre des Affaires Etrangères, Hamdi Ould Mouknass dont la fille Naha exerce aujourd’hui les mêmes fonctions, sera de tous les fronts. Les grands dossiers « chauds », ou de simple recherche d’amitié entre les peuples [on doit à Moktar notamment le grand rapprochement entre l’Empire du milieu, la Chine, et les pays africains] passent par la Mauritanie.

Aujourd’hui le pouvoir de Nouakchott pourrait largement s’inspirer, de ce qui avait fait son aura et s’est malheureusement effrité un temps, et refaire de la Mauritanie la moustiquaire imprégnée de la diplomatie arabe et africaine. C’est sans doute pour cela que le président, Mohamed Ould Abdel Aziz, a créé un Ministère Chargé des Affaires Africaines. Lequel regroupe désormais en un même bloc le Sud du Sahara et le Maghreb arabe.

Tout ceci est salutaire. L’avenir de la Mauritanie dépend de la possibilité à chacun de se dépasser, à faire des concessions en vue d’accepter l’Autre. Quitte à se faire violence, par moments. Respectons, dans nos diversités, les couleurs nationales. La Mauritanie a besoin de l’effort de tous ses fils unis.

J’ai envie de voir « les miens » tous héros le 28 novembre, se tenant la main, à l’ombre d’un même drapeau. La Mauritanie, dans un élan inouï de soulagement, saura que nous venons de loin. Et ce jour, du 28 novembre 2010, sera pour regarder sereinement l’avenir.

*Bios Diallo, écrivain. Dernier ouvrage paru : Une vie de sébile, roman (L’Harmattan, 2010)









Source: Source : Nouakchott-Info

Mercredi 10 Novembre 2010
Boolumbal Boolumbal
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