Portrait: Kaaw Mouhamadou Touré Porte-parole des FLAM, plus de vingt ans de lutte et d´exil



Portrait: Kaaw Mouhamadou Touré Porte-parole des FLAM, plus de vingt ans de lutte et d´exil
Derrière le sourire permanent de ce combattant de la liberté se dessinent les souffrances de l´exil, de la torture, de la prison et de la solitude. La vie de Mouhamadou ou Kaaw Touré pour les intimes est toute une histoire. Histoire d´amour pour la liberté mais surtout l´amour pour son pays et son peuple, Kaaw a passé la moitié de sa vie en exil entre le Sénégal et la Suède.

Conscience politique précoce

C´est en décembre 1987 que KaawTouré, pourchassé par les autorités mauritaniennes, quitte Djeol, son village natal situé dans le Sud de la Mauritanie en Afrique de l´Ouest pour rejoindre Dakar la capitale du Sénégal voisin. Exil provoqué par la repression de son mouvement, certes, mais surtout par l´ardent désir de continuer une lutte engagée dès l´âge de 15 ans. Conscience politique précoce donc, qui dès les années du collége et lycée est venue troubler une trop courte période réservée à la naïveté de l´adolescence: "Le milieu dans lequel j´étais et où j’ai grandi m´a très tôt influencé, dit-il. Ensuite, il y a la situation politique du pays. Tu ne peux pas rester insensible à ce que tu subis au quotidien si tu as un minimum de dignité. Les provocations, la discrimination envers les Noirs à l´école, dans l´administration, dans l´armée, dans la rue, partout".

Militant du Mouvement des Elèves et Etudiants Noirs, il participe à l´organisation de manifestations culturelles, à la mise en place de conférences en présence d´intellectuels descendant de la capitale et à la publication d´un journal scolaire. C´est en mars 1983, date de la création des FLAM, que le discours politique de Kaaw et de ses camarades prend une autre envergure. Fusion de plusieurs mouvements politiques, dont celui des étudiants et des élèves, antiraciste et anti-esclavagiste par essence, les Forces de libération africaines de Mauritanie FLAM se veulent d'être une organisation non ethnique et non raciale dont l´objectif est d´éradiquer toute forme d´oppression et de discrimination en Mauritanie. Le manifeste du négro-mauritanien opprimé publié en 1986 sonnera le point de départ de cette nouvelle donne: "Nous avions fait une analyse en montrant chiffres à l´appui les caractéristiques et les manifestations de la discrimination dans tous les secteurs de l'Etat" . Coup d´envoi d´une prise de conscience politique mais aussi début de la clandestinité. Du 4 septembre 1986 jusqu´au début de janvier 1987, une centaine de militants, d´intellectuels et d´étudiants sont arrêtés. Kaaw en faisait partie. Il avait à peine 19 ans.

Il se souvient comme si c´était hier de son arrestation. Il revoit encore la dizaine de gendarmes venus encercler leur maison, la frayeur dans le regard de sa mère et la dernière prière du matin juste avant de se faire passer les menottes comme un criminel dit kaaw.

La prison et tortures

Il se souvient également de la torture, "du supplice du jaguar" et de cette matraque qui s´abattait sur les plantes de ses pieds quand, immobilisé par des barres de fer, recroquevillé sur lui même et retourné la tête en bas, le sang lui giclait des yeux. Pendant une semaine: "ils voulaient que l´on avoue avoir porté atteinte à la sûreté de l´Etat et être membres d´une organisation terroriste. Nous étions enfermés dans le noir. A plusieurs dizaines dans une petite cellule. Sans aucun sanitaire, sans aucune fenêtre. On manquait d´air. A la limite on était content de se faire interroger dans la salle de torture parce que l´on pouvait voir la lumière du jour et respirer un peu". Suivront un mois de détention et un simulacre de procès sans avocats. "parfois nos geôliers versaient du sable dans nos repas ou de l´eau pour dire que nous n´etions que des sales nègres et esclaves".

Les plus influents prirent quatre, cinq ans voire plus avant d´être transférés plus tard dans l´enfer de Oualata. Cet ancien fort colonial devenu prison-sanctuaire, trônant au milieu du désért où le climat, les travaux forcés et les constantes brimades des gardiens viennent à bout des convictions les plus coriaces. Quelques noms Djigo Tafsir ancien ministre, Ten Youssouf Guéye, ancien ambassadeur de Mauritanie à L´ONU y ont laissé la vie. Bénéficiant de son jeune âge, cette épreuve a été épargnée à Kaaw le plus jeune prisonnier politique mauritanien à l´époque. Pour lui, ce sera la prison civile de Kaëdi dans le sud pour 6 mois fermes. Mais il lui en fallait beaucoup plus pour renoncer, car dès sa sortie il remet ca en dirigeant des nouvelles manifestations contre l´exécution de 3 officiers noirs en décembre 1987. De nouveau recherché, il s´enfuit à temps cette fois, et se rend au Sénégal, son oncle maternel qui était son correspondant à Kaëdi sera arrêté et pris en otage pendant un mois avant qu´ il ne soit libéré plus tard: " je me suis rendu compte que la lutte pouvait être aussi plus efficace à l´extérieur du pays même si je ne voulais pas quitter mon pays, laisser ma famille mais il le fallait parce qu´en prison on ne pouvait pas déranger le régime".

Exil au Sénégal

Il rejoint ses camarades qui avaient échappé à la répression de 1986 et continue avec eux la lutte et à mobiliser autour de l´apartheid mauritanien. Présentes en Afrique, aux Etats-Unis, en France et même en Scandinavie, les FLAM en un peu de temps ont réussi à cristalliser l´opinion internationale sur les questions des droits de l´homme en Mauritanie. Human Rights Watch, Amnesty international, la FIDH et autres organisations humanitaires suivent la cause à la loupe et la Mauritanie était sur le banc des accusés dans tous les rapports des organisations des droits humains. Et Kaaw et ses camarades arrivent depuis Dakar, à plaider efficacement la cause à l´étranger. A Dakar, certains partis politiques leur ont fait part leur soutien et les invitent à leurs différentes manifestations et congrès. Mais diplomatie oblige, les manifestations, les colloques et les interventions de Kaaw dans les médias nationaux et internationaux sont ponctués de discrets mais fermes rappels à l´ordre des autorités sénégalaises c´est ainsi en juillet 1999 après avoir échappé de justesse à une extradition et au kidnapping, grâce à l´intervention des autorités des Nations unies Kaaw obtient l´asile politique en Suède. Les Etats-Unis et la Suède lui offrent l´asile mais pour des raisons stratégiques et politiques Kaaw Choisit la destination de notre pays : " Aux Etats-unis nous avions déjà là-bas des militants et qui mobilisaient bien l´opinion américaine à travers un réseau d´amis il nous fallait aussi des représentants dans les pays du Nord pour faire connaitre notre cause dans cette partie de l´Europe" explique le porte-parole des Forces de Libération Africaines de Mauritanie.

Deuxième exil

Tout n´était pas facile au début pour lui, la langue, la culture et le climat, tout était différent mais c´est dans l´épreuve que retrouve le grand militant ses forces et sa détermination ainsi donc il commence ses contacts politiques et avec le soutien de la Fondation Olof Palm qui organise des rencontres avec les partis politiques, les associations des droits humains, des membres de la société civile, la presse nationale, Kaaw intègre le milieu politique suédois. Très chaleureux et au contact facile le message passe vite et Kaaw noue des contacts avec la classe politique et la société civile. Des tournées, des exposés et des conférences sur la Mauritanie sont organisées dans les lycées, collèges et universités pour attirer l´opinion sur le racisme et l´esclavage en Mauritanie. C´est dans cette campagne qu´il rencontre la réalisatrice Helen Aastrup qui voulait faire un film documentaire sur lui, qu´il arrivera à convaincre de voyager en Mauritanie pour faire un film sur l´esclavage dans ce pays. Avec des amis flamistes exilés au Danmark ils préparent ce voyage en donnant toute la littérature sur l´esclavage en Mauritanie et les contacts de SOS-Esclaves une organisation mauritanienne qui lutte pour la libération et l´émancipation des esclaves. Ce travail donnera le film "NÉ ESCLAVE", qui verra jour avec l´appui d´ Amnesty international. Ce film sera projeté dans plusieurs pays et fera objet des débats houleux aux USA et en Europe entre les partisans et les adversaires du régime déchu. Parallélement il crée un site internet FLAMNET pour son organisation, des informations et des débats sur la Mauritanie y sont livrés et le forum devient le repère et le lieu d´échange de tous les exilés politiques mauritaniens."Le site me prend tout mon temps, je me réveille à 6 heures du matin et me couche à 1heure ou 2 heures parfois pour me permettre de modérer les messages, heureusement qu´avec mon ordinateur portable ou avec mon téléphone mobil je peux me connecter à tout temps et à tout lieu sur le site". Ce qui fait l´exception du forum flamnet c´est qu´il compte parmi ses abonnés des chercheurs, des journalistes, des diplomates, des hommes politiques, des jeunes mauritaniens avertis et d´autres militants panafricanistes et des droits humains dans le monde. Le site compte des milliers de visiteurs par jour sans compter les 800 abonnés du forum qui reçoivent les messages du forum directement dans leurs boites électroniques au quotidien.

En aout 2005 l´ancien dictateur Colonel Ould Taya est renversé par ses anciens lieutenants mais Kaaw et ses amis flamistes ne sont pas convaincus de la volonté réelle du changement de l´ancien directeur de la sûreté de la Mauritanie. Les FLAM décident de se mettre en marge du processus de la transition pour voir plus clair sur les vraies intentions du nouveau régime. Acculé´par l´opinion internationale la junte au pouvoir organise des élections après 2 ans de "gestion calamiteuse et de détournements des deniers publics" dira Kaaw Touré. Le Seul actif de la junte qu´on peut juger positif c´est l´organisation des élections et l´arrivée du président civil Sidi Ould Cheikh Abdallah au pouvoir mais tout le reste est nul, le chef du CMJD était arrogant et méprisait les victimes du régime raciste, ils partent en laissant les caisses de l´état complètement vides...Nous sommes le seul mouvement politique du pays qui n´a jamais collaboré de près ou de loin avec le système, tout ce qui nous intéresse c´est la justice. Ni les strapontins ni la reconnaissance ne sont nos préoccupations" dira t-il avec un ton très sérieux. Il voit l´avenir des FLAM avec optimisme au pays même s´il faut s´attendre à tous les coups parce que les "FLAM dérangent aussi bien le système que certains partis de l´opposition" c´est pourquoi il faut préparer le retour sans précipitation et "mettre tous les moyens et atouts de notre côté, la bataille sera rude il ne faut pas se faire d´illusions". Kaaw a beaucoup de projets en tête pour son mouvement, " en plus du site internet il nous faut un journal régulier, une radio et pourquoi pas une TV? Il faut conscientiser notre peuple et contrer la campagne de nos adversaires, la bataille de communication est très importante dans cette lutte."

Le mal du pays

A quand le retour de Kaaw et des FLAM au pays? "Le mouvement vient d´organiser des débats dans nos différentes structures de base et au sein du Bureau national nous allons envoyer ces conclusions au Conseil national qui va faire la synthèse de nos réflexions et c´est après seulement que je saurai la date exacte de notre retour ou de notre nouvelle orientation, je suis un militant discipliné et je n´attends que les décisions de nos instances pour me prononcer". Mais le pays lui manque beaucoup et il regrette déjà de ne pouvoir revoir certains parents, amis et proches qui ont quitté ce monde et qu´il ne pourra plus revoir "mais la première chose que je ferais une fois rentré au pays c´est d´aller me recueillir sur leurs tombes". Le retour au pays c´est aussi les retrouvailles avec la famille et des amis d´enfance qu´il n´a pas vu depuis des décennies et surtout il évoque avec nostalgie son village natal qu´il parle avec amour et passion. Le retour au pays natal est le souhait de chaque exilé dira t-il mais la Suède est devenue sa seconde patrie où il compte beaucoup d´amis et des camarades, un pays qui l´a accueilli et adopté lorsqu´il fut rejeté par son propre pays, la séparation sera difficile parce que le cœur est déjà partagé. "ne pas pouvoir voir son pays, est ce qu´il y a de pire pour un homme mais tant qu´il y a vie il y a toujours espoir", déclare-t-il et Kaaw nous dit avec fierté qu´il ne regrette rien de son parcours et s´il faut tenir encore des années ou donner sa vie pour cette cause il le fera avec plaisir. Son souhait le plus ardent est de voir un jour les fils de son pays réconciliés, arabes et négro-africains vivre en harmonie et en paix dans la justice et l´égalité. Tout est possible il suffit seulement de la volonté politique parce que les deux communautés ont beaucoup en commun et surtout cette diversité culturelle qui devait faire sa fierté. En attendant que ce rêve se réalise Kaaw nous dit avec un coup de poignée levé, la lutte doit continuer.

Par Jan Andersson et Anders Carringhton

Le Baromètre (quotidien suédois)


Lundi 2 Août 2010
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