Djibril Hamet Ly : De Loboudou au Québec([PhotoReportage)



Le 17 octobre dernier, au café culture du centre africain des conférences de Nouakchott, hommage a été rendu à feu Djibril Hamet Ly. Les amis du poète, ont revisité une partie de sa vie et de son œuvre.

La cérémonie a commencé par une lecture de la biographie de Djibril hamet Ly. De sa naissance en 1946 à Loboudou (Brakna), à son décès en 2015 au Québec où il participait à une rencontre de PEN International, sa vie fut une quête continue de savoir, de rencontres, de transmission…. Lire l’intégralité de la biographie.

"Djibril Hamet Ly est né en 1946 dans le village de Lobboudou (Brakna) Village qui fut fondé par son grand père Ibrahima Ly lorsqu’il vint s’y installer avec sa cour composée de son griot, son pêcher et son esclave… Il s’allia avec l’Emir du Brakna Ahmedou ould Sid’Ely pour contrer l’avancée de l’armée coloniale française. L’Emir finit par s’exiler au Sahara occidental refusant la présence française lorsque Ly prit les armes !

Le père de Djibril Hammet Ibrahima Ly fut donc descendant de la famille du chef de Lobboudou et sa mère était descendante de la famille de chefs de Mbooyo dans le Sénégal actuel !

Il passa sa prime jeunesse dans ce village dans le récit de cette mémoire, dans les forêts de celtis aujourd’hui disparues qui entouraient ce lieu, au sein d’une famille et d’un environnement pétri de culture pulaar-fuutanké. Son père Hammet Ly, avait été éduqué par le dernier grand Elimane de Fanaye qui lui inculqua une leçon que son fils à son tour n’oublia jamais : "sois ton propre esclave pour être libre !"

Chef traditionnel Hammet Ibrahima n’en était pas moins très progressiste ; dans un milieu aux groupes sociaux professionnels très marqués, il cuisinait, forgeait, pêchait, guérissait. L’amour de sa langue lui fit léguer à ses enfants un pulaar particulièrement raffiné. Djibril se souvenait de l’aisance avec laquelle sa sœur composait et chantait des poèmes pulaar ! Son enfance se passa entre la famille et la place du village ou les échanges linguistiques, plaisanteries et devinettes fusaient ! Il aimait dire qu’il avait grandi sans un monde de poésie !

Son premier maître d’enseignement coranique fut dans ce village Mekiyin ould Baba, de Maghata-Lahjar et le marqua profondément, Djibril se souvenait de sa lecture et prononciation du Coran, qu’il lui transmit ! Ils se retrouvèrent environ 20 ans plus tard, à l’Ecole Normale des instituteurs, Djibril y faisait sa dernière année alors que Ould Baba y entrait ! Djibril devint le répétiteur de son ancien maître, sa fibre pédagogique était née !!!

A l’école fondamentale d’Aleg, il continua l’arabe et appris le français. Un autre modèle le marqua : son instituteur de CP2, Ndiaye Niawar, originaire de Saint Louis qui lui transmit le virus du scoutisme, de ses valeurs de solidarité et de discipline. Djibril fut profondément impressionné par les modernes méthodes d’enseignement de cet homme : enseignement en classe, bibliothèque et jardin d’école géré par les élèves, chansons et sketchs… Djibril profondément influencé garda longtemps en lui ce modèle d’éducateur complet.

A Aleg il devint responsable de la bibliothèque de l’école riche en livres pour enfants ! Il y recevait aussi toute une collection de bulletins scouts qui lui fit se souvenir toute sa vie de l’odeur si particulière du papier. Il organisait réception, classement, reliure des ouvrages et eu rapidement de fidèles compagnons, les livres en général, le dictionnaire en particulier sans oublier son carnet de nouveaux mots. Un des meilleurs élèves en récitation, grâce à sa bonne mémoire, il se souvenait ainsi de ces moments d’élocution, qui lui faisait gouter à la beauté des textes. Dès le CE1, étaient organisés du théâtre, des sketchs en français et des chansons. Ce fut une intense période de formation pour le jeune Djibril fort de sa bonne connaissance de l’arabe, il devait passer le certificat d’études dans cette langue, un problème de dossier l’en empêcha et il l’obtint en français.

Il ne passa que 5 ans à l’école primaire d’Aleg. En effet au bout d’un mois de CM1 étant très en avance on lui fit sauter une classe ! Ayant réussi l’entrée en sixième il fut inscrit au collège d’Atar, ou il rencontra des élèves venant de Rosso, Boutilimit, Fderick, Kaédi… La nouvelle Mauritanie en construction s’y mélangeait !

Un moment important dans la vie du jeune Djibril, fut lorsque venant d’Atar pour aller à Kaédi dont le collège venait d’ouvrir il s’arrêta à Nouakchott, chez le griot de la famille, Bayo Diop et trouva un livre qu’il feuilleta machinalement un livre dont tout d’abord il ne comprit pas la langue, rapidement il réalisa qu’il se trouvait devant son premier livre lexique en pulaar écrit avec l’alphabet latin, ce fut une révélation ; Il prit son stylo qu’il avait toujours sur lui depuis la classe de N’Diaye et commença à écrire. Dès son départ pour Rosso et avant l’embarquement sur le Bou El Moghdad bateau qui devait l’emmener à Kaédi par le fleuve Sénégal il avait commencé à écrire dans sa langue maternelle. Très tôt il eut une conscience linguistique très affirmée. Ouvert à tous les enseignements, avide de connaissance Djibril ne fut jamais coupé de Lobbodou et de ses environs ou il retournait régulièrement tout au long de son adolescence.

Son certificat d’études en poche il passa le concours pour l’école d’agriculture de Bambey au Sénégal. Depuis son passage à l’école d’Aleg ou avec les élèves il gérait le jardin il souhaitait étudier l’agriculture. Mais il rat l’examen. Après le BEPC l’option de l’Ecole Nationale des Instituteurs au lieu du Lycée technique ne fut pas difficile à prendre !

Il entra à l’ENI en 1965 et se trouva rapidement dans un climat tendu ponctué de grèves ! Il sortit de cette école en 1968 nanti de son diplôme de fin d’études. Sur proposition de son professeur de Pédagogie pratique il fut affecté à l’école 8 qui tenait lieu d’école d’application pour les stagiaires de l’ENI ! Après plusieurs mutations, il fut finalement affecté à l’école 3 ou il resta jusqu’en 1971 !

Il aimait raconter que dès ses débuts et jusqu’à la fin de sa vie, la présence des enfants, la relation pédagogique lui permettait de revivre son enfance. Il essaya tout au long de sa pratique d’éducateur de faire mieux que son mentor, son instituteur Ndiaye et intégra bon nombre d’activités que celui-ci avait mises en place dans son enseignement ainsi que tout ce qu’il sentait propice à l’éveil et l’apprentissage de la pensée et des sens chez ses élèves. Il créait des journaux scolaires (qu’il faisait imprimer au Centre Culturel Français alors dirigé par Mme Delarozière), mettait en place des jardins d’école, des ateliers cinéma et photographie. Il enseignait et jouait de la musique en classe (lui-même jouait de la guitare et de l’accordéon).

Il tenta, toujours, d’associer apprentissage et plaisir de l’apprentissage. Il intégra dans sa démarche pédagogique ce qui était présent dans le scoutisme, mais absent des programmes scolaires : la construction de la personnalité. Il s’activait à la démocratisation de l’école, au pouvoir et à la liberté de prise de décisions chez les élèves, dotés d’une responsabilisation pleine et entière, dans une créativité et une inventivité libérées. Il cultivait la confiance en soi. Plus qu’enseigner, il éduquait.

En 1976, il intégra l’Ecole Normale Supérieure dont il obtint le diplôme en 1978. Cette année-là, il partit en France pour un stage pédagogique pratique de 3 mois entre Toulouse et Paris. Puis il servit au Brakna pendant deux ans. Il créa à cette période une revue pédagogique, L’école du Brakna, qu’il faisait toujours imprimer au CCF et fit notamment un grand travail de sensibilisation à la scolarisation des communautés peules de la région.

Convoqué, en 1979, pour co-rédiger la charte culturelle nationale de la Mauritanie, il ne reçut qu’une autorisation d’absence de 3 jours, quand il participa pendant 3 mois à sa rédaction. Il rencontra dans cette commission de rédaction Souleymane Kane, qui devint le directeur de l’Institut des Langues Nationales (ILN).

Il y fut détaché dès sa mise en place, en 1980, et participa à la création de son organigramme. Il en devint un pilier fondateur : Chef du département de la formation/planification/évaluation qui comprenait les divisions en charge de la conception des outils didactiques, la formation des enseignants, l’expérimentation de l’enseignement en langues nationales, la recherche pédagogique et la coordination avec les Ecoles Normales d’Instituteurs de Nouakchott et Rosso. Ce fut le tournant de sa carrière : désormais il se consacra aux langues nationales et notamment au pulaar.

Au cours des années 1970, il avait d’ailleurs été un des membres fondateurs du groupe artistique Bamtaare Fuuta (L’essor du Fouta), rapidement renommé Bamtaare Pulaar qui exerça d’abord clandestinement puis qui fut reconnut officiellement. Il y était le secrétaire chargé de l’alphabétisation et de la culture. Il y donna ses premiers cours d’alphabétisation en écoles clandestines dans les années 1970 et rédigea un des premiers manuels d’alphabétisation en pulaar (Njanngen pulaar/Apprenons le pulaar). Il va sans dire que nombre de ses textes poétiques étaient chantés, déclamés et joués par ce groupe. Il anima de plus l’émission Bamtaare Pulaar sur Radio Mauritanie autour de 1973/74. Plus tard, au début des années 1980, il y animera une autre émission, cette fois-ci consacrée aux activités de l’ILN.

De 1980, date de sa mutation à l’ILN, au lundi 8 septembre 1986, date de sa future arrestation, Djibril plongea dans une période d’intense activité. Il fit donc partie de l’équipe qui initia dans les années 1980 une des premières expérimentations d’enseignement en langues nationales – pulaar, sooninke, wolof – sur le continent africain. Il suivit plusieurs formation en Belgique : Diplômé de l’université de Liège en construction et évaluation des curricula, en 1984, il obtint par la suite un second diplôme en didactique des langues, au centre international Clavier d’audiovisuel d’études et de recherches, à Saint Gislain. Il en profita pour se spécialiser dans neuf autres domaines de l’éducation. En 1982, il entama de plus en parallèle une activité de consultance en éducation, avec le BREDA-UNESCO de Dakar, ainsi qu’avec l’ACCT dans le cadre de son Projet MAPE (Manding et Pulaar).

Emprisonné de 1986 à 1990, Après une période de convalescence, il s’engagea dans une nouvelle série de consultances liées au domaine de l’éducation (projets de développement intégré auprès des coopératives féminines, volets alphabétisation et formation) pour le compte de l’UNICEF, de la Fédération Luthérienne Mondiale, de l’Union Africaine, de TOSTAN, de l’AMD, d’ACOR, etc. Il fut embauché entre 1993 et 1995 comme chef de projet OXFAM-UK et géra un projet de développement intégré de communautés rurales démunies en Assaba (création de banques de céréales, formation à la création de petites boutiques villageoises, alphabétisation, maraîchage, petit élevage, hydraulique…). Il quitta le poste et reprit entre 1995 et 1997 des consultances.

En 1997, il mit sur pied son école privée, Diam Ly, qu’il dirigea jusqu’à sa mort. Il continua en parallèle des consultances dans le domaine de l’éducation notamment auprès de la petite enfance où il se retrouvait seul spécialiste et s’engagea sur divers fronts éducatifs, culturels et écologiques.

Il se consacra également beaucoup plus à partir de cette période à l’écriture littéraire pour laquelle il avait toujours eu un penchant depuis sa jeunesse. Il écrivit son premier sonnet en français en 1964 et ne s’arrêta jamais d’écrire, en français et en pulaar. Durant les années 1968/69, il écrivit beaucoup de textes (poésies, chants, sketchs) pour Bamtaare Pulaar, dont l’hymne du groupe. Il remporta de plus un concours de poésie en 1973 à Nouakchott. Il se rappelait qu’un de ses compagnons de cellule, Ibrahima Sarr, le força à enregistrer durant leur captivité deux cassettes de 90 minutes où il lut ses textes.

Pendant la période d’intense activité à l’ILN et l’expérimentation de l’enseignement en langues nationales puis pendant son incarcération, il écrivit un grand nombre de textes scientifiques sur la langue pulaar et l’éducation. Beaucoup de ces textes ne purent résister au temps (sa sœur ayant notamment enterré dans l’enclos à moutons des carnets remplis de textes dans la précipitation de son arrestation, rappelait-il avec amusement).

Il rencontra à Nouakchott la cinéaste et plasticienne française Françoise Dexmier qui effectuait des recherches sur le soufisme en Mauritanie. Elle découvrit chez lui non seulement un mystique musulman soufi mais aussi un poète. Elle amena des textes de Djibril en France et le mit en contact avec l’association de poésie d’Argelès-sur-mer du poète et philosophe Jo Falieu avec lequel il participa à plusieurs rencontres poétiques. Plus tard, Pierre Daniel, un volontaire du progrès en Mauritanie, ami de sa nièce, lut sa pièce de théâtre, L’Arbre à la cour criminelle et fut si ému qu’il chercha à la diffuser. Il avait déjà organisé des échanges d’artistes mauritaniens avec la France.

C’est ainsi qu’en 2011, Djibril participa au Festival artistique et interculturel des Mots, des Maux, d’Ici et d’Ailleurs à l’occasion de la Journée Régionale de Coopération Internationale, organisée tous les 2 ans en région Centre, où la Mauritanie fut mise, cette année-là, à l’honneur au sein du lycée technique et centre de formation agricole Naturapolis à Châteauroux. Françoise Dexmier réalisa suite à ses recherches un documentaire Soufisme, lumière du cœur1 qu’elle fit sortir en 2011 et dans lequel Djibril explique sa pratique de la religion ainsi que son expérience carcérale qui l’aida à se tourner vers le soufisme.

La même année, sortit sa première contribution poétique dans un recueil collectif d’auteurs mauritaniens : Quand la sève devient lait, un livre né du projet de Gian Andréa Rolla pour la promotion de la littérature et de la lecture en Mauritanie. C’est ainsi que, grâce à ses rencontres et à ses amitiés, Djibril entra dans le monde du livre lui qui était depuis si longtemps dans le monde de la création. Il écrivit par la suite le scénario d’une série vidéo contre l’excision pour le compte de l’ONG espagnole Paz y Desarollo.

Sa rencontre avec Manuel Bengoéchéa lui permit en 2014 de publier sa pièce qu’il fit tant de fois jouer par les élèves de son école et qui avait obtenu le prix de la Communauté Urbaine de Nouakchott en 2012. Ses liens avec Alpha Amadou Sy du Cercle des Poètes de Saint-Louis, l’Association des écrivains africains sise à Dakar, l’écrivaine sénégalaise Sokhna Benga le firent voyager, plusieurs années de suite, à Saint-Louis et Dakar à l’occasion de divers festivals et rencontres littéraires.

En Mauritanie, il fut de plus invité maintes fois lors des évènements littéraires organisés par Bios Diallo mais aussi l’Institut Français de Mauritanie ou encore le Club Djibril Sall (un autre poète mauritanien francophone, son « homonyme » comme il aimait à le dire) pour le développement social et culturel dont il était le président d’honneur. Il participa aux Rencontres littéraires Euro-maghrébines organisées par la Délégation de l’Union Européenne à Tunis en 2014 sur le thème « Littérature et engagement ».

En 2013, il fut sollicité pour faire une présentation, fort appréciée, sur la poésie de Gellaay Aly Fall, lors de l’hommage qu’on lui rendit au grand théâtre de Dakar. En 2014, il reçut le prix d’honneur de la francophonie dans un concours organisé de poésie organisé par l’association française Europoésie. En 2015, il fit un voyage au Maroc pour le compte du syndicat des écoles privées et assista, de plus, à un festival de Gnawa. Il avait, auparavant, assisté, en 2013 à une rencontre pour la culture Amazigh.

Ambassadeur de la paix depuis 2001, il présidait également le Réseau d’adaptation au climat côtier pour l’Afrique de l’Ouest (RACCAO) qui regroupe cinq pays: Cap Vert, Gambie, Guinée Bissau, Mauritanie et Sénégal, et Au secours de nos côtes, le réseau national des acteurs de base pour l’adaptation aux changements climatiques côtiers. Il présidait, par ailleurs, l’association littéraire pulaar Konngol e Binndol (Parole et Ecrit). Il était, également, la cheville ouvrière de l’ONG Forum pour la Refondation du système éducatif (FORSE), ainsi que président d’honneur de l’association culturelle pulaar Pinal hanki, sifa hande, mais aussi membre du bureau national de Tapital Pulaagu International (TPI Association internationale des peuls et amis de la culture peule) et de l’association Empreintes culturelles créée par Khadi Mint Cheikhna. Il venait de créer la section PEN Mauritanie dont il était le président et décéda brusquement, le 17 octobre 2015, à Québec au Canada alors qu’il participait à son premier congrès de PEN international.

A sa mort il travaillait sur des dizaines de projets, des centres de formation et de loisir pour la jeunesse, des centres culturels mais aussi plusieurs ouvrages littéraires et scientifiques : un dictionnaire pulaar, un dictionnaire des proverbes pulaar, une étude sur le verbe en pulaar, un panorama sur la littérature pulaar en Afrique de l’ouest, une étude sur la psychologie de l’enfant, un récit épistolaire autobiographique sur sa vie de détenu politique ainsi que des poèmes en français et en pulaar.

Bibliographie

• L’Arbre à la cour criminelle (théâtre) suivi de Assez, cessez (sketch), Le Pacte des êtres de la mer, de l’air et de la terre (sketch), La Graine du grand celtis (poème), Préface de Coudy Kane, Postface de Moussa Daff, Nouakchott, Editions de la librairie 15/21, coll. « Lettres mauritaniennes », 2014.

• Labbo am Ko Lobbo Labaado

• Mo Maabo suuri wirtaaki

• Njanngen pulaar.”

Djibril Hamet Ly : De Loboudou au Québec([PhotoReportage)

Djibril Hamet Ly : De Loboudou au Québec([PhotoReportage)

Djibril Hamet Ly : De Loboudou au Québec([PhotoReportage)

Djibril Hamet Ly : De Loboudou au Québec([PhotoReportage)

Lundi 24 Octobre 2016
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